476
« En vertu de ce principe, la légalité de mesures imposant des charges financières aux opérateurs est subordonnée
à la condition que ces mesures soient appropriées et nécessaires à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la
régle-mentation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir
à la moins contraignante, et que les charges imposées ne doivent pas être démesurées par rapport aux buts visés » (CJCE, 11 juillet 1989,
Schräder, affaire 265/87, Rec. p. 02237, point 21).
477
Patrick THIEFFRY, Traité de droit européen de l’environnement, Bruylant, 2015, 1412 pages – spéc. p. 180.
478
CJCE, 22 janvier 2009, Association nationale pour la protection des eaux et rivières-TOS et Association OABA contre Ministère
de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables, aff. C-473/07, Rec. p. I-00319, point 26.
479
Cf. l’analyse de l’inscription du développement durable, « tantôt comme ‘objectif’, tantôt comme ‘principe’ », dans
les Traités, in Marc PALLEMAERTS, La Constitution économique européenne et le « développement durable de l’Europe » (et de la
planète) : balises juridiques pour une économie de marché verte et sociale ?, Revue internationale de droit économique, 2011/4
(tome XXV), pp. 511-541. L’article 3 §3 TUE ne dispose-t-il pas que « l’Union (…) œuvre pour le développement
durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée (…) et un niveau élevé de protection et
d’amé-lioration de la qualité de l’environnement » ?
480
A l’occasion, en janvier 2015, du Forum économique mondial de Davos, des études scientifiques ont été présentées
afin de confirmer, par de nouvelles observations, une idée consacrée depuis le début du XXI
èmesiècle (Paul J.
CRUT-ZEN, Eugene F. STOERMER, The Anthropocene, Global Change Newsletter n°41 du Programme International
Géos-phère-Biosphère [IGBP], mai 2000, pp. 17-18) : la Terre subit des bouleversements si rapides et profonds du fait de
l’activité humaine que, depuis la deuxième moitié du XX
èmesiècle environ, l’Homme imprime sa propre marque
géo-logique parmi les strates immémoriales du sous-sol. Cf. également Pierre LE HIR, L’Homme a fait entrer la Terre dans une
d’une réglementation exprimant tout le potentiel du « niveau élevé de protection » de
l’environne-ment requis par le droit primaire. Le droit, dans sa quête perpétuelle d’équilibre entre les intérêts
particuliers et l’intérêt général, dans sa vocation nouvelle à organiser équitablement les usages
d’au-jourd’hui ainsi qu’entre la génération présente et les générations futures, est amené à fixer dans le
marbre juridique ce qui aurait dû relever de la rationalité la plus élémentaire : une vie digne
481étant
la valeur suprême, la protection de l’environnement qui la permet devrait être une priorité absolue, et
non pas un discours incantatoire, un droit/devoir
482à la consistance incertaine – le droit à un
envi-ronnement sain n’est, d’ailleurs, pas encore explicitement reconnu en droit de l’Union. C’est à partir
de cet irréductible postulat que nous bâtissons notre réflexion. La présente démonstration établira
que la GIRE pratiquée par l’UE, dans le champ de l’eau souterraine, devrait évoluer vers un niveau
supérieur de préservation d’un milieu hypogé particulièrement fragile, via une distinction plus
mar-quée entre les notions de “gestion” et de “protection” intégrées (§1). Un tel renforcement du droit
pertinent de l’Union passerait à la fois par une conception rénovée de l’eau souterraine – dont les
singularités et les fonctions écosystémiques restent sous-estimées, et la poursuite de l’intégration
des politiques sectorielles concernées (présentes ou à créer) – dont la convergence doit être accrue
dans le sens d’une protection globale du milieu souterrain et dans le cadre desquelles se
mobilise-ront l’ensemble des acteurs intéressés, orientés vers cet objectif par des dispositifs appropriés (§2).
nouvelle époque géologique, Le Monde.fr, du 15 janvier 2015,
http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/15/nous-sommes-entres-dans-l-anthropocene-depuis-1950_4557141_3244.html
[DDC : 20.09.16].
481
Lecture combinée des articles 1
eret 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Signalons que le droit à la vie,
« valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme » (cf. par exemple, Cour EDH, Grande Chambre, 22 mars 2001,
Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne, requêtes n°34044/96, 35532/97 et 44801/98, Recueil des arrêts et décisions
2001-II, p. 351 – points 87 et 94), ne soit pas conditionné par un environnement sain, qui ne contribue qu’au respect de la
« vie privée et familiale » (art. 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales – cf. par exemple, Cour EDH, 7 janvier 2009, Tatar c. Roumanie, à propos d’un déversement de cyanure
de sodium dans le sol et les eaux souterraines du fait d’une activité minière mal contrôlée, requête n°67021/01, non
publié – point 97) plutôt que de permettre la vie en soi !
482
La Charte de l’environnement (Loi constitutionnelle n°2005-205 du 1
ermars 2005 relative à la Charte de l’environnement,
JORF n°0051 du 2 mars 2005, p. 3697), en France, illustre bien cette dualité : « Article 1
er- Chacun a le droit de vivre
dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Article 2 - Toute personne a le devoir de prendre part à la
préservation et à l’amélioration de l’environnement ».
§1 |La protection intégrée des eaux souterraines, niveau supérieur de préservation
d’un environnement hypogé fragile
« [P]robablement le plus important de toutes les dispositions communautaires relatives à
l’environnement »
483, le principe d’intégration, demeuré « quelque peu mystérieux (…) en raison du
décalage entre le consensus apparent qui caractérise ce principe et l’effectivité aléatoire du
proces-sus d’intégration »
484, gagnerait à clarifier son contenu, les approches qui le matérialisent. Il ne s’agit
pas d’un simple respect des prescriptions formulées par la politique environnementale. L’article 11
TFUE cite les « exigences de la protection de l’environnement », pas simplement celles exprimées
par le droit dérivé né de la politique fondée sur les articles 191 et suivants : cette disposition confère
au principe d’intégration « une dynamique intrinsèque qui conduit à dépasser cette ‘simple’
non-contradiction entre les politiques et les actions communautaires ». Ainsi ce principe exige-t-il « la
contribution des politiques et actions communautaires en faveur de la poursuite des objectifs
envi-ronnementaux et sur le fondement des principes énoncés par l’article » 191 TFUE. « Un tel
pro-cessus sous-tend l’apparition de conflits d’objectifs et exige la recherche complexe de conciliations
raisonnables à l’aune du principe de proportionnalité, en vue (…) de promouvoir le développement
durable »
485. Cependant, le compromis ne saurait toujours prévaloir : « nos modes traditionnels de
conciliation des conflits ne suffisent plus »
486. Le changement climatique et la possible raréfaction
des précipitations qui devrait l’accompagner en Europe méridionale et orientale
487, ainsi que la
des-truction des aquifères côtiers du fait de la montée des océans, de même que les multiples menaces
chimiques que l’Homme fait peser sur les sols et eaux rendent plus que jamais inutile “l’art de la
demi-mesure”. C’est dans cette perspective que nous proposons de distinguer clairement la gestion
intégrée (GIRE, définie supra) de la protection intégrée, concept introduit par la proposition de
décision du Parlement européen et du Conseil relative à un programme d’action pour la protection et
483
Ludwig KRÄMER, Observations sur le droit communautaire de l’environnement, AJDA 1994, p. 617.
484
Nathalie HERVE-FOURNEREAU, Le juge communautaire et le principe d’intégration : une jurisprudence empreinte de
para-doxes ou les parapara-doxes de la prudence du juge, in Olivier LECUCQ, Sandrine MALJEAN-DUBOIS (dir.), Le rôle du juge dans
le développement du droit de l’environnement, Bruylant, 2008, 384 pages (pp. 209-233 – spéc. p. 212).
485
Id.
486
Nathalie HERVE-FOURNEREAU, Le “principe” d’intégration des exigences de la protection de l’environnement – Essai de
clarification juridique, in Le droit de l’Union européenne en principes – Liber amicorum en l’honneur de Jean Raux, Apogée, 2006,
829 pages (pp. 643-686 – spéc. p. 649).
487
Dès 2012, l’Agence européenne pour l’environnement établissait une projection, à 20 ans, de diminution des
préci-pitations estivales, accompagnée d’une hausse des températures, sur la majeure partie de l’Europe, qui devraient mener
à des sécheresses saisonnières plus fréquentes et intenses ; un tel déclin de la ressource en eau serait entre autres reflété
par l’étiage des rivières, l’assèchement des zones humides et la baisse des niveaux d’eau souterraine (EEA Report
n°12/2012, Climate change, impacts and vulnerability in Europe 2012 – An indicator-based report, 304 p. – spéc. p. 121).
la gestion intégrées des eaux souterraines, du 9 septembre 1996
488. Cette distinction repose sur une
inter-prétation de la terminologie utilisée par la législation de l’UE relative à l’eau plus que sur une
dis-tinction effectivement et clairement établie par les textes mêmes. Il ne ressort pas de cette
propo-sition des travaux préparatoires qui ont façonné la DCE que le législateur de l’Union ait nourri un
dessein particulier en accolant les termes de “gestion” et de “protection”. Tout au plus pourrait-on
y voir une nuance liée aux dimensions qualitative et quantitative de l’eau. Nous y reviendrons infra.
Mais en vérité, cette dissociation nous apparaît riche de sens pour le droit relatif à l’eau souterraine
et porteuse, au-delà, d’une appréhension juridique novatrice de la problématique environnementale.
Au XVIII
èmesiècle, les auteurs de l’Encyclopédie constataient qu’il n’y a pas « deux mots qui
soient parfaitement synonymes, c’est-à-dire qui, en toute occasion puissent être substitués
indiffé-remment l’un à l’autre »
489. Cela nous paraît particulièrement vrai en science juridique, qui ne
s’as-treint point aux mêmes nécessités qu’un langage courant appréciant peu la répétition et donc, enclin
à l’emploi d’équivalents de signification plus ou moins proche. Partant de cette idée, l’association
de concepts tels que la “gestion” et la “protection” au sein de mêmes dispositions ne devrait rien
au hasard ou à l’esthétique, mais nulle distinction claire n’est jamais établie, non plus que la finalité
d’une telle différenciation. Ainsi, lorsque la DCE proclame qu’« il est nécessaire d’intégrer
davan-tage la protection et la gestion écologiquement viable des eaux dans les autres politiques
communau-taires »
490, lorsqu’elle évoque les « conventions internationales sur la protection et la gestion des eaux »
491,
elle ne s’embarrasse pas, sur le fond, de clarifications conceptuelles. On ne peut toutefois
s’empê-cher de penser que cette combinaison gestion-protection recèle une nuance insuffisamment
explo-rée, tant par le droit positif que par la doctrine, mais potentiellement porteuse de sens, en particulier
à propos d’eaux souterraines, seules parmi les catégories d’eau à avoir fait l’objet d’une proposition
concernant leurs protection et gestion intégrées
492. De l’annexe de ce texte, l’on peut tirer quelques indices
sur la relation unissant ces deux formes d’action. Celle-ci parle d’abord de « développer les principes
communautaires relatifs à la planification et à la gestion intégrées de la protection et de l’utilisation
de l’eau », énonciation sibylline heureusement reformulée dans la 1
èreligne d’action prévue par ladite
annexe : « la protection et l’utilisation des eaux souterraines doivent se faire dans le cadre de la gestion
intégrée des ressources en eau douce ». L’on déduit de cette phrase que la protection et l’usage de
l’eau forment les deux volets potentiellement antagonistes de la GIRE, le premier en faveur d’un
488
COM(96) 315 final, JOCE C355 du 25 novembre 1996, pp. 1-18.
489
Denis DIDEROT, Jean le Rond D’ALEMBERT (dir.), Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des
métiers, tome X, partie II, 1
èreédition, 1751-1772, entrée « dictionnaire », page 931.
490
Préambule de la DCE, point 16.
491Préambule de la DCE, point 35.
environnement non dégradé, le second en faveur de la satisfaction directe d’intérêts
anthropocen-triques. En effet, la tension entre protection de l’environnement et impératifs économiques,
idéa-lement inexistante, n’est pas moins réelle : dans la proposition de Stratégie de l’Union en faveur du
développement durable de 2001, la Commission avertissait qu’il « faudra effectuer des choix
dou-loureux parmi les intérêts opposés et qu’il faudra affronter les choix avec sincérité et honnêteté »
493.
Il revient alors à la gestion intégrée de rechercher l’équilibre entre ces deux intérêts généraux.
Le fait que la gestion englobe la protection est confirmé par la proposition de décision de
1996 lorsqu’elle distingue « gestion quantitative » et « gestion qualitative ». La gestion quantitative
aurait vocation à « assurer la disponibilité à long terme d’eau souterraine non polluée et garantir
que cette eau souterraine ne soit pas surexploitée afin d’éviter une altération irréversible de la
quan-tité et de la qualité des eaux souterraines et d’empêcher la détérioration ou l’appauvrissement des
écosystèmes qui dépendent de la présence de ces eaux souterraines ». La gestion qualitative, elle,
viserait à « protéger et préserver toutes les eaux souterraines (…) dans une perspective à long terme »,
par l’élimination ou la minimisation des sources de pollution, le maintien de la protection offerte
par la couverture pédologique surplombant les nappes, et la régénération, autant que possible, des
eaux souterraines polluées. L’on note que la sémantique de la protection n’est utilisée qu’au regard
de la qualité de l’eau souterraine
494, mais répartir hâtivement les tâches entre gestion et protection
selon que l’on se focalise, respectivement, sur la quantité ou la qualité, serait improductif : le
main-tien d’un certain niveau des nappes favorise une meilleure qualité (concentration moindre des
pol-luants) et celui d’une bonne qualité préserve la quantité effectivement utilisable pour nos usages.
Ce n’est pas cette voie qu’il convient emprunter pour distinguer gestion et protection intégrées ; la
différence résiderait plutôt dans le degré de préservation représenté par chacune de ces options. Puisque
des eaux souterraines dépend l’alimentation d’une grande partie des écosystèmes aquatiques et
ter-restres continentaux, et parce qu’elles se caractérisent fréquemment par une vulnérabilité à long
terme supérieure à celle des eaux de surface, assurer leur pérennité requiert un niveau de
préserva-tion supérieur à celui jusqu’à présent obtenu par la gespréserva-tion intégrée. Par conséquent, notre postulat
fondamental est le suivant : les eaux souterraines devraient faire l’objet, au-delà de la gestion, d’une
protection intégrée, notion que nous érigerons en mode d’intervention à part entière et que nous
décri-rons comme étant plus propice à la préservation d’un environnement fragile, par la réévaluation
493
Communication de la Commission, Développement durable en Europe pour un monde meilleur : stratégie de l’Union européenne
Dans le document
La protection intégrée des eaux souterraines en droit de l'Union Européenne
(Page 106-110)