3.4 Comparaison avec les observations de Cassini/CIRS
3.4.1 Observations au nadir
Les observations au nadir de Saturne effectuées par l’instrument CIRS permettent de suivre l’évolution de sa température stratosphérique à des pressions de l’ordre du mbar avec une couverture spatiale (latitude) et temporelle conséquente. L’évolution des tempé-ratures observées à ce niveau de pression est présentée sur la figure 3.12. Sur cette figure, les températures observées ont été moyennées sur des périodes d’une année terrestre, i.e. 2005-2006 (Ls ≈ 300◦-313◦, figure 3.12a), 2010-2011 (Ls ≈ 5◦-17◦, figure 3.12b) et
2013-2014 (Ls ≈ 41◦-52◦, figure 3.12c). Ces températures sont issues des travaux de Fletcher
et al. (2015a,b) (communication personnelle de L. Fletcher à T. Greathouse).
Les panneaux inférieurs des figures 3.7 et 3.10 nous montrent que plus la latitude est élevée et plus la rétroaction entre le champ thermique et les champs d’abondance des hydrocarbures considérés est faible. Du fait de la faible rétroaction entre ces champs thermique et chimique, ainsi que de la bonne reproduction des observations Cassini/CIRS
de C2H2 et C2H6 utilisées en tant qu’à priori dans le modèle radiatif saisonnier (voir
figure 3.7 et 3.10), les températures équatoriales des champs initial et couplé sont en bon accord les unes avec les autres. En revanche, ces deux champs thermiques ne permettent pas d’expliquer les pics de température observés dans la région équatoriale en 2005-2006 (figure 3.12a) ainsi que 2013-2014 (figure 3.12c). Ces extremums locaux observés sont en effet associés à l’oscillation semi-annuelle saturnienne, ou SSAO, observée dans la région équatoriale de Saturne (Fouchet et al., 2008; Orton et al., 2008; Guerlet et al., 2011). Les modèles photochimique et radiatif, qui ne sont pas des modèles dynamiques dans le sens hydrodynamique du terme, ne sont pas en mesure de reproduire ces mécanismes, qui ne pourront être étudiés que dans le cadre d’un GCM à trois dimensions.
Le minimum local de température prédit en 2005-2006 (figure 3.12a) entre 20◦N et
30◦N est provoqué par l’occultation du rayonnement solaire par les anneaux (voir section
2.2.2). Du fait de la constante de temps radiative non-nulle à ce niveau de pression, les effets des anneaux sur la température à ces latitudes sont encore observés en 2010-2011 (figure 3.12b) dans l’hémisphère nord alors qu’à ce moment de l’année, l’ombre des anneaux se trouve dans l’hémisphère sud de Saturne. Par ailleurs, en 2013-2014, (figure 3.12c), l’effet de l’ombre des anneaux sur la température stratosphérique est prédit dans
l’hémisphère sud, de 10◦S à 30◦S. Ces minimums locaux prédits par le modèle radiatif
sont cohérents avec ceux prédits par le modèle radiatif de Guerlet et al. (2014), mais sont en désaccord avec les observations.
Ls = 306° à 1 mbar Tempér a tur e [K ] Latitude planétocentrique (a) (b) Ls = 11° à 1 mbar Tempér a tur e [K ] Latitude planétocentrique (c) Ls = 46° à 1 mbar Tempér a tur e [K ] Latitude planétocentrique
Figure 3.12 – Évolutions temporelles des profils méridionaux de température à 1 mbar observés
en 2005-2006 (figure du haut), 2010-2011 (figure du milieu) et 2013-2014 (figure du bas) par Cas-sini/CIRS (Fletcher et al., 2015a,b). Les températures prédites par les champs thermiques initial et couplé (itération 3) aux latitudes et temps correspondants sont représentées par des courbes en traits tirets-triple points et en traits pleins, respectivement. Afin d’alléger les figures, les barres d’erreur correspondantes aux observations n’ont pas été représentées, et sont typiquement de l’ordre de ± 2-3 K.
Notons qu’une explication dynamique a été proposée par Fouchet et al. (2008) et Guerlet et al. (2009), celle-ci impliquant une source additionnelle de chauffage
stratosphé-rique par compression adiabatique associée à des mouvements atmosphéstratosphé-riques descendants sous l’ombre des anneaux. Cette explication est cohérente avec le modèle dynamique de Friedson and Moses (2012) qui prédit un accroissement de la vitesse des mouvements descendants sous l’ombre des anneaux.
Il parait clair, d’après la figure 3.12, que la reproduction des valeurs absolues de la température à 1 mbar n’est pas améliorée lorsque le couplage entre la composition chi-mique et la structure therchi-mique est prise en compte. En revanche, ce couplage modifie le gradient latitudinal de température du champ thermique couplé. Le tableau 3.1 pré-sente l’évolution des gradients thermiques latitudinaux aux trois périodes d’observation considérées, et ceci pour le champ thermique initial, le champ thermique couplé (itération 3) ainsi que pour le champ thermique observé. L’intervalle en latitude considéré pour calculer ces gradients a été sélectionné afin de s’affranchir de certains effets indésirables, soit dans le jeu de données observationnelles, comme l’oscillation thermique équatoriale
ayant une origine dynamique (figures 3.12a et 3.12c, de l’équateur à ± 20◦), soit dans
les températures prédites, comme les effets de l’occultation des anneaux sur le champ
thermique, qui n’est pas observé (figures 3.12a et 3.12b, de 20◦N-40◦N ou encore figure
3.12c, de 10◦S-30◦S).
Période Hémisphère Gradient de Gradient de Gradient de
d’observation considéré température [K/◦
] température [K/◦
] température [K/◦
]
(observation) (modèle initial) (modèle couplé)
2005-2006 Sud (20◦S-80◦S) -0,35 -0,14 -0,27
(fig. 3.12a) Nord (40◦N-80◦N) -0,14 -0,35 -0,26
2010-2011 Sud (20◦S-80◦S) -0,07 0,12 0,0 (fig. 3.12b) Nord (40◦N-80◦N) -0,43 -0,62 -0,54 2013-2014 Sud (30◦ S-80◦ S) -0,21 0,30 0,19 (fig. 3.12c) Nord (30◦ N-80◦ N) -0,32 -0,15 -0,06
Table3.1 – Évolutions des gradients latitudinaux de température à 1 mbar dans l’hémisphère nord
et sud de Saturne tels que présentés sur la figure 3.12. Ces gradients sont donnés pour les champs thermiques initial et couplé (itération 3) ainsi que ceux mesurés par Cassini/CIRS (Fletcher et al., 2015a,b).
Le gradient latitudinal dans l’hémisphère sud pour la période 2005-2006 (fig. 3.12a) du champ thermique couplé est augmenté par rapport à celui du champ initial. Ce gradient
(-0,27 K/◦) est maintenant plus proche de celui observé par Cassini (-0,35 K/◦) que celui
prédit par le champ thermique initial (-0,14 K/◦). À la même période, dans l’hémisphère
amélioration par rapport au champ thermique initial (-0,35 K/◦), lorsqu’il est confronté
aux observations Cassini (-0,14 K/◦).
Le gradient latitudinal du champ thermique couplé dans l’hémisphère sud pour la période 2010-2011 (fig. 3.12b) est maintenant nul, et représente une amélioration lorsqu’il
est comparé à celui observé (-0,07 K/◦). À cette même période et dans l’hémisphère nord,
le gradient du champ thermique couplé (-0,54 K/◦) est aussi maintenant plus proche de
celui mesuré par Cassini (-0,43 K/◦).
Finalement, pour la période 2013-2014 (fig. 3.12c), les gradients thermiques prédits par
le champ thermique couplé, à la fois dans l’hémisphère sud (0,19 K/◦) que dans
l’hémi-sphère nord (-0,06 K/◦) sont plus plats que ceux prédits par le champ thermique initial, au
Sud (0,30 K/◦), comme au Nord (-0,15 K/◦). Le champ thermique couplé représente donc
une amélioration par rapport au champ thermique initial seulement dans l’hémisphère sud.
Prendre en compte la rétroaction entre les champs thermiques et les champs d’abon-dance ne présente pas une amélioration dans la reproduction des valeurs absolues des températures observées par Cassini à des pressions de l’ordre du mbar. En revanche, les gradients latitudinaux de température du champ thermique couplé sont sensiblement mo-difiés par rapport à ceux prédits par le champ thermique initial, et justifie ainsi l’approche considérée ici. En effet, dans plus de 83% des cas (5 hémisphères sur 6 observés), le gra-dient latitudinal de température prédit par le champ thermique couplé est plus proche que celui observé par Cassini au nadir de celui prédit par le champ thermique initial.