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P REMIÈRE P ARTIE

U NE OBLIGATION IMPOSÉE

30. En vertu d'une évolution favorable et récente de son système juridique214, le droit de l'OMC est à même d'imposer à l'UE de mettre son droit en conformité aux exigences de l'AG. Le GATT de 1947 présentait de multiples lacunes et déficiences qui empêchaient la mise en œuvre du principe hiérarchique. Son texte fondateur, dont les zones d’ombres et omissions étaient nombreuses, ne réglait qu'imparfaitement la question des accords commerciaux régionaux (ACR) et celle du traitement spécial et différencié (TSD) des pays en développement (PED)215.

Du point de vue institutionnel, l’architecture du GATT se résumait à bien peu de choses. Conçu comme une entité provisoire, en attendant l’entrée en vigueur de l’OIC (Organisation internationale du Commerce), il n’avait ni pour objet de devenir une organisation internationale formelle216, ni pour fonction de régler le commerce international de façon durable. Ce caractère transitoire a expliqué l’« infirmité congénitale »217 du GATT. Accord en forme simplifiée (certains le dénommaient simplement « contrat »), il n'a jamais été ratifié (sauf quelques rares exceptions218) et n'a été appliqué que par la voie d'un protocole d’application provisoire219, lequel ne reconnaissait de valeur impérative qu’à la première partie du GATT, la partie II (qui comprenait l’essentiel des dispositions) n’étant quant à elle applicable que dans la mesure où elle était compatible avec les dispositions nationales antérieures220.

Pourtant, dans bien des domaines (autres que la politique préférentielle) les parties contractantes ont acquiescé aux obligations imposées par l’AG. Cette situation était due en partie à l’existence de mécanismes de droit embryonnaires, mais surtout, à la volonté politique des participants d’y trouver leur intérêt. Le GATT a ainsi souvent été qualifié

214 RUIZ FABRI (H), « La contribution de l’Organisation Mondiale du Commerce à la gestion de l’espace juridique mondial », pp. 347 à 380, in LOQUIN (E.), KESSEDJIAN (C.) (Dir.), La mondialisation du droit, Dijon, Litec, 2000, 612 p.

215Il s’agit des articles XXIV et de la Parties IV du GATT 47, ainsi que de la clause d’habilitation. De fait, les conditions posées par l’article XXIV du GATT étaient extrêmement floues et les questions relatives aux PED étaient pratiquement ignorées. Pour une présentation succincte : HAIGHT (F.A.), « Customs Unions and Free trade Areas under GATT », JWTL 1972, vol. 6, n°4, pp. 391-404 (en ce qui concerne l’article XXIV) et KOFELE- KALE (N.), « The principle of preferential treatment in the law of the GATT », IJIL, 1988, n°2, pp. 291-333 (en ce qui concerne le TSD).

216 JACKSON (J.H.), op. cit. (n°208), p. 132.

217 Le GATT est né lors de la 3e conférence du comité préparatoire qui s’est tenu à Genève du 10 avril 1947 au 30 octobre 1947. Cela dit, une ébauche avait été rédigée lors de la précédente conférence de Lake Success (N.Y). 218 Haïti fut un des rares pays à ratifier formellement la Charte de la Havane.

219 Le protocole d’application provisoire (PAP) avait été adopté par les gouvernements et par voie règlementaire. Rares furent les pays qui appelèrent leurs parlementaires à se prononcer.

220 Si la législation antérieure au GATT était couverte par la grand father clause, les parties contractantes étaient tenues de se mettre en conformité en cas de révision de la législation nationale.

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Titre premier – Une obligation imposée

d’institution « orientée pouvoir » plutôt « qu’orientée règle »221. Ainsi, lorsqu’un membre estimait que ses intérêts n’étaient pas respectés, il cessait de se soumettre volontairement. Les ressorts juridiques étant insuffisants pour le contraindre à modifier son comportement, une situation d’incompatibilité était possible. La politique préférentielle relève de cette logique. Pour envisager l’arrêt des situations d’incompatibilité, il fallait évoluer vers un système « orienté règle », caractérisé par un fort pouvoir de contrainte222.

31. Dans le cadre du droit international, l’autorité de la norme ne relève pas des mêmes ressorts qu’en droit interne. Les notions de volonté des États, de réciprocité de leurs intérêts223 notamment ont leur rôle à jouer.

Deux conditions sont toutefois nécessaires pour créer une obligation tant dans le cadre du droit interne que celui du droit international.

L’une d’entre elles paraît indispensable et tient à la rédaction des dispositions qui doit être suffisamment claire et précise pour créer de la normativité.

La seconde, qui lui est complémentaire, concerne la sanction de l’application de la norme. Cette dernière n'aura aucun effet sur l'autorité de la norme, en revanche, elle a un effet pratique indiscutable, les États membres étant davantage incités à se mettre en conformité lorsque plane le risque d’une condamnation, voire d’une sanction.

L’amélioration du pouvoir de contrainte de l’OMC passe par le respect de ces deux conditions.

En effet, les accords de Marrakech ont indubitablement amélioré la rédaction de certaines dispositions de l’AG ou leur ont apporté des précisions bienvenues 224 d’où sa « juridicisation » (renforcement de son caractère normatif). On a également assisté depuis la décision de 1989225à l’émergence d’un véritable système judiciaire capable de sanctionner les déviances aux normes de l’OMC226. Un processus de « juridictionnalisation » du droit de l’OMC était donc en marche.

221 JACKSON (J.H.),« The Crumbling Institutions of the Liberal Trade System », JWTL, 1978, Vol. 12, n°2, p. 98- 101.

222 BERTHELOT (E.), La Communauté européenne et le règlement des différends au sein de l’OMC, Rennes, Edition Apogée (Publications du CEDRE), 2001, 151 p., RENOUF (Y.), « Le règlement des litiges », pp. 41-62, in FLORY (T.), La CEE et le GATT : Évaluation des accords du cycle de l’Uruguay, Rennes, Edition Apogée (Publications du CEDRE, Rennes 1), 1995, 170 p.

223 DUPUY (P-M), KERBRTA (Y.), Droit international public, Paris, Précis, Dalloz, 10e édition, 2010, p. 444 et 445.

224 Ainsi en est-il de l’article XXIV, de l’article XXV et de l’ensemble des dispositions concernant le traitement spécifique et différencié qui sont au cœur même de notre analyse et dont il sera traité dans le premier chapitre. 225 Décision des PARTIES CONTRACTANTES du 12 avril 1989, IBDD S36/64-70.

226 RUIZ-FABRI (H.), « Le règlement des différends au sein de l’OMC : naissance d’une juridiction, consolidation d’un droit » pp. 303-334, in LEBEN (C.), LOQUIN (E.) ET SALEM (M.), Souveraineté étatique et marché

Première Partie – Une mise en conformité effective 43

32. La source de l'obligation de mise en conformité de la politique préférentielle est donc double. Tout d’abord, au niveau matériel, les dispositions de l’AG renforcent les exigences vis-à-vis des États membres. Cette évolution concerne les deux éléments problématiques de la politique préférentielle : d’une part le régionalisme débridé (dans le cadre de son schéma de préférences spéciales) et d’autre part la différenciation subjective des PED (dans le cadre de son schéma de préférences générales). Cette juridicisation s’accompagne de procédures de surveillance permettant à l’OMC d’encadrer plus fermement la politique préférentielle européenne (Chapitre 1). Et lorsque celle-ci n’est conforme, la juridictionnalisation de son système de règlement des différends (SRD), lui permet de sanctionner toute déviation (Chapitre 2).

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