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Préférences des enfants

Malgré la quantité d’objets et leur caractère hétéroclite, les enfants connaissent très vite l’ensemble de ce qui est mis à disposition et sont capables en quelques jours de décrire le contenu de la boîte. « Moi si on me donne une feuille, je peux faire

l’inventaire » (Arthur, Anselme, CM2). La découverte peut parfois prendre un peu de

temps puisque certains objets sont plus directement visibles par leur taille et surtout suscitent un fort intérêt, alors que d’autres sont plus discrets, plus anodins et parfois enfouis sous dans la masse que les enfants découvrent à l’ouverture. « La dernière fois

j’ai découvert qu’il y avait les bâtons et au début, le premier jour, les bâtons ils étaient au fond de la boîte à jouer » (Hugo, Anselme, CM2). Mais la perspicacité de certains

leur a permis de voir qu’à Tilleul, la boîte présentée lors de la séance de découverte avait été changée pour une autre, « non il n’y a pas les mêmes objets ; et il y avait des

chaises de couleurs différentes » (Léonie, Tilleul, CM).

Cependant, parmi ces objets, les préférences des enfants sont très nettement marquées dans les discours comme dans les pratiques. Les convoitises sont très nettement lisibles dans les échanges que certains objets occasionnent. Dans ce palmarès c’est sans conteste le fauteuil roulant qui arrive en tête. Pendant toute la récréation, on observe des négociations entre les enfants qui cherchent à en disposer, créant ainsi surtout au début, un attroupement qui suit ses déplacements. Dans la boîte à idées utilisée à Anselme, presque un quart (9 des 33 demandes) mentionnait cet objet phare. Curieusement au centre de loisirs de Tilleul, les enfants ont réinventé l’objet roulant en désignant un touret par ce terme.

Léonie : Le fauteuil roulant

Chercheur : Mais il n’y a pas de fauteuil roulant ?

Léonie : Mais nous on appelle ça comme ça ; c’est pas vraiment la roue, c’est le… ça

(touret)…, nous on appelle ça comme ça » (Tilleul, CM)

Le deuxième objet fétiche est sans conteste aussi les poussettes présentes dans les deux cours. Associés plus largement aux autres objets roulants (roue, tonneaux), elles sont mentionnées par les deux tiers (33 sur 50) des demandes explicitement formulées par les enfants dans la boîte à idée. L’ordre de préférence entre les deux objets est cependant unanime ; « Par exemple ils demandent souvent le fauteuil

roulant, le fauteuil roulant c’est une vraie chamaille, les poussettes ça va, mais le fauteuil roulant tout le monde adore » (Lisa, Anselme, CP). Une partie de

l’explicitation vient lors d’un entretien où on peut saisir à la fois l’interrogation et la peur que cache cette fascination.

Paola : Le fauteuil roulant, tu vois… Jade : C’est plus amusant que la poussette

Paola : Ben déjà, je ne suis jamais montée sur un fauteuil roulant. Un jour j’ai

essayé ; cela faisait bizarre et je trouve que, quand on est dans une poussette, on a tous déjà été dans une poussette, alors que dans un fauteuil roulant, pas du tout.

Chercheur : Et tu trouves que c’est une expérience à faire ? Paola : Juste ce que ressentent les personnes

Jade : J’ai pas envie d’en avoir vraiment (Anselme, CM1)

Il est à noter que ces deux objets témoignent de la distance entre le PlayPod anglais et son adaptation française. On ne voit pas de tels objets dans la version originale qui est orientée vers des objets détachés, non finis, alors qu’il s’agit là d’objets manufacturés, des objets qui se situent entre les loose parts et les objets ludiques que l’on trouve dans certaines cours (trottinettes ou vélos).

Au-delà, c’est souvent les objets les plus volumineux qui suscitent les préférences : les tonneaux, les pneus, le gros cylindre, les plots, au final comme le formule un enfant « les gros trucs que tout le monde cherche à avoir » (Théo, Anselme, CM2). Ces préférences apparaissent nettement au moment de l’ouverture de la boîte puisque ces objets sont tout de suite pris d’assaut. C’est manifestement le résultat du fait qu’ils soient facilement accessibles parce que sortis devant la boîte par les animateur.trice.s, mais aussi le fait que leur taille et leur forme facilitent un usage assez immédiat.

Les claviers et les téléphones apparaissent aussi dans les entretiens et dans les pratiques comme un type d’objets bien spécifique que les enfants apprécient particulièrement. On peut sans doute voir là, un intérêt pour les outils technologiques auxquels les enfants sont confrontés sans y avoir toujours accès autant qu’ils le souhaiteraient. Les potentialités d’imitation sont ainsi directement mises en jeu comme le montreront les analyses suivantes (partie 4).

Cet intérêt pour le faire semblant se traduit par une cinquième préférence qui se porte sur les objets servant à délimiter des espaces privés ou familiaux et plus précisément les bâches, tissus ou toiles de tente.

Au regard des goûts des enfants, les objets s’organisent ainsi dans une forme de hiérarchie qui n’est pas sans conséquence sur la distribution et la répartition entre eux des différents types d’objets comme on le verra plus loin. On comprend que les objets se déclinent selon une logique qui renvoie aux usages mais aussi plus largement à une valeur symbolique qui se constitue ou qui s’affirme au fil des jours. Ce processus est particulièrement lisible à l’école Anselme où l’entre-enfants a fait émerger un objet comme une sorte de trophée en particulier pour les plus âgés. Certains le mettent ainsi en haut de leur tableau de chasse.

Hugo : L’arme suprême !

Chercheur : Qu’est-ce que c’est ?

Arthur : En fait, l’arme suprême c’est un truc multicolore et au milieu il y a une barre

et deux gros rondins en mousse. (Anselme, CM2)

Théo : Ça tout le monde le veut, et il y en a qu’une seule ! (Anselme, CM2) Viviane : Celui qui l’a, il a de la puissance » (animatrice Anselme).

Le collectif des enfants s’est ainsi forgé une légende autour d’un objet insolite et non identifiable qui sera réparé en fin d’année pour être conservé et transmis aux successeurs.

Les demandes déposées dans la boîte à idée recouvrent donc largement les objets déjà présents comme le justifie un enfant « il y en a qui demandent les mêmes choses

parce qu’ils aiment bien les choses de la boîte à jouer » (Lisa, Anselme, CP). Seuls

quelques objets différents ont été mentionnés pour compléter la composition des boîtes. Outre les bonbons Haribo et la moto, certaines demandes montrent la difficulté que peuvent avoir les enfants, et certain.e.s professionnel.le.s d’ailleurs, à sortir d’une

logique d’objets utilisés dans leur fonction première. Il en va ainsi des rollers ou du vélo, mais aussi de tentes (Quechua, qui plus est) ou des tipis, ou encore pour les plus jeunes de la poupée et de la dînette. Mais à l’inverse nombre d’objets rentrent assez bien dans la logique de la boîte de récupération comme un appareil photo ou des bâtons ou encore « des feutres qui ne marchent plus » (Anonyme, Anselme). Plus globalement, la dimension de récupération et de réemploi paraît être bien perçue par les enfants puisqu’ils ont pu apparemment l’évoquer avec leurs parents. « Ils ont dit

que c’était bien qu’on utilise des objets qui peuvent encore servir pour d’autres personnes, parce que […] même si la personne, pour elle, elle pourrait pas jouer avec et ben d’autres personnes pourraient jouer avec. » (Léonie, Tilleul, CM). On perçoit

chez certains enfants quand même un besoin de se rassurer sur la nature et plus précisément l’état de ces objets qui viennent d’un peu partout ; « Ce qui est cool c’est

on peut faire des grandes cabanes avec des cordes et des tuyaux d’égouts et qui sont propres » (Alexandra, Anselme, CP). Pour quelques rares enfants, la notion de

récupération est associée à celle de déchets comme ils l’ont fait savoir par la boîte à idées. « Nous voulons des jeux neufs et non des ordures ! » (Anonyme, Anselme).

Les préférences apparaissent ainsi distinctement, même si certains enfants ont envie de ne pas choisir.

Chercheur : Quel objet de la boîte vous préférez ?

Virgile : On ne peut pas dire toute la boîte ?! » (Tilleul, CE)

En revanche, il est plus délicat de cerner les rejets ou les objets peu attirants. Il est de fait difficile de préciser ce qui n’est pas exploité parmi l’ensemble de l’offre de la boîte à jouer. Les seuls objets qui semblent le plus souvent abandonnés sur le sol sont des petits tapis de mousse dont les enfants ne semblent pas trop trouver usage. On peut aussi trouver dans la cabane de l’école Anselme des objets ou morceaux d’objets détériorés que les enfants délaissent.

Loane : Dans la boîte à jouer, il n’y a rien, il n’y a plus rien Matt : Sinon il y a des choses que personne ne veut

Chercheur : Quoi par exemple ?

Matt : Ben par exemple, il y a une sorte de petit tapis en mousse, on ne sait pas trop […]

Loane : Parfois quand j’arrive, parfois je vois des espèces, on va dire des cartons de

papiers toilettes là empilés comme ça » (Anselme, CM1)

À ces quelques exceptions près, tous les objets sont exploités ; chacun trouve sa place d’une façon ou d’une autre que ce soit dans un usage actif ou en décoration dans les installations ou cabane/maisons. C’est une indication de la pertinence de la sélection et des choix effectués pour constituer le fond d’objets.

Questions de quantité

Au-delà de la composition de la boîte, la question du nombre d’objets apparaît assez essentielle. Le modèle anglais prévoit en moyenne deux objets par enfants, mais tout en adaptant le ratio en fonction de la taille de la cour, des aménagements existants et des fonctionnements mis en place par l’équipe. Ce ratio correspond sensiblement à ce qui a été proposé pour les deux boîtes (Tilleul 80 pour une trentaine d’enfants attendus, Anselme environ 400 pour environ une centaine d’enfants dans la cour simultanément). Mais, cette quantité d’objets a été assez régulièrement évoquée tant

par les enfants que par les professionnel.le.s. Le sujet apparaît lorsque les uns et les autres comparent les différents moments d’ouverture avec des effectifs d’enfants plus réduits « Moi j’aime bien [quand elle est ouverte en centre de loisirs], parce qu’il y a

moins de gens qui viennent et du coup, on peut prendre plus de choses. » (, Anselme,

CE2) En général c’est en soulignant ses liens avec la question des conflits entre enfants que le nombre d’objets est évoquée même si le lien est évidemment impossible à faire en toute objectivité. De fait comme le souligne Lucie avec une hypothèse extrême, la solution n’est pas non plus dans ce ratio « On se dit, si j’avais la boîte à jouer toute

seule, ce serait bien mais en fait tu t’ennuies. » (Anselme, CE2)

Par contre, le nombre d’exemplaires d’un même type d’objets revient aussi très souvent dans les échanges avec les enfants et les professionnel.le.s. Bien évidemment, ces demandes concernent d’abord les objets roulants et les objets préférés que les enfants estiment toujours être en nombre insuffisant.

Manon : C’est bien, mais il manque des objets moi je trouve ; parce que parfois on se

dispute pour certains objets, et ça c’est pas forcement très bien

Clara : Par exemple, les fauteuils roulants, on aimerait bien (Anselme, CE2)

Enfants et animateur.trice.s se rejoignent avec des arguments différents pour penser que la solution ne se pose pas en termes de multiplication simple, soit parce que « après la cabane, elle est trop pleine déjà » (Océane, Anselme, CE2), soit parce que « le problème des enfants c’est que tant qu’ils n’en n’auront pas un chacun, voire deux

chacun, cela manquera » (Aurélie, animatrice, Tilleul). Mais, ils estiment qu’un

certain nombre d’objets gagneraient à être en deux exemplaires pour nourrir certaines formes de jeux. « Avec les pneus, on pourrait en prendre deux et il faut qu’on essaie de

les mettre dans la même direction quand on les lance » (Léonie, Tilleul, CM). D’autres

objets qu’on pourrait désigner d’objets-outils apparaissent aussi particulièrement importants à avoir en nombre comme les cordes ou les sangles qui sont en quelque sorte des outils indispensables à de nombreuses réalisations pour accrocher, lier ou relier plusieurs objets entre eux ou aux éléments de la cour.