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Conflits et coopération : de riches interactions

Si la boîte à jouer permet des jeux individuels donnant la possibilité (difficile dans la configuration classique de la cour de récréation) à des enfants seuls d’interagir sur les plans fonctionnels et symboliques avec un objet, beaucoup d’actions impliquent une collaboration, pour récupérer un nombre significatif d’objets, pour installer, assembler ou construire ou développer des scénarios complexes. C’est aussi vrai de l’usage des objets roulants qui nécessitent la participation de deux enfants (un qui pousse ou tire, l’autre qui se fait pousser ou tirer), voire plus. Les conflits ludiques relèvent, par exemple quand il s’agit de développer une guerre, d’une forme de coopération, ce qui les distingue de disputes même si la frontière est parfois étroite.

L’attention aux autres, ne pas blesser peut faire partie de cette collaboration. Arthur (Anselme, CM2) demande à enfant de monter sur une caisse renversée dont le fond est cassé. Une fille enfonce le fond pour rendre l’action impossible. Arthur lui demande pourquoi elle a fait ça. « pour qu’il ne se fasse pas mal » dit-elle en caressant dans le dos l’enfant (plus jeune) concerné.

Les clans

Ainsi pour gérer la situation d’accumulation que nous avons vue dans la première section de cette partie, il faut des alliés, ce qui implique de faire des clans et

des équipes pour défendre ce que l’on ne pourrait défendre seul, mais enclenche cette logique de guerre des boutons qui n’a de sens que dans une logique collective.

Chaque clan est ainsi doté d’un camp, d’une base ou d’un repère où les objets s’accumulent, qu’il faut protéger tout en lançant des razzias chez l’ennemi. La dimension ludique est forte dans cette guerre des boutons ou ce Clash of Clans. Une fille explique qu’elle a fait « son service militaire avec les CM1 » et qu’ils font la guerre « pour voler des trucs et ensuite gagner ». La ruse ultime, faire croire que l’on est membre d’un clan pour le détrousser.

Arthur : en fait moi j’ai, c’est pas vraiment une technique mais c’est une ruse, c’est tu

vas dans un clan, vu que moi je me fais respecter un peu dans tous les clans

Théo : TOI !

Arthur : oui, je rentre donc ils m’acceptent, quand tout le monde part manger, je fais

OK je vous la garde, je détruis tout et je prends

Gilles : c’est ce que tu reproches aux autres de faire

Arthur : voilà, au début je leur reprochais quand ils le faisaient mais après comme je

leur dis qu’il faut arrêter et qu’ils ont pas arrêté ben moi je le fais. (Anselme, CM2)

Cette frénésie guerrière semble s’être progressivement atténuée. Cela a conduit à définir des protections (usage de cordes, de filets, instauration de mots de passe, désignation de gardien). Des jeux sophistiqués se mettent en place tout en étant à la frontière du jeu et de l’activité de métajeu qui permet de préparer, de rendre possible le jeu. La définition de la situation entre jeu et non-jeu n’est pas toujours facile.

Sofia : Mais il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de bagarres à cause de

ça, le partage

Léonie : C’est pas de la bagarre, des disputes, pas des bagarres

Nathalie : Comme tu dis, vous n’en arrivez pas à la bagarre, c’est juste… Léonie : non, on ne va pas se frapper pour ça (Tilleul, CE & CM)

Construire à plusieurs, une nécessité technique

Un groupe de garçons sort de la boîte à jouer avec beaucoup d’objets. Ils vont mettre successivement des lanières sur trois arbres et une grille de façon à tenir la bâche trampoline à laquelle est associée un filet pour en faire une maison/tente totalement fermée. Cela se fera progressivement (arriver à attacher à chaque arbre, redresser la tente pour pouvoir y tenir à l’intérieur). Ainsi pour arriver à mettre la première lanière un enfant monte sur un tonneau, maintenu par deux autres enfants pour qu’il ne roule pas : il réussit. On voit nettement la coopération entre les enfants pour mettre les différentes lanières.

Lors d’une autre observation, des enfants ont terminé l’accrochage de la bâche. Un enfant au leader : « Arthur on n’a pas bien mis la corde ». On voit bien le travail collectif. C’est également vrai des assemblages. Cela peut aussi conduire de plus grands à aider les plus jeunes pour accrocher, faire des nœuds, etc.

La question du genre

C’est une question délicate à traiter et il aurait sans doute fallu des observations plus systématiques et régulières pour trancher cette question. Certains, en particulier des animateur.trice.s, évoquent une mixité plus importante. Mais l’observation de la cour avant la boîte à jouer avait également montré la présence d’activités mixtes comme la balle aux prisonniers à Anselme. On peut tout autant observer avec la boîte à

jouer, des jeux nettement marqués par la différence entre les genres comme les enfants l’évoquent volontiers

Véronique : Est-ce que c’est vrai, il y a des filles avec eux ? Valentine et Céleste : Non

Hugo : Si si si, il y a Cléa

Valentine : Oui mais ça, c’est un garçon manqué

Hugo : Arrête c’est pas un garçon, allez dis dis c’est un garçon oui ou non ? Valentine : Oui

Hugo : Non

Gilles : Et vous vous jouez avec des garçons ?

Valentine : Non, nous on ne joue pas avec des garçons (Anselme, CM2)

Si l’on s’appuie sur la conception de Barrie Thorne (1993) concernant la question du genre dans la cour de récréation, on doit accepter l’idée, d’une part que la frontière entre genres se construit in situ et diffère selon les lieux et les écoles, d’autre part qu’il y a traversée possible de cette frontière avec des conséquences (être considéré comme un garçon manqué) ou pour certains sans conséquences (ainsi Arthur avec son statut d’expert en construction peut évoluer facilement d’un pôle à l’autre).

Ce que nous défendrons ici comme hypothèse est non pas une plus grande mixité, trop d’exemples montrent un maintien de la séparation ludique des genres, mais une reconfiguration possible de la frontière et des traversées possibles de celle-ci. La nouveauté et la variété des jeux, la place des jeux symboliques et des constructions offrent à chacun une redistribution des rôles. Il faut cependant être attentif que souvent quand filles et garçons jouent ensemble ce peut être dans le cadre d’une distribution de rôle très genrée, les garçons pouvant assumer construction et défense pendant que les filles occupent les emplois de bureau ou de soins de la maison et des enfants.

C’est parfois le mélange d’âges, lié à la nécessité de maintenir l’activité pendant le repas, qui peut rendre plus facile le mélange des sexes.

Conclusions

Pour conclure cette section nous pouvons mettre l’accent sur des points qui semblent, en partie au moins, liés à l’originalité du dispositif proposé.

Nous avons montré comment les catégories usuelles de jeux que l’on peut retrouver comme des dimensions de l’activité sont peu adaptées à l’analyse d’un jeu extrêmement labile et mobile. Le jeu se transforme, combine différentes dimensions. Les types de jeu sont brouillés, mélangeant différentes dimensions (construction, installation, mobilité, accumulation, exploration, symbolisation ou interprétation).

On peut sans doute mettre cela en relation avec l’idée qu’un tel matériel offre peu de scripts préalables. On entend par script un cadre qui prédéfinit l’activité légitime avec un objet comme peut le faire une poupée ou une figurine issue d’un dessin animé (sans présupposer pour autant que le joueur suivra le script). Ici pas ou peu de scripts, tout au plus des affordances évidentes dans certains cas, mais plus souvent à découvrir à travers des explorations.

La conséquence est que le jeu relève d’une performance ouverte (c’est-à-dire non liée à un script préalable), ce qui conduit à inciter à une variété d’actions en fonction des affordances perçues et des interprétations effectuées. Des enfants découvrent constamment de nouvelles affordances ou proposent de nouvelles interprétations à

travers des performances originales par rapport aux précédentes. Mais ce faisant, un répertoire de pratiques se développe progressivement au sein de la cour et on peut imaginer qu’une durée plus longue de présence d’un tel dispositif (avec les mêmes objets, mais la boîte a l’avantage de rendre possible l’introduction de nouveaux objets différents des précédents) pourrait conduire à définir des scripts, des usages devenus légitimes au sein de la communauté d’enfants. Sur la période observée, même si on peut voir ce répertoire commencer à se constituer, c’est encore l’invention de performances souvent inédites au sein de l’école qui marque les usages. Reste qu’un répertoire s’est constitué autour de l’usage des objets mobiles, de l’assemblage des balançoires ou des canons, de la construction de cabanes, de jeux symboliques tels que le bureau. Mais, à la fin de la période d’observation, ce répertoire reste ouvert et l’usage de la boîte à jouer demeure marqué par la diversité des jeux et leur labilité. Celle-ci est peut être fondamentale dans la mesure où elle s’adapte bien à la récréation, sa logique temporelle et sa fragmentation. Le changement de jeu, de partenaires, la mobilité sont tout à fait compatibles avec ce que propose la boîte.

PARTIE 5 : LES PRATIQUES ET LES POSTURES DES ANIMATEUR.TRICE.S

Après avoir détaillé et analysé le matériel et ses usages, il s’agit de revenir plus précisément sur les postures adultes et leurs façons d’intervenir auprès des enfants que ce soit au sein des temps périscolaires de l’école Anselme ou du centre de loisirs de Tilleul.

Dans une première section, nous repartons des principes du playwork à partir les ouvrages « classiques » mais surtout de la formation dispensée par l’équipe PlayPod de Children's Scrapstore ainsi que des formations transmises aux équipes d’animation à l’école Anselme et au centre de loisirs de Tilleul jusqu’à l’accompagnement dans les cours.

À la suite, dans les sections suivantes, nous approfondirons plusieurs points concernant les pratiques animatives6, leur évolution comme leur adaptation ou leur

maintien autour de thématiques centrales issues des entretiens et des observations. En dernier lieu, ces analyses permettront de mieux comprendre comment le dispositif de la boîte à jouer vient réinterroger les pratiques animatives avant d’établir des pistes de réflexions possibles.

Comme pour les parties précédentes, nous suivons tout d’abord les pratiques de l’équipe de l’école Anselme en complétant les analyses avec les pratiques des animateurs et des animatrices du centre de loisirs de Tilleul à partir des observations et des entretiens réalisés.