• Aucun résultat trouvé

Une fois les objets accumulés, une fois explorées certaines affordances, nombre d’objets ne sont pas utilisés seuls (privilège de quelques-uns surtout les objets roulants mais qui peuvent entrer également dans cette catégorie, même si leur succès les en préserve souvent, ainsi on peut voir la poussette transporter des objets dans un esprit d’accumulation) ; une opération consiste à les associer au-delà de la simple contiguïté de l’accumulation, qui consiste à faire des tas et les protéger.

Installer/ s’installer

La première opération minimale est l’installation, c’est-à-dire mettre ensemble des objets parfois pour simplement mettre ensemble (cas de sculptures ou de structures à dimension purement esthétique ou de simple disposition). Ainsi une fille lors de l’entretien évoque un garçon qui au début essaie de faire une structure figurative. À la différence de l’accumulation, l’installation suppose une intention, une signification, même minimale. Ce n’est pas le hasard qui fait que les objets sont les uns à côté des autres mais un projet.

L’installation la plus fréquente consiste à créer des espaces, à délimiter des lieux, sans que l’on puisse parler de construction (utilisation de tissus comme tapis, de différents objets pour délimiter, etc.). Cela renvoie à une cabane primaire, celle qu’évoque Dominique Bachelart (2012, p.20) « La délimitation de l’espace peut être sommaire. Il ne s’agit pas encore d’une construction, mais d’une délimitation, d’un “entourement” […]. Le contour à peine esquissé donne forme à un dedans et à un dehors. »

L’installation devient plus complexe et prend sens quand il s’agit non seulement d’installer mais de s’installer, non seulement de délimiter un espace mais de rendre possible une activité à l’intérieur des limites. On a beaucoup vu ce type d’installation utilisant des tissus, des éléments en mousse, les abat-jours, des éléments décoratifs qui consistent à marquer une limite entre l’intérieur et l’extérieur de l’installation et à conférer un peu de sens à cet intérieur (espace de bureau par exemple avec claviers et téléphones). Les objets sont disposés, posés les uns à côté des autres, avec une oscillation entre un choix, une logique claire et l’effet du hasard qui consiste à utiliser ce que l’on a récupéré. Un jeu consiste à être dans un espace marqué, approprié (les objets servant à s’approprier, à marquer l’espace) avec ses camarades.

Ainsi contre le préau, au soleil, des filles ont fait une installation : tissus qui servent de tapis, sacs délimitant et décorant l’espace. Elles semblent se contenter de prendre le soleil dans cet (leur) espace. D’autres filles ont aménagé un espace (bureau avec clavier et téléphone) avec deux abat-jours et un chapeau posés sur des cylindres de carton

Ophélie : moi j’ai vu Éline et Camille qui faisaient une sorte de cabane à côté du

préau et il y avait rien au-dessus en fait

Nathalie : il n’y avait rien au-dessus, et comment vous appeliez ça ? Ophélie : le bas d’une maison

Orlane : sans avoir un toit. (Tilleul, CE)

Ce qui frappe est l’évolution permanente de nombre d’installations : de nouveaux objets apparaissent, d’autres disparaissent, leur organisation bouge et parfois l’ensemble subit un déménagement dont on ne comprend pas toujours la logique sinon qu’un coin plus attractif se libère ou est découvert.

Assembler

Autre démarche, l’assemblage qui consiste à ne plus simplement disposer, installer mais associer, faire tenir ensemble (ce qui est parfois plus complexe d’un point de vue technique), c’est-à-dire rendre solidaire des éléments, et idéalement pour une action, rouler (le char, le canon) ou se balancer en ce qui concerne les balançoires.

La tentative de faire des balançoires date du premier jour mais a d’abord échoué, le système assemblé ne permettait pas de se balancer. On peut également parler

d’assemblage de « pré-balançoires » (objets accrochés aux arbres mais qui ne permettent pas vraiment de se balancer, tout au plus de tourner). Ainsi un garçon est dans une caisse accrochée à un arbre avec une corde et tourne autour de l’arbre.

Mais une fois trouvés des assemblages adaptés (corde avec cylindre ou pneu), les balançoires vont proliférer, déménager dans l’espace où l’on trouve le plus d’arbres dont certains près de grilles. Un animateur sera là pour vérifier que les attaches limitent les risques de chute. Puis leur nombre diminuera comme si cet assemblage avait perdu de son intérêt tout en constituant une activité stable et souvent présente. On trouve parfois des assemblages originaux comme dispositifs de balancement : ainsi l’une d’elle associe une petite roue et une corde unique

L’assemblage renvoie à une analyse plus complexe des affordances, car il s’agit non seulement de découvrir l’affordance d’un objet mais d’un agencement, d’un assemblage, d’un dispositif, l’affordance résultant de l’action de l’enfant, de l’assemblage

Le canon est un des exemples d’assemblage lié à la présence d’un gros tube noir qui offre une affordance « canonique » sans être suffisant pour faire canon. Il faut donc trouver des assemblages, ce qui conduira à des propositions de canons plus ou moins convaincants, plus ou moins fonctionnels. On voit ainsi des groupes construire et déconstruire le canon pour le sophistiquer avec deux roues, parfois en utilisant en plus des cylindres en carton, et arriver à faire en sorte qu’il projette quelque chose. On peut souligner la durée et la persévérance propre à une telle tâche : trouver un assemblage qui fonctionne.

À côté de cela on peut voir des enfants faire des assemblages qui n’arrivent pas à fonctionner : comme cet essai avec quatre cylindres en carton, une plaque de mousse noire trouée et une corde pour associer le tout, par un garçon seul. Puis il met dessus un touret traversé lui-même par une corde. Il réussit à solidariser l’ensemble mais tout est détruit quand il essaie de faire rouler (cela ne peut rouler) ce qui le fait rire. Nombre d’assemblages ont pour but de produire des objets à même de rouler : un groupe de garçons construit un kart. Pour cela est utilisé le caddy (arrivé avec la deuxième vague d’objets) posé dans le sens horizontal avec ajout de roues au niveau de la poignée et de la mousse noire pour faire le siège. C’est assez habile. Test pour savoir si ça marche, « t’es trop lourd » dit un enfant en montrant qu’avec lui ça marche. Le kart fonctionnera jusqu’au rangement. Un autre garçon dit vouloir faire un deuxième kart (il emploie le terme) en y attachant une caisse.

Construire

La construction est difficile à distinguer de l’assemblage mais nous la réserverons à des logiques plus ambitieuses que l’assemblage d’un nombre limité de pièces pour faire un nouvel objet. Il s’agit de dispositifs plus complexes, en particulier les cabanes qui à la différence des installations impliquent la construction, la solidarité des composants, la disposition d’un toit voire d’aménagements intérieurs. La construction suppose un projet et pour cela il faut parfois aller chercher des objets pour compléter ceux dont on dispose. Construire des cabanes est une activité centrale dans les deux sites d’autant plus qu’elle peut ensuite se développer sous formes de divers jeux utilisant la cabane. Mais on peut aussi souligner que les constructions ont tendance à n’être jamais achevées, toujours reprises, modifiées, améliorées, dans un processus d’évolution continue ; ce qui est moins vrai des assemblages qui une fois qu’ils fonctionnent bien vont être utilisés, mais également vrai des installations, ce que nous avons déjà souligné.

Ce travail de construction centrale, dans lesquels certains se sont particulièrement investis (Lilou à Tilleul, Arthur à Anselme) s’affirmant comme leaders et experts en la matière, suppose une recherche permanente de solutions pour faire un toit crédible, pour créer un espace de l’intime, un lieu fermé dont l’entrée peut être contrôlée. Comme l’écrit Dominique Bachelart (2012, p. 21), « [l]a cabane se négocie avec le site, les matériaux présents, les outils disponibles. L’invention s’insinue en fonction des ressources. »

Il s’agit bien de trouver les ressources nécessaires pour réaliser les projets de cabanes.

Le toit de la cabane d’Arthur se monte mais il manque encore une corde. Il en négocie une avec un groupe non loin de lui. Ils ne veulent rien lui donner, il part faire le tour de la cour. Il revient enfin avec une nouvelle corde, l’attache entre l’arbre et la bâche, tire dessus. En fait cela ne fera jamais un toit, ce n’est pas assez haut (Observation, Anselme).

Ainsi les enfants ont dû découvrir la meilleure façon de faire une cabane en fonction du matériel disponible, avec plusieurs modèles, certains se limitant à un morceau de tissus tendu en hauteur, d’autres simulant des murs, allant au-delà de la tente (modèle de référence le plus simple à construire). Mais il faut trouver où attacher, avec quoi, comment faire tenir, c’est-à-dire trouver une adéquation entre le projet (ou l’image satisfaisante de ce que peut être une cabane, une protection, un lieu où s’isoler qui va au-delà de la délimitation, de l’installation), le matériel accessible ou disponible, le lieu. Il s’agit de résoudre des problèmes, les solutions trouvées pouvant être ensuite reprises par d’autres. Si on associe créativité et résolution de problème, il s’agit bien là d’une action créative.

Gilles : non mais un bidonville là dans la cour de récréation Arthur : c’est la même chose que dans la vraie vie

Gilles : c’est-à-dire ?

Théo : on construit comme on peut

Arthur : avoir des petites maisons comme on peut. (Anselme, CM2)

On peut voir ainsi les maisons s’agrandir voire fusionner : à Tilleul dès le premier jour, Lilou (CM) et ses acolytes construisent une maison/tente de bédouin plutôt réussie et qui va s’agrandir. Suite à la proposition de Lilou, deux tentes sont réunies : « comme ça elles sont plus grandes et on aura plus de choses ».

Ce qui caractérise les constructions comme les assemblages et les installations, mais l’effet est plus important sur des constructions qui supposent un investissement plus important en temps comme en matériel, c’est la nécessité de les détruire et ranger à la fin de chaque période. Ce qui implique une répétition depuis le point de départ des constructions. Mais même si on croit refaire à l’identique, la disposition du matériel, la composition des groupes induit un processus de transformation, l’apport de nouvelles solutions, de nouvelles idées.

La réussite n’est cependant pas toujours au rendez-vous, comme le montre cette observation :

Arthur (Anselme, CM2) essaiera plusieurs possibilités sur différents arbres pour faire d’une bâche accrochée à la grille quelque chose sans vraiment y arriver, mais il semble que le processus importe plus que le résultat : il s’agira d’attacher ensemble lanières et cordes, de choisir dans un deuxième temps un arbre très éloigné, de trouver des moyens d’atteindre les branches visées, de tirer dessus sans qu’il soit possible de voir

une vraie volonté de faire une cabane. Le jeu est plus un jeu avec les cordes et les lanières. Des enfants vont détourner les lanières pour en faire autre chose, ce à quoi s’oppose parfois Arthur. Il finira par tout démonter : « ici cela ne fonctionne pas » puis « on a enlevé car c’était pas un bon plan » Le matériel est abandonné à d’autres enfants.

Reste qu’Arthur est reconnu comme un expert : ainsi il arrive près d’une fille qui essaie de construire une cabane et lui dit « tu veux un conseil ? » Il va prendre, avec l’accord de celle-ci, en charge la construction se positionnant en expert en la matière.