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2. CONCEPTUALISATION, UTILISATION ET OBJECTIFS D’UTILISATION DE L’INF

2.3 Objectifs d’utilisation de l’INF

Nous analysons maintenant la diversité des objectifs visés quand il y a utilisation de l’INF dans le cadre du travail de nos répondants. Cette section complète les éléments d’identification et de description de l’INF. Les individus rencontrés font d’abord état d’un objectif central clé de rendement financier. Ensuite, ils rendent compte d’une diversité d’objectifs dans l’utilisation de l’INF. Comme le montre la figure 23, cette diversité s’organise comme des éléments satellites qui, ensemble et à long terme, assurent et supportent l’objectif financier central.

Figure 23

D’emblée, nous organisons la figure 23 avec tout en haut le mandat de l’Organisation comme élément central qui dicte son rôle financier primaire en tant qu’organisation. Nous retrouvons ce rôle au niveau individuel avec la primauté du duo rôle-objectif « ma job est… donc… » exprimé cinq fois tel quel dès le début des entrevues et plusieurs autres fois comme point d’ancrage au cours des entrevues. Ainsi, les citations associées à l’objectif financier central tendent aussi à se rattacher directement au rôle de l’individu et au mode d’utilisation de l’INF identifié comme sa financiarisation. Nous n’avons donc pas créé de famille thématique spécifique pour l’objectif financier central. Celui-ci intègre selon nos répondants l’ensemble des thématiques se rapportant aux objectifs d’utilisation.

Au milieu à la figure 23 se trouve les objectifs d’utilisation de l’INF sur la gestion de risques, notamment de risques de réputation, regroupés sous « TH Famille - Objectif - Gestion de risque financier et de réputation ». La gestion de risques demeure associée étroitement au rôle financier central. Le regroupement autour de la famille thématique de gestion de risques rend explicite le lien entre l’investissement responsable et l’objectif de gestion de risque. Pour plusieurs répondants, la politique d’investissement responsable s’apparente à un cadre ou à un modèle de gestion de risque : « C’est juste comment on fait les choses. » (répondant 86) où l’investissement responsable serait « une meilleure façon de gérer les risques à plus long terme » (répondant 73).

La seconde famille thématique « TH Famille – Objectif – Valeur, évolution et réputation » porte quant à elle sur les objectifs d’utilisation de l’INF associés aux thématiques des valeurs de l’Organisation, sur ses engagements et sa capacité à faire évoluer les entreprises dans lesquelles elle investit. Nos répondants expliquent qu’il s’agit d’un moyen de créer de la « valeur » à long terme. La valeur doit alors se concevoir du point de vue financier comme du point de vue sociétal :

Ça crée de la valeur pour nos clients et ça crée de la valeur pour nos co- actionnaires aussi là. C’est une activité où tout le monde est gagnant, puis le coût de faire ça, relatif à l’investissement qu’on fait, qui est minime et encore moins relatif au rendement que ça peut générer (sic) (répondant 44).

Ces deux premières familles thématiques se rejoignent, puisque la réputation et l’image de marque de l’Organisation constituent un actif de valeur pour l’Organisation : « C’est très clair qu’il y a une valeur là au niveau de la communauté des investisseurs institutionnels » (répondant 56). La protection de cette réputation fait partie de la gestion de risques (première famille thématique). En somme, pour ces deux familles thématiques, les valeurs de l’organisation, sa réputation, sa politique d’investissement responsable, sa gestion de risque et son horizon de placement à long terme constituent un tout imbriqué :

Je pense que oui ça joue un rôle au sens où si [l’Organisation] est un bon citoyen au Québec comme ailleurs, ça lui permet d’avoir une meilleure carte de visite pour développer de meilleurs partenariats. Ça positionne [l’Organisation] comme un bon joueur auprès des gouvernements comme un joueur crédible auprès du secteur privé. Ici, au Québec ou ailleurs dans le monde, donc on parlait en début de conversation du rôle de l’image qui peut avoir un lien direct ou indirect avec la profitabilité. Je pense que la politique d’investissement responsable, je dirais que c’est sa principale contribution à atteindre les [objectifs de l’Organisation]. Donc il s’agit, en ce sens-là, il s’agit d’un outil de gestion du risque de réputation en fait (répondant 76).

Quand on fait ça, on ne le fait pas pour l’image. On le fait parce qu’on pense qu’une entreprise qui gère bien ses risques de gouvernance, environnementaux ou de gestion de capital humain, sociaux essentiellement ou… sociétal, on fait en sorte [qu’] une entreprise qui est bonne sur ces aspects-là sera plus performante et c’est… ça aura… un meilleur avenir et puis aura… oui, une meilleure gestion de ses risques aussi (sic) (répondant 87).

Il y a le fait de vouloir être un investisseur responsable là, au sens vraiment propre de ce mot-là, mais aussi parce qu’on croit qu’il y a des impacts sur le long terme. C’est sûr que l’investissement responsable se voit à long terme. Donc, la pérennité des entreprises, nous on la voit comme incluant l’analyse des facteurs ESG.

-Incluant même les éléments d’engagement actionnarial ?

-Tout à fait. C’est tout simplement dans une perspective [à] plus long terme (répondant 73).

Par ailleurs, notre analyse distingue à la figure 23 une troisième famille thématique d’objectifs relativement distincts (« TH Famille - Objectif - Réserve de connaissances »), pour lesquels les répondants utilisent l’INF afin de constituer une réserve de connaissances utiles dans le temps. Il faut des efforts et du temps aux individus pour acquérir la quantité et la profondeur de connaissances nécessaire à leur travail. L’horizon temporel à long terme des investissements rend plus pertinents ces efforts et le temps investis, notamment parce que le caractère aléatoire de l’INF rend difficile à prévoir à quel moment les impacts financiers potentiels, prévus à partir d’INF, risquent de se matérialiser. En conséquence, il peut y avoir un écart entre le moment où l’INF devient disponible et le moment où les impacts financiers potentiels risquent de se matérialiser :

Je ne sais jamais si ça va me servir ou quand ça va me servir, mais de le savoir, c’est déjà un gros avantage, mais est-ce que ça va arriver, est-ce que ça n’arrivera pas? Si ça arrive, ça va être aussi gros, moins gros? Je ne sais pas, mais de savoir ces choses-là c’est juste un outil de plus dans le coffre (répondant 83).

Ça veut pas dire que ça ne vaut pas la peine de le faire. Ça veut juste dire qu’il faut être très patient (sic) (répondant 37).

En somme, les répondants nous expliquent qu’ils utilisent l’INF en pratique avec en tête plusieurs objectifs concomitants et intégrés. Prenons l’exemple suivant. Un répondant prend connaissance dans les médias de questionnements sur le respect de normes environnementales par un site minier d’une entreprise dans laquelle l’Organisation détient une participation. Notre répondant utilise cette INF pour en déterminer les impacts financiers potentiels (échéancier du projet minier), les risques de réputation du fait d’investir dans une entreprise dont le respect des normes est mis en question dans les médias, ainsi que pour se questionner sur le besoin de mettre de

l’avant des mesures d’engagement actionnarial. Cette dernière mesure serait alors réalisée avec la conviction que l’engagement, à long terme, améliore le bilan financier et contribue à atténuer le risque de réputation. Pour compléter l’exemple, le bagage accumulé de connaissances sur ce projet minier peut servir à mettre en perspective cette nouvelle INF.

Pour terminer la description des codes thématiques sur les objectifs d’utilisation de l’INF, il apparait que le rôle fondamental de l’horizon temporel au bas de la figure 23 sous-tend l’ensemble de l’organisation des objectifs. Notamment, nous constatons que l’horizon temporel à long terme constitue l’élément qui permet d’intégrer la famille thématique d’objectifs d’utilisation d’INF comme réserve de connaissances aux autres objectifs de manière naturelle.

De plus, en analysant plus en détail les codes thématiques des objectifs de la profondeur et des bagages de connaissances, nous observons en pratique une proximité avec la triangulation de l’information et avec la diversité des accès à l’INF : « Je pense que quand on est conscient de ces éléments-là, puis qu’on rencontre les sociétés, on peut avoir, je pense, des meilleures conversations puis des conversations […] plus fondamentales (sic) » (répondant 21). La profondeur et le bagage de connaissances permettraient aussi d’être « déjà préparé, de savoir un peu, de voir venir un peu des tempêtes » (répondant 45) et d’être plus résilient :

Si les résultats sont négatifs, puis qu’on est à l’aise [avec] le modèle d’affaires, que les valeurs, la stratégie est claire, ça, c’est tout du non- financier là. Puis si ça tient toujours, ça va nous permettre d’absorber, d’être plus résilient quand la compagnie connaît un moment difficile. Puis surtout, quand on va se retourner pour expliquer […], voici, il est arrivé ça, ça a affecté notre performance pendant, admettons, telle période, mais voici les raisons pour lesquelles on continue. Le non- financier joue un rôle important là-dedans (sic) (répondant 37).

Cette dernière citation rappelle le lien identifié plus tôt entre la profondeur des connaissances et l’utilisation de l’INF pour comprendre et expliquer l’INF. Le travail des équipes en support contribue à la profondeur des connaissances : « On connaît plus la profondeur de ces compagnies-là aussi. Donc ça prend des équipes comme risque qui vraiment supportent l’analyse plus en profondeur ou plus large, disons. Peut-être pas en profondeur, mais, disons plus large » (répondant 45).

Au chapitre 2, notre contexte théorique distingue les objectifs financiers et des objectifs de développement durable. Lorsque nous comparons la figure 23 avec ces deux catégories d’objectifs d’utilisation de l’INF, nous constatons que nos répondants partagent une compréhension claire et intégrée de la diversité des objectifs d’utilisation d’INF. Qui plus est, la distinction que nous faisons entre objectifs financiers et objectifs non financiers au niveau du contexte théorique parait artificielle à plusieurs de nos répondants. Pour eux, il n’y a qu’un objectif central, financier dans le cas de l’Organisation, et l’ISR correspond à la façon d’y parvenir, d’où une compréhension intégrée des objectifs d’utilisation de l’INF par nos répondants.

Cette clarté contraste avec plusieurs publications consultées, notamment Amaeshi et Grayson (2009) de même qu’Hansen et Schaltegger (2012). Ces derniers analysent les impacts de l’intégration d’objectifs organisationnels en lien avec le DD avec les objectifs financiers plus traditionnels. Ils constatent le risque d’apparition d’une certaine ambiguïté parmi les objectifs poursuivis. De plus, selon Amaeshi et Grayson (2009), l’incertitude et l’ambiguïté entourant les objectifs d’utilisation d’INF en investissement constituent une importante barrière au développement de cette utilisation en pratique.

Nos répondants témoignent plutôt d’une absence d’ambigüité, car nos répondants témoignent tous de manière comparable de la cohérence et de l’intégration de cet ensemble d’objectifs d’utilisation de l’INF. Nos résultats se trouvent malgré tout

appuyés par Hansen et Schaltegger (2012). En pratique, selon eux, l’ambigüité risque d’apparaitre lorsque les objectifs non financiers deviennent de même niveau que les objectifs financiers. Pour éviter cette situation, un système de valeur partagé à l’interne diminue l’ambiguïté des décisions (Hansen et Schaltegger, 2012). Il revient alors aux organisations d’être claires et cohérentes sur la place et le niveau d’importance accordée aux objectifs non financiers dans leurs discours, leurs stratégies, leurs structures décisionnelles. Comme le titrent si bien Hansen et Schaltegger (2012), il s’agit d’une balance subtile « (b)etween shareholder value and multiple goal optimisation20 ».

La notion de valeur est pertinente pour comprendre le risque de confusion selon Amaeshi et Grayson (2009). Selon ces auteurs, il semble perdurer une ambigüité dans le discours sur les objectifs d’utilisation d’INF : parlons-nous de création de valeur financière ou de l’exercice de valeurs en lien avec l’ISR? Ainsi, nous constatons que nos descriptions et analyses de l’intégration des différents objectifs d’utilisation d’INF répondent à cette préoccupation et constituent une originalité d’intérêt par rapport à la littérature actuelle disponible.

Nous constatons aussi que cette notion de valeurs organisationnelles est intégrée aux autres objectifs de la figure 23 de par les liens avec ses conséquences financières potentielles sur l’image et la réputation de l’Organisation, ainsi que sa capacité à faire évoluer les sociétés dans lesquelles elle investit. Par ailleurs, les valeurs au niveau des individus émergent comme un facteur important de leur diversité. Nous abordons ensemble les notions de valeurs individuelles et de valeurs organisationnelles à la section 3.4.1.

Dans un autre ordre d’idées, plusieurs citations de nos répondants nous amènent à analyser plus en profondeur la troisième catégorie d’objectifs d’utilisation d’INF identifiée dans notre contexte théorique : la recherche de légitimité. Cette troisième catégorie fait référence à la théorie de la légitimité et à la théorie néo-institutionnelle. Alors que la théorie de la légitimité porte sur le besoin d’être perçu comme agissant en conformité aux normes sociales existantes, la théorie néo-institutionnelle explique comment les organisations tendent à s’adapter et à se conformer en réponse à des pressions et contraintes de leur environnement institutionnel dans leur quête de légitimité et d’autres ressources nécessaires à leur pérennité (Deegan et Unerman, 2011).

Nous faisons un parallèle entre ces deux théories et la protection de la réputation de l’Organisation comme objectif d’utilisation d’INF à la figure 23. En pratique, les répondants considèrent la réputation de l’Organisation comme un actif intangible qui génère de la valeur pour celle-ci. Les mots « réputation » et « réputationnel » apparaissent d’ailleurs 128 fois dans nos 19 verbatim. La protection de la réputation fait partie des objectifs selon les répondants, en raison de ses conséquences financières potentielles. Toutefois, cet objectif de la protection de la réputation est secondaire ou subordonné à l’objectif financier central, comme le résument les citations suivantes :

Est-ce qu’il y a un enjeu réputationnel? Il y a toujours un enjeu réputationnel partout. […] Donc, c’est la poule ou l’œuf. Est-ce qu’on est comme ça parce qu’on a les journalistes à la porte qui nous attendent ou on est comme ça, puis c’est tant mieux parce que les journalistes sont à la porte et nous attendent? Probablement un peu des deux. Probablement selon les époques il y a une pression qui s’est faite plus forte ou moins forte. Moi, honnêtement, je n’ai jamais senti qu’on faisait des choses ici pour répondre à des journalistes (répondant 37).

[C]lairement, quand on fait ça, on ne le fait pas pour l’image. On le fait parce qu’on pense qu’une entreprise qui gère bien ses risques de gouvernance, environnementaux ou de gestion de capital humain […], on fait en sorte qu’une entreprise qui est bonne sur ces aspects-là sera plus performante et aura un meilleur avenir et puis aura, oui, une meilleure gestion de ses risques aussi (répondant 87).

De plus, trois répondants font état de pression ou d’un mouvement des marchés financiers vers l’ISR, comme l’illustrent les citations suivantes :

C’est un virage que le monde a fait puis on s’en va vers ça (répondant 41).

Il y a un mouvement. Fais que d’après moi il faut qu’on soit là-dedans (sic) (Ibid.).

La prise en compte des facteurs ESG, notamment dans le cadre de l’investissement est de plus en plus nécessaire entre guillemets ou attendue de la part de la communauté internationale (répondant 87).

Notre analyse thématique nous amène à regrouper ces dernières citations à la section 3.1 parmi les thématiques des rôles perçus par les répondants, donc parmi les fonctions, rôles et responsabilités. Nous y soulignons d’ailleurs la proximité entre la notion de rôle et d’objectifs pour nos répondants. Nous constatons ici que ces pressions de l’environnement font partie du contexte de l’Organisation selon les répondants, mais ne constituent pas pour autant un objectif central de l’utilisation de l’INF. Cette situation nous semble avoir du sens par rapport à la position avant-gardiste de l’Organisation dans ce mouvement de l’ISR et de l’intégration des facteurs ESG. Cette position fait d’ailleurs partie des critères pour justifier la pertinence de la sélection de l’Organisation pour la thèse.

En somme, nous constatons des liens en pratique entre l’utilisation d’INF et les théories de la légitimité et néoinstitutionnelle. Toutefois, dans nos résultats, leur place limitée s’intègre dans un cadre plus large, centré sur la production d’un rendement financier à long terme de manière responsable.

Nous terminons ainsi l’identification et la description des thématiques sur l’INF issues de notre analyse qualitative des entrevues menées avec nos répondants. Ces descriptions détaillées répondent à notre premier objectif préalable de recherche. Nous pouvons maintenant identifier et décrire les facteurs pertinents de la diversité des

individus sur la base de ces descriptions de la conceptualisation, de l’utilisation et des objectifs d’utilisation de l’INF en pratique.