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2. CONCEPTUALISATION, UTILISATION ET OBJECTIFS D’UTILISATION DE L’INF

2.1.3 Analyse et discussion

Nous entamons maintenant l’analyse sur les thématiques identifiées et décrites de la conceptualisation. En comparaison avec la littérature existante présentée au contexte théorique, nos descriptions et nos analyses offrent un portrait détaillé de la conceptualisation de l’INF dans un contexte organisationnel précis. Pour organiser les éléments d’analyse et de discussion, nous comparons nos descriptions de la conceptualisation avec les caractéristiques de l’INF identifiées lors du contexte

théorique (section 1 du deuxième chapitre). Nous comparons donc comment les répondants définissent l’INF, quels éléments de vocabulaire et catégorisations ils emploient, les notions d’accès, de sources, de disponibilité et de pertinence, leur perception de l’INF par rapport à l’IF, et pour finir d’utilité de l’INF.

Comme toute première question, nous avons demandé aux répondants d’expliquer à quoi correspond l’INF pour eux dans le cadre de leur travail. Le plus souvent, les répondants ne fournissent pas de définitions, mais plutôt des exemples des INF les plus pertinentes à leur travail, ce que nous désignons comme les référents de l’INF à la section 2.1.2.1 (l’INF réfère à, par exemple, l’information sur la R&D, la force des marques, les valeurs d’entreprises, des indicateurs de risque de réputation, etc.). Cette absence de définition fait écho à l’absence de définition du concept de l’INF du côté scientifique, telle que constatée dans les revues de littératures de Protin et al. (2014) et d’Erkens et al. (2015). Pour les répondants qui fournissent une définition du concept de l’INF, celles-ci se trouvent, à l’instar des définitions mentionnées dans notre contexte théorique, généralement en opposition par rapport à l’IF, par exemple : « tout ce qui est pas chiffré dans l’état des résultats, le bilan, les états financiers (sic) » (répondant 98).

Sur le plan du vocabulaire utilisé lors des entrevues, nos répondants tendent à désigner davantage des types d’INF concrets et ciblés (gouvernance, R&D, etc.) plutôt que d’utiliser des termes vagues et génériques tels qu’INF, information extrafinancière ou encore mesure de performance non financière. Le terme générique le plus utilisé demeure l’information ESG, ce qui correspond aussi au terme le plus utilisé dans la littérature en investissement et en particulier en ISR. Nous constatons toutefois un flou conceptuel à propos de l’INF que nous identifions de deux façons. D’abord, les répondants utilisent fréquemment des termes vagues et indéfinis pour référer à l’ensemble conceptuel formé par l’INF par des expressions types comme « tout ce genre de choses ». Par exemple, le mot « élément » compte 211 apparitions dans les 19 verbatim, tout comme les mots « aspect » (79), « facteur » (66) et surtout le mot

« chose » (403). Ensuite, les répondants font un usage différent de termes pourtant semblable. Notamment, le terme « information ESG » est source d’une réelle confusion en pratique qui est apparue plus d’une fois au cours des entrevues. Certains répondants indiquent utiliser peu l’information ESG, mais considérer l’information sur la gouvernance comme étant fondamentale. Cette confusion se manifeste par exemple dans la citation suivante : « On parle de ESG seulement ou de tout ce qui est non financier ? » (répondant 98), alors que pour d’autres répondants, l’information ESG constitue une catégorisation de toute l’INF. Les répondants qui distinguent l’information sur la gouvernance et l’information ESG tendent à utiliser la catégorisation de l’INF de Cohen et al. (2011), soit l’INF d’abord comme indicateur de performance économique, suivi de l’information sur la gouvernance et enfin l’information sur la responsabilité sociale. Pour ces répondants, l’information ESG correspond donc à cette dernière catégorie de l’information environnementale et sociale seulement.

De la même façon, nos descriptions correspondent bien aux résultats de Saghroun et Eglem (2008), qui observent que selon les analystes financiers, la gouvernance est un élément d’information plus important que l’information sociale et environnementale. Nous notons que les individus, pour exprimer cette hiérarchie dans l’INF pertinente, restreignent leur conceptualisation de l’INF à l’information ESG. D’ailleurs, l’information ESG constitue la principale, sinon la seule forme de catégorisation de l’INF mentionnée par les répondants durant les entrevues pour désigner l’ensemble de l’INF comme espace conceptuel. Ils se trouvent alors à faire abstraction des INF catégorisées comme des indicateurs économiques par Cohen et al. (2011).

Nous constatons dès la période de résidence que le flou conceptuel ne constitue pas un élément problématique selon les répondants. Nous observons que dès la question initiale sur l’ensemble de l’élément conceptuel de l’INF, les répondants en viennent systématiquement à décrire des types d’INF plus précis et plus concrets, puis à y

associer son utilisation, ses objectifs d’utilisation, de même que les facteurs de diversité susceptibles de les influencer.

Nos descriptions des notions d’accès, de sources, de pertinence et de disponibilité de l’INF correspondent pour l’essentiel à ce que nous retrouvons dans la littérature, soit une situation compliquée par une grande diversité tant dans les sources, les formats de divulgation et dans la pertinence de l’INF selon les besoins d’un utilisateur ciblé (A4S, 2012; Amaeshi et Grayson, 2009; Christofi et al., 2012; Hubbard, 2009). Nos descriptions expliquent en détail comme cette diversité s’accompagne d’un travail : approche de recherche plus large, besoin de filtrer et de prioriser l’INF disponible selon sa pertinence. En pratique, les répondants associent chaque type d’INF à une source, un producteur d’information. Nous constatons le parallèle entre la diversité des types d’INF et la diversité des producteurs d’information et des accès à l’INF dans les discours des répondants. La sous-section 2.1.2.2 fait ressortir deux aspects centraux à la notion d’INF identifiés dans notre contexte théorique. D’une part se trouve la diversité des intentions des producteurs d’information dans leur divulgation et, d’autre part, se trouvent les utilisateurs avec leurs objectifs. La mise en relation de ces deux aspects d’une information met en lumière la complexité associée à l’INF dans la diversité des sources productrices d’INF et des types d’accès comme dans la diversité des besoins d’INF.

Nous observons que notre analyse thématique nous amène à regrouper et à traiter séparément les thématiques portant sur la standardisation partielle, alors que ces thématiques se trouvent couvertes d’emblée avec les notions d’accès, de source et de disponibilité selon la plupart des auteurs, par exemple Amaeshi et Grayson (2009) et Saghroun et Eglem (2008). De plus, nos descriptions de l’état de standardisation partielle de l’INF nous paraissent très superficielles par rapport à la couverture imposante qui en est faite dans la littérature actuelle du contexte théorique sur l’INF. Pourquoi cette distinction, malgré une couverture plutôt superficielle dans nos résultats? Nous comprenons que l’intérêt de séparer la sous-section 2.1.2.3 consiste à

faire le lien entre cet état actuel de la divulgation d’INF et les conséquences spécifiques sur son utilisation qui nécessitent des éléments de compétences, tels que nous le décrivons plus loin.

La famille thématique de la spécificité de la pertinence de l’INF se trouve très peu évoquée dans la littérature scientifique consultée sur l’INF. On s’arrête plutôt à constater la complexité de ce travail de démonstration de la pertinence financière de l’INF et au besoin conséquent d’expertise (Amaeshi et Grayson, 2009). Nos répondants mettent en relation cette spécificité de la pertinence de l’INF avec ses conséquences sur le travail d’utilisation de l’INF, sur les compétences requises et sur l’organisation des fonctions, rôles et responsabilités. Nous devrons donc aussi y revenir plus loin.

Parmi les thématiques sur les sources et accès à l’INF, il apparait que nous devons considérer la taille et l’horizon temporel d’investissement de l’Organisation comme terrain de recherche pour la transférabilité des résultats. D’abord, la taille de l’Organisation comme investisseur se répercute sur l’importance des investissements par rapport aux entreprises. Cela transparait dans la nature des accès dont elle dispose en tant qu’investisseur d’importance. Certains types d’accès ne seraient raisonnablement pas disponibles pour des investisseurs de petite taille, par exemple à cause des coûts de visites de sites ou d’un accès plus facile aux dirigeants des sociétés. De plus, comme nous le soulignons au chapitre deux à l’instar de Miller (1992), l’effet ou la valeur ajoutée d’une information varie en proportion de la taille des investissements. Ainsi, pour un coût comparable en termes de temps et d’efforts, plus d’INF deviennent matérielles pour les décisions d’investissements lorsque la taille des investissements augmente.

La première famille thématique de la nature de l’INF souligne fortement la nature relationnelle de l’INF avec l’IF. La quasi-totalité des répondants indique clairement cette nature relationnelle en décrivant, par exemple, qu’en « quelque part,

ça revient tout au financier (sic) » (répondant 17). Cette conceptualisation de l’INF en relation claire avec l’IF semble contraster a priori avec la définition de l’INF fournie par Protin et al. (2014) pour qui l’INF n’a pas de lien direct et facilement mesurable avec la performance financière. Toutefois, nos résultats rejoignent l’esprit de cet aspect de la définition de Protin et al. (2014), puisque la traduction en impacts financiers potentiels de certaines INF s’avère souvent, selon nos répondants, compliquée, puisque les liens sont plutôt indirects et les impacts financiers potentiels difficilement mesurables ou quantifiables. Cette difficulté constitue néanmoins un élément intrinsèque du travail des analystes financiers : « C’est dans le travail d’analyste. Analyste, on analyse » (répondant 21). D’ailleurs, le manque d’explicitation sur les impacts financiers potentiels constitue la principale critique d’Hespenheide et Koehler (2012) à propos de l’INF communiquée par les entreprises en pratique.

Enfin, nos descriptions et analyses de la conceptualisation font ressortir une composante fondamentale de la notion d’information selon Belkin (1978) couverte au deuxième chapitre : son utilité. Nous identifions en effet un lien clair entre la diversité des fonctions des individus, la diversité de leurs objectifs et les types d’INF pertinents à leur travail tel que décrits par nos répondants. Ce lien n’est pas sans rappeler le cadre conceptuel de l’IF de l’IASB publié dans le Manuel de CPA Canada, lequel ne définit pas l’IF, mais en identifie les objectifs.

Au-delà de ces quelques constatations générales, notre stratégie exploratoire et notre échantillon de répondants ne nous permettent pas d’analyser davantage la conceptualisation de l’INF et l’usage du vocabulaire. Comme autre constatation sur les limites de notre analyse, l’importante du caractère évolutif conditionne les réponses reçues et donc nos résultats, puisqu’ils reflètent un état ponctuel au sein d’une évolution dans le temps. Cette évolution est donc à prendre en compte pour la transférabilité des résultats. Il s’agit d’un élément de validité « temporelle ».