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Nature, attributs et classement de l’information non financière

1. QU’EST-CE QUE L’INFORMATION NON FINANCIÈRE?

1.2 Nature, attributs et classement de l’information non financière

Dans la littérature en communication comme en théorie de l’information, la nature d’une information réfère autant au message, l’objet de la communication, qu’aux données et aux symboles (mots et nombres) utilisés pour véhiculer le message. Par exemple, les termes de mesure et d’indicateur au tableau 2 réfèrent plus précisément à des données. Ces mesures et indicateurs peuvent correspondre à de l’information si un utilisateur y trouve une utilité. De plus, l’information est l’objet de la communication par opposition à son contexte. De manière implicite, toute information réfère à un contexte (Belkin, 1978). Elle porte sur quelque chose. Dans notre cas, l’INF réfère dans son ensemble au contexte de la performance des organisations. Telle est la nature d’une information.

Ensuite, les termes « non financiers » et « extrafinanciers » correspondent à des attributs de l’information, alors que cet attribut non financier peut s’adosser à plusieurs autres éléments de nature différente, par exemple une performance non financière ou un objectif non financier, comme le présente le tableau 3.

Tableau 3

Information non financière

L’information non financière peut être à la fois :

mesurée de manière… quantitative qualitative … à propos d’un objet financier non financier … utilisée pour comprendre

la performance

financière non financière

… dans un objectif financier non financier

En somme, notre principal point d’arrêt pour définir l’INF selon le tableau 3 correspond à cet attribut non financier. En effet, beaucoup d’articles scientifiques définissent l’INF seulement par opposition ou par complémentarité par rapport à l’IF de manière explicite ou tacite. Cette opposition sert même souvent d’introduction en chez certains auteurs, alors que la distinction entre INF et IF se trouve prise pour acquise (Erkens et al., 2015; Protin et al. ,2014). C’est d’ailleurs notre cas dans le premier chapitre : le tableau 1 à la section 1 du premier chapitre liste des avantages de l’INF, lesquels sont tous exprimés par des points de comparaison ou de complétion par rapport à l’IF.

Cette dualité entre IF et INF nous amène donc à nous questionner sur ce qui les distingue. Étant donné que l’IF ressort comme un point d’attache important, par contraste, pour notre conceptualisation de l’INF, il nous apparait primordial de chercher à définir aussi l’IF selon la littérature scientifique et selon la pratique professionnelle. Nous présentons ici deux ressources qui nous aident à y parvenir. D’abord, selon le Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière (Ménard, 2004), IF serait synonyme de publication d’information financière et se définirait comme la :

[t]ransmission au public d’information de nature financière établie essentiellement sur la base de la comptabilité de l’entité, principalement au moyen de rapports financiers que celle-ci publie annuellement, trimestriellement, mensuellement, etc. (Ménard, 2004, p. 499).

Cette définition soulève plusieurs points pour notre analyse de l’INF. Premièrement, cette première définition de l’IF, curieusement, englobe et ne fait aucune distinction entre l’IF en tant qu’objet par rapport aux rapports financiers qui la contiennent ni même par rapport au processus de communication de l’IF. Dans ce cas, pour l’INF, est-ce que la distinction que nous faisons entre l’objet d’information, son attribut non financier et son support de communication est superflue, notamment dans la conceptualisation de l’INF par les individus? Deuxièmement, cette définition théorique de l’IF ne spécifie que l’attribut financier d’une information comme élément pertinent pour la qualifier d’IF. Cette définition n’impose donc pas de limites sur ce que l’IF inclut. En conséquence, certaines informations, outre les états financiers produits périodiquement par les organisations, pourraient aussi être qualifiées d’IF. Pensons, par exemple, aux rapports produits par des tiers comme des analystes financiers, aux cours boursiers d’un titre et bien d’autres informations qualifiées de financières. Si nous transposons ces éléments à notre analyse de l’INF, les limites entre IF et INF nous apparaissent floues et difficiles à fixer. En somme, même en spécifiant l’attribut financier de l’IF, cette définition ne nous permet pas d’établir, par opposition, ce qu’est l’INF et ce qu’elle peut inclure.

Comme seconde ressource pour définir l’IF, nous nous référons au Manuel de CPA Canada. Il constitue l’ouvrage de référence qui guide la pratique de la comptabilité financière au Canada. Le cadre conceptuel de l’IF, publié par l’International Accounting Standard Board (IASB), normalise l’IF dite à usage général (principalement les états financiers), telle que publiée par les organisations. Toutefois, ce cadre conceptuel de l’IF ne fournit pas de définition au concept de l’IF. Il définit l’objectif, les caractéristiques qualitatives et les limites de l’IF à usage général. Selon le Manuel de CPA Canada (partie I), l’objectif de cette IF à usage général consiste à :

[F]ournir […] des informations utiles aux investisseurs, aux prêteurs et aux autres créanciers actuels et potentiels aux fins de leur prise de décisions sur la fourniture de ressources à l'entité. Ces décisions ont trait à l'achat, à la vente ou à la conservation de titres de capitaux propres ou de créance, et à la fourniture ou au règlement de prêts et d'autres formes de crédit (CPA Canada, 2015, Cadre conceptuel de l'information financière, paragraphe OB2).

Toutefois, les « rapports financiers à usage général ne sont pas conçus pour montrer la valeur de l'entité comptable; ils comportent toutefois des informations qui aident […] à estimer la valeur de cette entité » (CPA Canada, 2015, Cadre conceptuel de l’IF, paragraphe OB7). En pratique donc, ce qu’on entend par IF demeure donc fondamentalement relié au rôle qu’on lui associe, soit les objectifs de son utilisation, puisque ces rôles constituent la base du cadre conceptuel du Manuel de CPA Canada. Si nous transposons ce constat à l’INF, cette dernière se définit aussi selon les objectifs de son utilisation. Nous consacrons en effet la section 2 du contexte théorique sur ce point. Néanmoins, définir l’IF à partir des rôles qu’elle pourrait remplir soulève plusieurs questions qui nous apparaissent centrales pour l’ensemble de notre contexte théorique, autant pour la conceptualisation de l’INF que pour son utilisation. Si l’objectif premier de l’IF consiste à fournir de l’information utile aux investisseurs, l’INF peut-elle également être utile aux investisseurs? L’IF et l’INF remplissent-elles des rôles identiques, complémentaires ou simplement différents?

Dans un autre ordre d’idée, le fait de définir par opposition et de manière négative l’information non financière influence-t-il la perception des individus sur cette information? Alors que l’IF constitue la source première d’information pour les investisseurs, le fait de borner la définition de l’INF à partir de celle de l’IF en fait-il une information de second ordre? Il nous semble important de distinguer ce point en analysant le vocabulaire utilisé par les individus par rapport à leurs différentes conceptualisations de l’INF.

En somme, nous constatons, à l’instar de Protin et al. (2014) qu’aucune définition commune n’existe sur le concept de l’INF. Prenons par exemple celle suggérée par Protin et al. (2014) : l’INF est produite hors des systèmes comptables, divulguée en dehors des états financiers et sans lien direct mesurable avec la performance financière des entreprises. Cette définition de Protin et al. (2014) cherche à résumer les diverses définitions disponibles de l’INF dans la littérature. En effet, ces définitions ont tendance à porter sur la source de l’INF hors des états financiers chiffrés du bilan, des résultats et des flux de trésorerie (Protin et al., 2014; Erkens et al., 2015), sur le contexte de la performance globale des entreprises (Saghroun et Eglem, 2008; Erkens et al., 2015), ainsi que sur le type de mesures qu’elle peut inclure en pratique (Erkens et al., 2015; A4S, 2012).

Néanmoins, il n’y a pas de façon parfaite pour discriminer l’INF de l’IF. Par exemple, l’IF se limite-t-elle aux sources traditionnelles, soit les états financiers chiffrés du bilan, des résultats et des flux de trésoreries? Qu’en est-il des notes aux états financiers et d'autres communications de nature financière comme les prévisions d’analyste financier?

Nous nous abstenons donc de formuler une définition de référence pour le concept d’INF. De plus, nous constatons au premier chapitre et à l’instar d’Erkens et

al. (2015) que l’absence de définition ne constitue pas une problématique en pratique

lorsque l’usage du terme INF ne sert qu’à référer de manière simplifiée à des données bien identifiées desquelles on souligne le caractère non financier. Bref, l’attribut financier attribuable à une donnée ressort, selon nous, comme l’aspect le plus caractéristique pour discriminer l’INF de l’IF.

Nous ressentons plutôt le besoin de porter notre intérêt sur l’exploration et l’analyse de cette variété conceptuelle en pratique. Par exemple, quels sont les termes les plus utilisés, par qui, dans quels contextes et pour référer à quelle information

concrète? Quelles distinctions les individus font-ils entre les termes? Quels sont les effets en pratique de cette variété de termes et de définitions sur l’utilisation de l’INF? Les distinctions entre la nature, les attributs et les classements de l’INF peuvent nous servir de canevas de base pour analyser le vocabulaire utilisé en pratique. Nous pourrons ensuite comparer l’analyse de cette variété empirique avec celle observée dans la littérature scientifique existante. Enfin, nous remarquons aussi au tableau 2 précédent que le vocabulaire utilisé pour décrire l’INF est aussi associé aux différentes sources d’INF publiée, aux différents modes de mesure et de publication de l’INF employés, de même qu’aux mesures concrètes auxquelles l’INF réfère. Nous élaborons ces aspects dans la prochaine section.

Pour analyser l’utilisation empirique d’INF, il nous apparait aussi pertinent d’identifier des catégories ou des classements du concept de l’INF. À ce propos, l’information ESG, un des termes couramment employés, s’apparente plus à une forme de classement d’INF qu’à un attribut de l’information. En effet, l’information ESG serait une forme de classement des INF jugées les plus utiles ou les plus matérielles avec le temps (Hespenheide et Koehler, 2012). L’information ESG ne constitue pas pour autant une définition restrictive ou arrêtée de l’INF (A4S, 2012). En effet, alors qu’on utilise principalement le terme ESG dans la littérature en ISR, celle-ci tient la définition du concept d’information ESG pour acquise, l’utilise d’une manière vague et la plus inclusive possible. Ce flou s’explique en partie du fait qu’il n’existe aucune définition consistante de l’ISR, comme le soulignent Thompson, Engle et Spain (2011), puisque le concept de l’ISR réfère seulement à la combinaison des objectifs traditionnels d’investissement avec des engagements autres que financiers de manière indéfinie. Comme nous le soulignons au premier chapitre, l’ISR inclut indistinctement toute une variété d’objectifs en même temps qu’une variété de méthodes d’intégration de l’INF. En conséquence, la littérature scientifique sur l’ISR se trouve très diversifiée et utilise le terme d’information ESG pour référer à l’INF en général, d’une manière large et superficielle.

Dans la littérature scientifique, nous avons trouvé un classement selon nous plus pertinent dans le contexte de notre problématique, qui s’avère plus large par rapport au classement de type ESG. En effet, Cohen et al. (2011) suggèrent un classement ad hoc, mais utile pour catégoriser l’INF pertinente pour les marchés financiers selon qu’il s’agit d’indicateurs de performance économique, d’informations sur la gouvernance ou d’informations sur la RSE. Pour Cohen et al. (2011), cette dernière catégorie d’INF inclut les mesures sociales et environnementales. Le tableau 4 rapporte ce classement de Cohen et al. (2011), ainsi que les INF concrètement utilisées dans leur étude.

Tableau 4

Types d’information non financière selon Cohen et al. (2011)

Performance économique et

durabilité Gouvernance Social (sic)

Part de marché; Échelle de qualité; Données de sondage sur la satisfaction de la clientèle; Mesures de la satisfaction des employés;

Taux de roulement des employés;

Données sur l’innovation; Autres.

Standard d’indépendance; Processus de sélection du conseil;

Rémunération des dirigeants; Formation et développement des employés;

Procédure de changement de contrôle;

Lignes directrices sur l’éthique; Système de gestion, tableaux de bords équilibrés et gestion de la qualité;

Autres.

Rétention des employés; Information sur la diversité; Mesures de la santé et sécurité; Pratiques d’achats;

Données sur les droits de l’homme;

Initiatives humanitaires; Satisfaction à la clientèle et sécurité des produits; Relations avec les communautés;

Dons politiques et lobbying; Programmes

environnementaux et

évaluations environnementales; Autres.

Adaptation et traduction libre du tableau 1 de Cohen, J., Holder-Webb, L., Nath, L. et Wood, D. (2011). Retail investors' perceptions of the decision-usefulness of economic performance, governance, and corporate social responsibility disclosures. Behavioral Research in Accounting, 23(1), 109-129.

Nous trouvons intéressant que certaines informations se ressemblent d’une catégorie à une autre au tableau 4. Par exemple, la satisfaction de la clientèle apparait à la fois comme information à caractère économique et comme information à caractère sociale. Qui plus est, les auteurs placent la durabilité sous le même titre que la performance économique, alors que le terme durabilité se trouve plus souvent associé au DD et aux rapports sur la RSE dans la littérature. En somme, cette catégorisation de l’INF, bien qu’ad hoc et discutable, nous semble pertinente pour résumer l’ensemble de la littérature scientifique. Par ailleurs, nous laissons volontairement la mention autre dans chaque catégorie d’INF, à l’instar de Cohen et al. (2011), pour souligner la grande variété des INF qu’il serait possible d’inclure sous ces catégories.

1.3 Information en contexte de communication : variété de sources,