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PARTIE 2 : Revue de littérature

7.   La vidéo-formation des enseignants

7.3. Les objectifs de formation assignés à la vidéo-formation des enseignants

Dans la formation des enseignants, différents objectifs d’apprentissage peuvent être visés à travers l’usage de la vidéo. Il est possible d’en identifier deux : 1) construire des connaissances permettant d’interpréter des situations de classe et de mener une réflexion à son sujet (Gaudin et Chaliès, 2015), 2) apprendre à observer et identifier des éléments pertinents de l’activité des élèves.

7.3.1. La vidéo comme aide pour apprendre à interpréter des situations de classe

L’usage de la vidéo a pour finalité d’aider à l’apprentissage d’habiletés nécessaires pour enseigner, notamment les habiletés à gérer la classe (Overbaugh, 1996), le face à face avec les parents (Olson, 1994), à communiquer et à prendre la parole en classe (Hinton & Kramer,1998) ou encore celles consistant à intervenir pour corriger l’activité des élèves. Cette capacité à corriger l’activité des élèves renvoie à ce que de nombreux auteurs appellent la vision professionnelle ou « professional vision » (Sherin, 2007). Cette habileté est considérée par de nombreuses études comme étant une compétence essentielle des enseignants (Seidel et Sturmer, 2014 ; Sherin, 2007). La vision professionnelle repose sur deux éléments essentiels (Seidel et Sturmer, 2014) : a) la capacité à identifier certains éléments dans une situation d’enseignement/apprentissage (« noticing ») et b) la capacité à réfléchir et à analyser des aspects préalablement identifiés d’une situation (« reasoning ») (Figure 3).

88 Figure 3 : Modélisation de la vision professionnelle des enseignants (Seidel et Sturmer,

2014)

C’est notamment dans le cadre de la formation des enseignants de mathématiques (Sherin, 2004 ; Sherin, Jacobs & Philipp, 2011 ; Sherin, Russ, Sherin & Colestock, 2008) que le visionnement de vidéos constitue une ressource fortement utilisée pour favoriser le développement de la vision professionnelle (Steffensky, Gold, Holdynski & Möller, 2015). L’activité de visionnement de vidéos « n’est pas une activité passive et implique des processus perceptifs » (Sherin, 2007, p. 384) qui vont permettre aux enseignants en formation de développer leur vision professionnelle. Elle contribue notamment à développer leur capacité à identifier la clarté du but assigné aux situations d’apprentissage (« goal clarity »), le type d’aide que l’enseignant peut apporter aux élèves (« teacher support ») et aussi le climat d’apprentissage dans la situation de classe observée à la vidéo (« learning climate »). A partir de ces éléments, l’enseignant peut ensuite mener une réflexion sur la situation d’enseignement/apprentissage jusqu’à pouvoir concevoir lui-même et mettre en œuvre une situation d’enseignement. Il est à noter, cependant que les études portant sur la vision professionnelle ne rendent compte que des transformations cognitives chez les enseignants, mais pas des transformations réellement effectives dans leur pratique en classe.

Un des apports importants de la vidéo pour aider les enseignants à réfléchir sur les pratiques de classe est l’aide à « la description » des situations (« description », Seidel & Sturmer, 2014). Cette dernière se réfère à la capacité à différencier clairement, et de façon objective, les aspects pertinents d'une situation d'enseignement/apprentissage observée (par exemple la clarté des objectifs), sans porter de jugements. Cette description prend appui sur des connaissances jugées professionnelles car elles permettent de décrire une situation selon ses

attributs avant d'expliquer la situation (« explanation », Ibid.) et de prédire des conséquences possibles (« prediction », Ibid.). L’objectif de ces études basées sur le développement de la vision professionnelle est d’améliorer le raisonnement de l’enseignant à propos de la pratique d’enseignement dans la classe.

7.3.2. La vidéo comme aide pour apprendre à observer l’activité des élèves

Un des objectifs visés à travers l’usage de la vidéo en formation des enseignants est d’apprendre à observer et identifier des éléments pertinents de l’activité des élèves afin de comprendre celle-ci et d’apprendre à la corriger. En effet, les enseignants en formation présentent une certaine « cécité » à l’activité des élèves, aux évènements en classe. Leur activité d’analyse reste superficielle et peut être qualifiée de « butinage » (Delpoux et Veyrunes, 2010), au sens d’une analyse « en surface » de l’activité des élèves. A contrario, ils présentent une centration accrue sur l’activité de l’enseignant et la gestion de la classe plutôt que sur la supervision et la correction des apprentissages.

Van Es & Shérin (2008) avancent que la vidéo pourrait aider à identifier ce qui est important dans la situation visionnée, utiliser ce que l’on sait du contexte pour raisonner sur la situation, et faire des liens entre des évènements spécifiques et des principes pour enseigner et apprendre (« learn to notice ») : « la capacité d’identifier les comportements des élèves est une compétence particulière qui doit être développée chez les enseignants en formation » (« The ability to notice student behaviors is a particular skill that needs to be developed in preservice teachers », Van Es & Sherin, 2002, p. 578). Les résultats de Star & Strickland (2007) vont aussi dans ce sens. Ils montrent que l’usage de la vidéo en formation des enseignants permet d’apprendre à observer (« learn to observe ») et de développer des habiletés d’observation (« observation skills »). Pour eux, le visionnement de vidéos (lors de cours à l’Université) de situations de classe entraîne un changement dans cette capacité à observer : « le cours a entraîné une augmentation significative des compétences d'observation des enseignants, en particulier dans la capacité des enseignants à noter les caractéristiques de l'environnement de la classe, le contenu mathématique d'une leçon et la communication des enseignants et des élèves lors d'une leçon » (Star & Strickland, 2007, p. 107). De plus, pour Yakura, (2009), l’usage de la vidéo serait un moyen de favoriser le développement chez les étudiants d’une intelligence visuelle : « la vidéo fournit une forme visuelle de rétroaction, mais les étudiants doivent développer une sorte d'intelligence visuelle, une capacité d'analyse de la vidéo avant qu'elle puisse être utilisée. "Apprendre à voir" favorise la métacognition » (« Videotape provides a visual form of

90 feedback, but students must develop a kind of "visual intelligence"-an ability to analyze video before it can be of use. "Learning to see'' promotes metacognition » p. 177). Cette étude montre que les enseignants en formation ont appris à interpréter des vidéos ; ils utilisent ensuite cette compétence pour établir des stratégies d’enseignement et adopter un comportement réflexif envers leur enseignement.

Ainsi, ces différentes recherches montrent qu’il est possible d’apprendre aux étudiants en formation à identifier, et interpréter, certains aspects saillants de l’activité des élèves en classe. Les aspects importants à prendre en compte pour enseigner sont, d’après ces études, disponibles et visibles dans les vidéos visionnées ; et les étudiants doivent apprendre à les voir (« learn to notice ») ou les observer (« learn to observe »), ce qui conduit à développer chez eux une « visual intelligence ». Cependant, ces approches demeurent assez prescriptives : les vidéos utilisées en formation sont davantage conçues comme un moyen de prescrire des façons de faire la classe.

S’il nous semble intéressant d’envisager l’usage de la vidéo comme un outil intéressant à utiliser dans la formation des enseignants, nous envisageons son usage non pas pour identifier des situations standardisées d’enseignement mais plutôt des situations typiques, qui sont « indexées aux mondes typiques des débutants » (Ria, 2009b).