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Objectifs et déroulé de la thèse

1.3 Vers les phases denses de particules actives

1.3.2 Objectifs et déroulé de la thèse

Une évidence à la lecture de l’état de l’art présenté dans la section précédente est l’absence d’étude expérimentale concernant les phases denses de particules actives. Il existe au moins deux raisons à cela. D’une part, on a remarqué le délai de 15 ans qui a séparé la première modélisation de la transition de mouvement collectif

1.3. VERS LES PHASES DENSES DE PARTICULES ACTIVES 31 (1995) et ses premières réalisations expérimentales (2010), puis son observation spectaculaire par l’équipe de D. Bartolo (2013), c’est-à-dire à peine un an avant le début de cette thèse. En effet, il a fallu un temps assez considérable avant de concevoir de “bons” systèmes expérimentaux modèles. D’autre part, ces mêmes systèmes expérimentaux se prêtent assez mal à l’étude des phases denses. La plupart reposent sur un mécanisme de transport phorétique, qui est facile à décrire pour une particule isolée, mais qui devient nettement plus délicat à appréhender quand il s’agit de décrire l’interaction entre particules, et surtout dont l’efficacité, qui s’appuie sur des gradients de concentration, est fortement compromise dans une assemblée dense de particules pour laquelle la superposition, voire le mélange, des champs de concentration propre à chaque particule risque de réduire les gradients du fait de la diffusion.

Le système des grains marcheurs mis au point par Julien Deseigne est évidemment à l’abri de ce genre de problème, et il semblait très naturel de le mettre à profit pour étudier les premières phases denses expérimentales de la matière active.

Questions posées

Au début de cette thèse, nous ne disposions que d’une taille de disques (4 mm) auto-propulsé. Ceci permettait de commencer à étudier le phénomène de cristallisation, mais pas la transition vitreuse. Nous avons donc fait fabriquer une nouvelle série de grains marcheurs, de diamètre 5 mm, sachant que pour des disques passifs, ce type de mélange bi-disperse produit un verre modèle.

Par ailleurs, autant il est aisé de contrôler la fraction surfacique d’une assemblée de disques, autant il est beaucoup plus difficile de contrôler leurs propriétés dyna-miques. Le dispositif expérimental que nous détaillerons permet de varier l’ampli-tude de la vibration à l’origine du déplacement des disques. Cette vibration déter-mine à la fois la vitesse de déplacement des disques, l’amplitude de la diffusion rotationnelle, donc la persistence de la marche des disques, mais aussi l’alignement entre les disques, qui dans le cas présent a une origine purement dynamique liée à la relaxation de son orientation et de sa vitesse. En régime dilué, Julien Deseigne avait caractérisé l’ensemble de ces paramètres, et nous les avons mesuré à nouveau pour tenir compte des modifications apportées au dispositif expérimental. Cependant, il faut garder à l’esprit que pour la particule isolée, ces paramètres sont évalués et fixés, et nous ne savons que très peu de chose sur ce qu’ils deviennent en phase dense.

Les questions que nous nous sommes donc naturellement posées au début de cette thèse sont les suivantes :

A l’ordre zéro, l’activité a-t-elle un effet qualitatif non trivial sur le comportement des phases denses de façon générale ? En effet, nous pourrions argumenter que dès

lors que les particules entrent en collision de multiples fois, en un temps bien infé-rieur au temps de persistence des trajectoires actives, l’effet de l’activité est noyé par la diffusion induite par les collisions. Quel est le rôle de l’alignement dans ce processus ? Nous pourrions penser, d’une part, que celui-ci risque d’être fortement réduit. D’autre part, nous pourrions concevoir aussi que si les particules s’alignent, le nombre de collisions se réduit. L’alignement pourrait donc contribuer à préserver le caractère actif de la dynamique.

Si l’activité se maintient, quels sont ces effets ? Une tendance commune observée dans l’ensemble des simulations est qu’elle favorise le maintient de la phase liquide à des densités plus élevées. Mais on sait par ailleurs qu’elle induit cette séparation de phases par motilité. Comment se couplent les effets de haute densité à cette séparation de phases ? Quels en sont les conséquences sur les propriétés de transport au sein des phases denses actives ?

Afin de répondre, sinon à toutes, au moins à certaines de ces questions, nous avons commencé par étudier la cristallisation du système de disques autopropulsés mono-disperses en la comparant systématiquement avec celle d’un système de disques isotropes passifs. Nous verrons que nous avons obtenu un certain nombre de résultats remarquables concernant la cristallisation, puis la stabilité de la phase cristalline. Ceci nous a conduit à étudier le rôle des défauts dans la phase active dense. Dans la foulée, inspiré par un article de l’équipe de M. Dijkstra [89], nous avons aussi étudié l’effet du dopage d’un cristal passif par un sous-ensemble de particules actives. Au cours de l’année 2015, une question a soudainement violemment animé la commu-nauté de la matière active. Assez naturellement, suite à la découverte du mécanisme de séparation de phases induites par la motilité, la question s’est posée de savoir ce qui régissait l’équilibre entre les deux phases. Peut-on définir des potentiels ther-modynamiques tels que la pression, ou le potentiel chimique ? Un nombre d’articles spectaculaires est paru en l’espace de 6 mois sur ces questions. Ils firent l’objet d’une session spéciale lors du Workshop “Active Liquids” organisé à Leiden, en juillet 2015. Cette activité a motivé la réalisation d’une étude spécifique qui nous a temporairement éloigné de la problématique des phases très denses.

Enfin, nous avons repris l’étude de celles-ci en conduisant les premières expériences de verres actifs tout en mettant à profit l’arrivée des particules de plus grande taille, ce qui nous a permis de réaliser un mélange bi-disperse de disques auto-propulsés. A l’heure de rédiger ce manuscrit, les images ont été acquises et traitées ; malheureusement le temps m’a manqué pour finaliser l’analyse des données. Nous ne serons donc pas en mesure de reporter ici des résultats concernant le verre actif.

Organisation du manuscrit

1.3. VERS LES PHASES DENSES DE PARTICULES ACTIVES 33 Le premier chapitre se consacre à la présentation du système expérimental. Le système mis au point par Julien Deseigne a été quelque peu modifié, suite au dé-ménagement de l’expérience de Saclay à Paris. Nous présentons dans ce chapitre les modifications apportées au montage, et le pourquoi de celles-ci. Nous en profi-tons pour présenter de façon précise le protocole suivi pour assurer la plus grande robustesse possible aux expériences. Enfin, nous y caractérisons la dynamique in-dividuelle et collective des disques que nous comparons à celle reportée par Julien Deseigne.

Le deuxième chapitre concerne la transition de cristallisation. Après une introduc-tion sur la cristallisaintroduc-tion des disques durs d’équilibre, nous passons à l’étude de la structure et de la dynamique des systèmes de disques auto-propulsés au fur et à mesure de l’accroissement de la fraction surfacique, que nous mettons systémati-quement en regard de celle de disques isotropes. Nous verrons en quoi la transition de cristallisation est modifiée par rapport à celle d’équilibre, et quelles sont les caractéristiques de la phase la plus dense obtenue au cours de cette première étude. Ceci nous conduira, dans un troisième chapitre, à nous intéresser au rôle des défauts topologiques dans la dynamique à haute densité. Après un rappel de leur rôle dans la fonte des cristaux d’équilibre à deux dimensions, nous tentons de voir à quel point le scénario de fonte par la mesure de la densité de défauts s’applique au cas des disques polaires. Nous avons également préparé dans une enceinte hexagonale un cristal parfait, au sein duquel nous pouvons introduire des défauts de façon contrôlée. Nous verrons que même dans ces conditions optimales de cristallisation, la dynamique du système de disques actifs a de quoi nous surprendre. Cette étude a été étayée par une étude numérique, conduite en collaboration avec Michael Schindler. Le quatrième chapitre rapporte l’étude que nous avons faite, inspirée par les travaux de M. Dijkstra [89] concernant le dopage d’un cristal passif par une sous population de particules actives. Nous y décrivons deux séries d’expériences. Dans la première, les disques polaires sont déposés de manière isolée dans le cristal et on s’intéresse notamment à leur interaction avec un joint de grain du cristal passif. Dans la seconde, les disques actifs sont introduits sous la forme d’une goutte condensée.

Enfin, le cinquième et dernier chapitre présente les résultats obtenus, en ce qui concerne la mesure d’une pression mécanique dans un liquide de disques actifs. Ce travail a été mené en collaboration avec un stagiaire, Gaspard Junot et un ATER théoricien, René Ledesma-Alonso. Nous expliquons comment à l’aide d’un système de membranes artificielles, nous avons pu montrer que la pression mécanique d’un système de particules actives dépend explicitement de la membrane et ne peut donc pas servir de variable d’état.

Chapitre 2

Système expérimental, modèle et

simulations

L’expérience utilisée au cours de cette thèse a été conçue et montée par Julien Deseigne au cours de la thèse qu’il a effectuée au sein du Service de Physique de l’Etat Condensé, au CEA Saclay (Réf. [19, 20, 21]). Cette expérience a permis de mettre au point un modèle de marcheurs persistants, de comprendre leur dynamique, ainsi que leurs comportements collectifs.

C’est le même dispositif qui a été déménagé à l’ESPCI en 2011, lors de la création de l’équipe EC2M par Olivier Dauchot. Le système expérimental a été quelque peu modifié depuis son état d’origine. Certaines modifications sont liées à sa réinstalla-tion à l’ESPCI, les autres ont été envisagées pour améliorer le dispositif à la lumière de l’expérience acquise.

Dans une première partie nous nous intéresserons au montage actuel. Nous insis-terons sur les quelques changements apportés à l’expérience initiale. Nous nous fo-caliserons ensuite sur la chaîne d’acquisition. Nous verrons en particulier comment l’analyse d’images a été réalisée. Ensuite, nous résumerons les principales carac-téristiques du mouvement individuel des marcheurs et leurs propriétés collectives, obtenues dans le cas de l’expérience initiale et dans les nouvelles conditions expéri-mentales. Pour finir, nous décrirons le modèle théorique des marcheurs, permettant ainsi de les simuler dans la phase liquide.

2.1 Dispositif de disques durs vibrés

Le principe de l’expérience consiste à mettre des disques en vibration, en assurant soigneusement le contact des disques avec le plateau vibrant de telle sorte qu’ils réalisent les dynamiques souhaitées. Deux types de disques ont été imaginés par

(a) (b)

Figure 2.1 – Schéma et photo d’ensemble des disques durs ISO et SPP. Figures extraites de la Réf. [19]. (a) : Schéma d’un disque dur SPP (haut) et d’un disque dur ISO (bas) ; dans le cas du disque dur SPP, le contact avec le plateau vibrant est ponctuel et métallique à l’avant, linéaire et en caoutchouc à l’arrière ; le vecteur ~n indique la polarité de la particule ; dans le cas du disque dur ISO, le

contact avec le plateau vibrant est un cylindre. (b) : photo d’un ensemble de disques durs SPP : on distingue bien le point noir qui permet de repérer la polarité de la particule.

Julien Deseigne. Le premier vise à modéliser un mouvement dirigé persistant ; par la suite nous qualifierons ces disques d’“auto-propulsés”, ou bien “disques SPP” (Self Propelled Particles). Le second type de disques vise à servir de système de référence, en s’approchant au plus près d’un système de disques d’équilibre. Ils sont donc conçus pour exécuter un mouvement Brownien. On appellera ceux-ci les disques “ISO” (Isotropes).