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systémique du niveau d’intégration du moléculaire au paysage

4. CIGESMED, premier programme cadre de cette étude

4.1 Objectif de la thèse dans le cadre de CIGESMED

Il existe actuellement différents indices aidant au suivi des habitats marins, utilisés par les réseaux de surveillance au niveau national. Pourtant, les indices, leur utilisation et la signification de leurs valeurs varient souvent d’un endroit à l’autre (Borja et al., 2009). Une synthèse des impacts sur les habitats marins méditerranéens, réalisée en 2010, a conclu notamment qu’il y avait un manque de connaissance sur la distribution spatiale des habitats, et particulièrement un manque de données dans l’est de la Méditerranée. Une production de données standardisées est la condition sine qua non d’une évaluation correcte de l’impact anthropique sur les habitats marins (Claudet et al., 2010). Le manque de connaissance ainsi pointé est d’autant plus marqué au niveau des habitats coralligènes, encore mal connu. Dans ce contexte, le projet CIGESMED (programme franco-gréco-turc décrit dans l’annexe 3) a associé gestionnaires et scientifiques travaillant sur les habitats coralligènes, afin de concevoir et préparer un réseau d’observateurs utilisant des méthodes standardisées et inter-calibrées. Le work package 2 qui consistait à élaborer des protocoles et le work package 6 consistant à utiliser de nouvelles approches pour trier, organiser, fouiller les grands ensembles de données hétérogènes produites et développer un système d’information utilisable à différents niveaux par des scientifiques, des décideurs, des gestionnaires de l'environnement et par le grand public, ont été un des cadres de cette thèse.

Définition des habitats coralligènes

Le terme « coralligène », étymologiquement “producteur de corail”, a été utilisé pour la première fois par Marion en 1883 pour décrire les fonds durs appelés broundo par les pêcheurs de Marseille (Marion, 1883). Marion pensait que le corail rouge (Corallium

rubrum) était typique de ces fonds biogènes durs. Actuellement, le terme « coralligène »

fait débat, car la présence de corail rouge n'est ni obligatoire ni exclusive dans ce type d’habitat. Les habitats coralligènes à forte densité de Corallium rubrum ne sont que l'un des types possibles de ces habitats [RAC/SPA UNEP – MAP (2006)]. En 2006, Ballesteros recommande d'utiliser les termes "habitats coralligènes" car il en existe de nombreux types.

Dans le contexte européen actuel, les habitats coralligènes sont considérés comme des habitats “d'intérêt communautaire” (Directive Habitats 92/43 / C.E.E., code de l'habitat : 1170-14) et devraient être promus comme habitats « prioritaires ». Ces milieux sont actuellement considérés comme le deuxième « hotspot » de biodiversité marine en Méditerranée (la prairie de Posidonie serait la première selon Boudouresque, 2004), car plus de 1700 espèces utilisent ou vivent dans ces habitats (Ballesteros, 2006).

Ils sont aussi considérés comme des zones écologiques de grande valeur par la Convention de Barcelone : en 2008, cette convention a proposé un plan de gestion des habitats coralligènes. Pourtant, en France, en Europe comme dans les autres pays limitrophes de la Méditerranée, il n'existe actuellement aucun instrument réglementaire pour leur protection. De manière générale, la Directive-cadre sur la stratégie pour le milieu marin de l'Union européenne (D.C.S.M.M., en anglais Marine Strategy Framework Directive, M.S.F.D.), impose que chaque Etat élabore une stratégie et un plan d'action (P.M.A., Plan d’Action pour la Méditerranée, dans notre cas) pour atteindre et maintenir le « bon état écologique » de ses habitats marins. Ce « bon état écologique », tel que défini par la D.C.S.M.M., est évalué par onze descripteurs sur l'état et les pressions mesurées dans chaque milieu. Le premier colloque sur les habitats coralligènes a été lancé en 2009 (P.N.U.E.-MAP-CAR / SPA, 2009) pour donner suite au plan d'action pour la conservation de la végétation marine (adopté en 1999 par les parties prenantes de la Convention de Barcelone).

Depuis la publication de Marion en 1883, de nombreuses études faisant référence aux habitats coralligènes ont été publiées : Laborel (1961), Laubier (1966), Hong (1980), Sartoretto (1996) ou Ballesteros (2006). Néanmoins, les habitats coralligènes, dont on commence à percevoir la diversité des fonctions écologiques, ont un potentiel d’interaction fort avec les autres habitats p.e. les prairies de posidonies) quand ils leur

sont contigus. Sont-ils un catalyseur de la richesse en biodiversité des habitats environnants ? Pour l’instant, ces assemblages d'habitats complexes à très faible dynamique de construction sont encore trop peu documentés pour le savoir.

Dans le cadre des ateliers organisés par les participants au programme CIGESMED, une nouvelle proposition de définition tenant compte des disparités des assemblages d’espèces entre l’est et l’ouest de la Mer Méditerranée a été faite :

“Reefs in dim-light conditions mainly bio-constructed on hard substratum by calcifying coralline algae widespread throughout the Mediterranean Sea, including patchwork of habitats complicated by the action of bioeroders. These complex biogenic formations provide a number of different conditions of light, food and shelter. They are often considered as biodiversity hotspots gathering numerous sessile and sedentary species such as sponges, bryozoans, corals and gorgonians depending on the region and on the depth, to which hundreds of sciaphilic species are associated. These complex environments are a reservoir of natural resources (fisheries, red coral) and form highly valued landscapes sought by divers".44

“Le coralligène”, un patchwork d’habitats riches et variés

Que ce soit à l’échelle méditerranéenne (Fredj et al., 1992 ; Coll et al., 2010) ou au niveau d’une mer régionale voire locale et parfois en ne considérant qu’un seul faciès (Casas-Güell E. et al., 2016), cet habitat montre une grande diversité aussi bien en terme de composition spécifique que de structure.

Les habitats coralligènes sont considérés comme des paysages sous-marins complexes, une sorte de puzzle écologique (UNEP – MAP – RAC/SPA, 2009) ayant une structure très complexe (Figure 8) et permettant le développement de plusieurs types de communautés (Laborel, 1961 ; Laubier, 1966 ; Laborel, 1987 ; Ballesteros, 2006). La grande complexité structurelle et écologique du coralligène engendre une multiplication d’unités biocénotiques (Hong, 1980 et Hong, 1982) et donc de nombreux faciès.

44 C’est cette définition du coralligène qui est prise en compte dans ce travail. Elle n'inclut donc pas

certains faciès du « pré-coralligène » décrits par plusieurs auteurs (par exemple, Pérès et Picard, 1964 ; Gili et Ros, 1985 ; Ross et al., 1984 ; Gori et al., 2011), si ceux-ci ne comportent pas de concrétion basale d’algues corallines. Dans les faits, même dans ces faciès marqués généralement par des algues photophiles telles que Udotea petiolata ((Turra) Borgesen, 1926) et Halimeda tuna ((J. Ellis & Solander) J.V. Lamouroux, 1816), ces concrétions basales sont fréquentes.

Figure 8 : Dessin d’un bloc de coralligène (d’après Laubier, 1966) représentant un bourrelet de concrétionnement coralligène anfractueux, vu partiellement en coupe. Construit par des strates d’algues calcifiées, il offre un habitat à une foule d’invertébrés et d’algues.

La description de ces faciès en considérant les différentes biocénoses45 est conditionnée par

la prédominance d'une ou de plusieurs espèces remarquables (gorgones, éponges dressées, bryozoaires). Cette prédominance - souvent sous forme d’association46 - est

favorisée par la valeur particulière et locale de certains facteurs physico-chimiques et géomorphologiques (courant, sédimentation, lumière et profondeur, rugosité, pente et orientation) dont la caractérisation est encore peu aisée, et qui peuvent changer à une échelle

45 Groupement d’organismes vivants, liés par des relations d’interdépendance dans un biotope dont

les caractéristiques dominantes sont relativement homogènes ; chaque biocénose comprend notamment la phytocénose, limitée aux végétaux, et la zoocénose, limitée aux animaux (d’après UNEP, PAM, CAR/ASP, 2006).

46 Aspect permanent d’une biocénose avec une dominance végétale dans laquelle les espèces sont

liées par une compatibilité écologique et une affinité chorologique (d’après UNEP, PAM, CAR/ASP, 2006).

métrique. La description de ces faciès selon leurs aspects bionomiques seulement reste difficile et leur distribution est très relative aux micro-conditions environnantes (Virgilio et al., 2006), essentiellement la luminosité naturelle et la courantologie, qui influencent et conditionnent fortement la création et l’emplacement de différents écotones47 et enclaves.

La complexité structurale des habitats coralligènes favorise l'alimentation, le frai et la protection de certaines espèces de poissons (Claudet et al., 2006). La présence de support solide (algues corallines, bryozoaires…) permet le développement d'une grande biodiversité d'espèces épi-benthiques, des ressources alimentaires potentielles pour les poissons vivant sur des fonds différents (Martins et al., 2013). Les nombreux trous, anfractuosités ou fissures fournissent des abris pour les espèces benthiques, qui peuvent s'installer ou se cacher des prédateurs (e.g. crustacés : langoustes (Palinurus elephas), cigales (Scyllarus arctus et

Scyllarides latus), homards (Homarus gammarus), scorpénidés (Scorpaena spp.), serrans

(Serranus cabrilla, Serranus scriba) ou congres (Conger conger) (Humphries et al., 2011 et

cf. convention de Barcelone, IV.3.1. - Biocénose coralligène).

Interactions biotiques au sein des habitats coralligènes

La forte complexité structurale des différents types d’habitats coralligènes et le fait que ces habitats soient souvent sous forme de patchs insérés dans d’autres milieux, multiplient les espaces de transition. Laubier en 1966, considérant cette complexité, a défini ces concrétions coralligènes comme un “carrefour écologique”. Cette diversité et complexité de l'habitat induit aussi une plus grande diversité morphologique des espèces y trouvant refuge (Farré et al., 2015).

Les organismes constructeurs du coralligène et les bioérodeurs endolithes48 sont en

perpétuelle compétition. De ce fait, la vitesse de croissance de ces bio-concrétions est très lente (moins de 1 mm par an) et certaines concrétions ont mis plusieurs milliers d‘années pour atteindre leur taille actuelle (Sartoretto et al, 1996).