• Aucun résultat trouvé

Les observations à large échelle de l’espace océanique côtier sont basées sur l’orthophotographie, mais le traitement des images (transformation de la photo en polygones dans un SIG) reste manuel jusqu’en 2000. En France, l'IGN a procédé à la numérisation de toutes les prises de vue aériennes réalisées depuis 1945 et les rend accessibles dans la BD ORTHO® Historique. L'IGN a initié la production d'une édition couvrant la France entière des années 50, avant les grands aménagements des années 60. Ces bases de données ont notamment servi à estimer la surface des herbiers de posidonie (Posidonia oceanica) à partir des années 80. Néanmoins, la numérisation de ces habitats est toujours manuelle, et les erreurs d’interprétation des photos amenant à sous-estimer ou surestimer les tailles des mattes de posidonies peuvent être nombreuses (amas de feuilles de posidonies mortes, herbiers clairsemés). Avec l’avènement de l’observation via les satellites, l’augmentation des capacités de stockage et l’amélioration continue des capteurs photo et vidéo, de nouvelles bases de données ouvertes accessibles aux chercheurs en écologie marine ont vu le jour. Celles ci permettent par exemple aujourd’hui de cartographier et de suivre les efflorescences algales. Cette grande masse de données fournie par l’observation de l’espace (remote sensing – télédétection) a nécessité le développement d’une méthode d’analyse automatisée. Cette méthode est basée sur la segmentation de l’image en zones en fonction de leurs caractéristiques (en général un ou plusieurs spectres), puis à l’attribution de chaque zone à une classe correspondant à un type d’objet. Ces techniques très utilisées aujourd’hui en milieu terrestre ne sont utilisables que dans la zone peu profonde (maximum 40 mètres) et dépendent de la turbidité de l’eau. Elles sont d’autant moins adaptées à des habitats qui peuvent être verticaux (et profonds) comme les habitats coralligènes. D’autres techniques de classification automatisée ont été développées notamment pour le plancton (basées sur la cytométrie en flux), ou sur l’extrapolation d’images sonar qui permettent aujourd’hui de cartographier les profondeurs avec une précision de l’ordre du mètre. Elles restent inappropriées pour les peuplements et habitats benthiques.

L’observation automatisée peut aussi être faite in situ. Elle est alors basée sur des enregistreurs, souvent spécialisés, d’un facteur abiotique capté par une cellule de mesure dont l’entretien est plus ou moins onéreux, mais jamais facile. Ces capteurs, souvent regroupés sur une station, ne sont pas utilisés à large échelle pour les habitats benthiques. L’apparition de drones permet aujourd’hui de couvrir de plus grandes surfaces, mais ils restent rarement utilisés pour les études du benthos car leur localisation en cours de mesure reste très imprécise et leur pilotage près des substrats, aléatoire. Il s’agit probablement de

technologies prometteuses, à condition de développer ensuite le moyen d’analyser les données brutes produites (photo, vidéo, son, autres capteurs…)

2.3 La nécessaire utilisation de données d’interprétation

Les observations du benthos automatisables sont basées de plus en plus sur la vidéo / la photo. Néanmoins, compte-tenu de la complexité des écosystèmes observés et du nombre de taxons encore à découvrir, de la difficulté de localiser précisément les images enregistrées, et du manque de référentiels et d’expert pertinent pour améliorer la reconnaissance des taxons via des photographies du benthos, les systèmes de classification sont aujourd’hui peu opérationnels. Une grande partie de l’acquisition de connaissances se fait donc en plongée, et le socle de connaissances de la vie sous-marine reste encore fortement dépendant de l’enrichissement des collections prélevées in situ. Le développement de la plongée comme moyen d’observation a posé un certain nombre de questionnements aux communautés de systématiciens et d’écologues concernant la précision des relevés basés notamment sur des images vidéo. Certains articles comme celui cité ci-dessous ont été co-signés par un grand nombre d’auteurs (crowdsourcing24).

Ces textes montrent la méfiance des naturalistes spécialistes concernant la description d’espèces sur photos, en se passant de la mise en collection académiquement reconnue :

“The question whether taxonomic descriptions naming new animal species without type specimen(s) deposited in collections should be accepted for publication by scientific journals and allowed by the Code has already been discussed in Zootaxa (Dubois & Nemésio 2007; Donegan 2008, 2009; Nemésio 2009a–b; Dubois 2009; Gentile & Snell 2009; Minelli 2009; Cianferoni & Bartolozzi 2016; Amorim et al. 2016). Photography-based taxonomy is inadequate, unnecessary, and potentially harmful for biological sciences Article in Zootaxa 4196 (3) : 435-445 · November 2016,

DOI : 10.11646/zootaxa.4196.3.9”

Ce texte en “crowdsourcing” appelle donc à la prudence concernant l’utilisation unique ou même prioritaire de la photographie pour des études taxonomiques. Néanmoins, le plus gros des observations, notamment dans le milieu marin, est basé sur des photos (notamment pour les milieux profonds ou peu accessibles comme les habitats coralligènes). Pour exploiter les images de plus en plus nombreuses, il est nécessaire d’ajouter aux descriptions de collections les caractères extérieurs possiblement visibles sur photos. Ces éléments permettent de déterminer un spécimen “photographié” dans les descriptions taxonomiques, en précisant à quel niveau taxonomique cette détermination est faisable, à

24 on appelle crowdsourcing, le fait de rédiger un document en laissant au plus grand nombre la

une date donnée (sachant que la découverte d'espèces cryptiques25 peut révoquer cette

détermination). Un référentiel de ce genre de caractères permettrait par exemple de connaître quelles erreurs sont possibles ou probables en fonction de la région (en tenant compte du possible déplacement des taxons d’une région à une autre) et ainsi de valider ou invalider certaines données. La majorité des observations concernant ces milieux étant basée sur des photos, ces données, que l’on peut appeler données issues d’interprétations de photos / vidéos, restent actuellement irremplaçables concernant l’étude des substrats benthiques durs en milieu côtier. L’enjeu est aujourd’hui de pouvoir s’appuyer sur les systématiciens et les taxonomistes dont l’intérêt est de décrire de manière la plus complète possible soit un phylum soit une faune liée à un habitat ou un site, pour obtenir le savoir nécessaire pour constituer des listes de taxons utilisables (c’est à dire reconnaissables) avec le moins d’erreurs possibles sur les supports audio, vidéo ou photo. Les bases de connaissances ainsi constituées seront des matériaux précieux pour développer les nouvelles méthodes de reconnaissance automatique (machine learning et deep learning sont des exemples utilisés dans de nombreuses disciplines).

2.4 L’échantillonnage pour l’observation basée sur des études

« moléculaire », de nouvelles méthodes de suivi ?

En complément de ces approches vidéo et photo, des techniques basées sur des approches moléculaires voient le jour. Celles-ci sont basées sur l’exploitation de prélèvements d’eau, de substrats, de grattages ou de prélèvements de taxons choisis, prélèvements généralement réalisés pour les substrats durs en milieu côtier par des plongeurs (et parfois des ROV, mais leur mise en œuvre est encore plus complexe). Les analyses produites peuvent être génomiques, protéomiques, métabolomiques ou concerner plusieurs de ces aspects à la fois.

Aujourd’hui, la question de l’équivalence, voire même de la complémentarité de ces différents types de suivi doit être posée, et ceci surtout avant toute mise en oeuvre sur le long terme et à large échelle, car lors de leurs déploiements, la prise en compte des coûts de mise en œuvre devient cruciale.

Ces approches sont testées dans le cadre des deux programmes CIGESMED (analyse phylogéographique pour l’algue coralline Lithophyllum sp. et le bryozoaire26 Myriapora

truncata, analyses métagénomiques pour des prélèvements de grattages de substrats) et

25 espèces définies comme telle car isolées reproductivement et/ou dont la lignée génétique a une

importante différenciation génétique, indiquant une divergence ancienne entre l’une et l’autre, mais qui n'est pas distinguable d'un point de vue morphologique.

26 étymologiquement “animaux mousses”. Les bryozoaires, sont des animaux coloniaux et sessiles.

DEVOTES (analyses métagénomiques de la partie vivante fixée aux ARMS). Utiliser des échantillonnages faits par des plongeurs a pour avantage de pouvoir relever des paramètres environnementaux pour “contextualiser” le prélèvement et éventuellement identifier des espèces cryptiques (notamment Lithophyllum sp. dont le statut décrit par Athanasiadis en 1999 pourrait changer) ou des préférendums de certaines communautés pour des conditions particulières.

2.5 Analyses et approches comparatives / intégratives

L’identification de l’influence de ces contextes est un des objectifs de ce travail. Celle-ci est basée sur une proposition de typologie assez simple pour être relevable en plongée en même temps que les échantillonnages. Cette “contextualisation” (c’est à dire une description de tous les facteurs de contexte que l’on pense pouvoir influencer la composition des peuplements) soit au moins par un booléen, soit par un classement dans des catégories) doit ainsi permettre de comparer, dans des conditions les plus proches possibles, la pertinence et la puissance des suivis basés sur des approches moléculaires et celles des suivis présentés dans cette thèse, basés sur des analyses photographiques. Chacune de ces approches aura des avantages et des inconvénients (ou des rapports coûts avantages), dépendants de ces contextes locaux (présentés dans la partie “cartographie”), des environnements naturels et humains (testés notamment avec les récifs artificiels ARMS), des régions où ils sont mis en application, et des moyens d’observation mis en œuvre (matériel, observateurs, opérateurs, formation). L’influence de ces facteurs de contextes est abordée dans le cadre de ce travail en utilisant comme modèle les ARMS d’une part et les habitats coralligènes d’autre part.

2.6 L’unité taxonomique, chaînon nécessaire pour la compréhension