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IV. Le rôle de l’ingénierie pédagogique

IV.1. Le numérique : imposition d’une transformation des pratiques pédagogiques

L’ingénieur pédagogique à l’Université participe d’un vaste mouvement de (tentative de) transformation des pratiques pédagogiques des enseignants-chercheurs, notamment par leur « modernisation technique »159 : « Pour faire mieux réussir les étudiants, l'ingénieur

pédagogique propose de nouvelles possibilités d'apprentissage en utilisant le potentiel des nouvelles technologies. »160

« Évidemment l’aspect principal (du numérique) c’est de se dire (pour un enseignant- chercheur) "si je me lance là-dedans (usage d’une plateforme), je suis obligé de revenir sur la manière dont je fais cours", et donc c’est un aspect réflexif sur comment je scénarise et comment j’appréhende ma pédagogie dans le cadre de mon cours. Ça, pour moi, c’est le point le plus important. Ça pourrait se faire avec beaucoup d’autres choses qu’une plateforme mais en tout cas, passer par une plateforme impose ce raisonnement-là qui est salvateur, qui permet d’avancer, qui est de se poser des questions sur son cours. » (YG, Ingénieur pédagogique)

Il a notamment pour mission d’accompagner les enseignants-chercheurs dans un travail de transformation d’un cours donné en présentiel en supports multimédias (il participe d’un

159 Voir S. Garcia. Croyance pédagogique et innovation technologique. Le marché de la formation à distance au service de la "démocratisation" de

l'enseignement supérieur. Op. Cit.

160 « Ingénieurs pédagogiques : les artisans de l'innovation », https://www.letudiant.fr/educpros/enquetes/portrait-robot-de-l-ingenieur-

Le rôle de l’ingénieur pédagogique « accompagnement au changement » - YG). L’innovation – pédagogique – participerait d’un « nouvel imaginaire du changement », imaginaire pragmatique et utilitariste « situé à l’échelle des individus ou des petits groupes, autour d’innovations ponctuelles relevant de la contingence des situations »161. L’objectif de « sensibilisation » aux pratiques pédagogiques

d’YG est ici clairement affiché, et mis en perspective d’une modification effective de ces pratiques vers un enseignement qui mixte « présentiel » et « distanciel » :

« Les enseignants chercheurs ne sont pas tenus d’être formés en pédagogie dans le supérieur. (…) Alors quand on parle de pédagogie, c’est de modifier certaines modalités pédagogiques, par exemple de mixer le présentiel avec des éléments posés sur des plateformes en distanciel pour les étudiants, pour qu’ils puissent bénéficier de supports et d’activités en dehors des heures en présentiel. » (YG, ingénieur pédagogique)

Si « l’innovation pédagogique est assez souvent identifiée à l’implantation de nouveaux outils (numériques) qui changent les manières d’enseigner »162, c’est que, selon YG, l’usage

d’un outil tel qu’une plateforme pédagogique a pour conséquence intrinsèque d’imposer aux usagers que sont les enseignants-chercheurs une forme d’explicitation de leurs pratiques pédagogiques pour laquelle, du fait d’une absence de formation, ils ne sont pas préparés.

« On va être obligé de revenir sur son cours (le cours de l’enseignant-chercheur), sur "Comment ? Ah oui, je fais ça comme ça", parce que si je dois le mettre sur une plateforme, on doit donc se dire « qu’est-ce que je donne comme informations aux apprenants, est-ce que je leur donne des informations dans un ordre précis, est-ce que j’en cache une partie, est-ce que je fais un positionnement, est-ce que je fais des examens avec des contrôles continus, terminaux, …". Si j’utilise des QCM sur une plateforme, forcément ces QCM, ils ont une finalité, donc clairement je suis obligé de me poser la question : "Je fais ce QCM, mais je le fais pourquoi ? C’est du contrôle continu, terminal, c’est du positionnement, ça leur permet de faire quoi, à quel endroit je le mets dans mon cours ? » En étant obligé de travailler avec l’outil, c’est comme si je fais une table des matières dans un traitement de texte, si je dis « je dois mettre le style 1 à tel titre, et titre 2, ok, c’est la forme, mais sur le fond, ça me fait quand même réfléchir : "pourquoi, sur ce titre-là, j’ai mis niveau 1, et sur ce titre-là, j’ai mis niveau 2 ?" » (YG, ingénieur pédagogique) « (le numérique) C’est un outil. Mais il faut d’abord que nous, on soit au courant de qu’est-ce qu’il se passe, de qu’est-ce qu’on souhaite faire passer, transmettre, est-ce qu’on a bien défini, nous à notre niveau, ce qu’on doit transmettre et est-ce que ça nous semble assimilable par l’étudiant. » (EF, MCF, mathématiques)

Selon la vision pragmatique qu’en propose YG lors de l’entretien, le cœur même de la mission d’un ingénieur pédagogique consiste à être un support qui n’a de finalité que d’exister au travers de collaborations inter-professionnelles, tout particulièrement avec les enseignants-chercheurs163. Il était de fait un « candidat » tout désigné pour LB afin de

trouver une issue favorable à la situation de blocage des collaborations liée au problème d’élaboration d’un scénario pédagogique. Dans ce contexte général, YG est attendu comme un facilitateur.

161 S. Garcia. Op. Cit.

162 D. Lemaître. L’innovation pédagogique en question : analyse des discours de praticiens. Op. Cit., p. 4.

163 Mais pas seulement puisqu’est concernée « la communauté universitaire » dans son ensemble : « Y a une partie du métier qui est aussi de suivre et

de faire de l’assistance aux utilisateurs au sens large dans la communauté universitaire, que ce soient les enseignants bien sûr mais aussi les personnels administratifs pour l’utilisation des plateformes numériques et même les étudiants, ça nous prend beaucoup de temps » (YG, ingénieur pédagogique).