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Partie 2. Drogues et addictions : ampleur du fléau

3. Tendances actuelles

3.1. Nouvelles drogues

3.1.1. Nouveaux Produits de Synthèse

Les NPS ou « Nouveaux Produits de Synthèse » désignent un éventail hétérogène de substances psychoactives qui tentent d’imiter les effets des produits illicites existants tels que l’ecstasy, les amphétamines, la cocaïne, le cannabis et le LSD [Figure 51]. Leurs structures moléculaires s’en rapprochent, sans être tout à fait identiques. Cette spécificité leur permet de contourner temporairement la législation sur les stupéfiants, ces produits n’étant pas classés comme tels lorsqu’ils apparaissent sur le marché. Ils profitent de cette faille juridique pour se répandre, le temps que les Etats ou les organisations internationales les recensent et les interdisent. Une autre spécificité tient à leur mode de diffusion, essentiellement lié à Internet [110].

Apparu en 2008 avec des produits comme la méphédrone (4-MMC) et le JWH-018, le phénomène des NPS s’est caractérisé par un rythme d’apparition de nouvelles molécules fulgurant. En 2017, l’OEDT (Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies) recensait plus de 670 NPS en Europe. Ces nouveaux produits sont principalement importés d’Asie où ils sont fabriqués dans des laboratoires clandestins localisés en Chine et Inde puis revendus par l’intermédiaire de sites Web. Ils sont ensuite livrés à domicile par envoi postal dans des courriers « discrets ». Malgré une consommation globalement encore limitée par rapport aux substances psychoactives originales, les NPS semblent avoir trouvé leur public en France. Leur usage commence à bien s’implanter sur le territoire, à l’image de certains pays comme le Royaume-Uni, l’Irlande ou la Pologne.

Face à cette expansion, les autorités appellent à la prudence car la plupart des NPS sont beaucoup plus puissants, plus dangereux et plus addictifs que les drogues qu’ils imitent. Le risque est particulièrement élevé car les dosages se font au milligramme près. Parfois, quelques microgrammes de trop suffisent pour provoquer des complications désastreuses. Selon l’ANSM, 14 personnes sont décédées en France en 2015 à cause d’un NPS et autant en 2016.

A ce jour, très peu d’études ont été publiées dans la littérature scientifique sur les risques que présentent les NPS, notamment à moyen et long termes [128]. Seuls quelques cannabinoïdes de synthèse ont été étudiés dans le cadre de la recherche pharmaceutique. Les personnes consommant les NPS sont donc, en quelque sorte, leur propre « cobaye ».

Figure 51 : Principaux NPS recensés (Centre d'Evaluation et d'Information sur la Pharmacodépendance et d'Addictovigilance de Paris). Les NPS peuvent être classés en fonction de l’effet et du produit qu’ils souhaitent reproduire (empathogènes, hallucinogènes, dissociatifs, stimulants, etc.) ou en fonction de leurs familles chimiques. Les familles les plus souvent retrouvées sont les cathinones aux effets stimulants, les tryptamines aux effets hallucinogènes et les cannabinoïdes de synthèse qui imitent le cannabis. L’année 2018 a vu toutefois une forte augmentation des opioïdes de synthèse.

3.1.2. Kratom

Le kratom ou Mitragyna speciosa est une plante originaire d’Asie du Sud-Est dotée d’effets psychoactifs. Ces effets sont dus aux nombreux alcaloïdes que ses feuilles contiennent, notamment la mitragynine et la 7-hydroxymitragynine, actifs sur les récepteurs opioïdes. Les feuilles possèdent à faibles doses des effets euphoriques et stimulants similaires à ceux de la cocaïne. A fortes doses, elles produisent au contraire des effets sédatifs de type morphinique [129].

Mâchées, consommées en infusion ou ingérées sous forme de poudre, les feuilles de kratom semblent gagner en popularité. Les Etats-Unis sont le pays le plus touché avec déjà 10 à 15 millions d’adeptes et 91 décès par overdose de kratom entre juillet 2016 et décembre 2017. La consommation à des fins récréatives du kratom continue de se répandre et concerne à présent 31 pays, d’après l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC). Le kratom est de plus en plus utilisé notamment pour combattre la fatigue ou comme une alternative aux opiacés. Le consommateur trouve dans son côté naturel un sentiment de sécurité. Cette drogue est pourtant loin d’être inoffensive, comme le montre l’augmentation du nombre de décès qui lui est attribué dans le monde. En France, après une enquête menée par le réseau d’addictovigilance qui a révélé un nombre croissant d’intoxications au kratom et des risques graves pour la santé, l’ANSM a décidé de prendre des mesures pour éviter la diffusion de cette nouvelle tendance déjà bien meurtrière aux Etats-Unis. Aussi, le kratom, la mitragynine et la 7- hydroxymitragynine ont été inscrits sur la liste des substances psychotropes en janvier 202059. Leur détention et leur achat sont donc désormais interdits. Il faudra attendre la prochaine enquête d’addictovigilance pour évaluer l’impact de cette mesure sur la consommation de kratom en France.

3.1.3. Krokodil

Utilisé comme une alternative peu coûteuse à l’héroïne, le « krokodil » est considéré comme la drogue la plus dangereuse au monde. Cette drogue est originaire de Sibérie mais elle est surtout répandue en Russie, où ses dégâts sont colossaux notamment dans les milieux défavorisés.

Le krokodil est une drogue artisanale fabriquée à partir de codéine, d’iode, d’essence, de dissolvant pour peinture et de phosphore rouge (retrouvée notamment sur la partie rouge des allumettes), le mélange entrainant la production de désomorphine (dérivé de la morphine) et de divers « sous-produits » nocifs. Après la préparation, la drogue est directement injectée par voie intraveineuse. Les effets obtenus sont beaucoup plus puissants que ceux de l’héroïne [130].

Par son mode de fabrication et sa composition, le krokodil contient de nombreux produits toxiques et de nombreuses impuretés qui ont des conséquences gravissimes sur tous

59 Arrêté du 23 décembre 2019 modifiant l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances psychotropes,

les systèmes de l’organisme. Le sang et la peau sont les premiers touchés. Cette drogue tient d’ailleurs son nom aux nécroses cutanées qu’elles provoquent, ces lésions étant semblables à la peau rugueuse, écailleuse et verdâtre d’un crocodile. Les nécroses commencent au niveau du point d’injection puis s’étendent au reste du corps. La chair et les muscles se décomposent et les os mis à nu sont rapidement attaqués. L’amputation des membres atteints est souvent inévitable. Comme pour d’autres drogues, le risque de décès à la première prise existe. Toutefois, ce risque est beaucoup plus élevé dans le cas du krokodil. La première prise a déjà été fatale pour plusieurs consommateurs russes. Pour ceux qui survivent à cette première injection, leur espérance de vie est estimée à moins de trois ans. La plupart meurt au bout d’un an, en général d’une septicémie, d’une méningite, d’une pneumonie ou d’un dysfonctionnement des organes internes [130].

La présence du krokodil s’est longtemps limitée à la Russie. Mais, depuis quelques années, cette drogue a atteint d’autres pays comme l’Ukraine, le Kazakhstan, la Norvège ou le Royaume Uni. L’Union Européenne ne semble pas encore concernée.

Face à un produit d’une telle dangerosité, les autorités de chaque pays restent vigilantes. Toutefois, il est difficile d’apprécier la circulation du krokodil sur un territoire car il n’y a pas réellement de trafiquants. De plus, il s’agit d’une préparation extemporanée. Les saisies, qui permettent habituellement la détection de nouvelles drogues, sont donc quasiment impossibles. En 2011, l’OFDT affirmait que la France était épargnée. Mais est-ce encore le cas aujourd’hui ? Il existe malheureusement très peu de données fiables sur la présence du krokodil en France.