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Partie 1 : Le concept de l’addiction

2. Objets de l’addiction

2.2. Principales substances psychoactives utilisées en toxicomanie : classification, effets et

2.2.2. Dépresseurs

2.2.2.1. Alcool

▪ Présentation

L’éthanol ou l’alcool éthylique, communément appelé « alcool », est un liquide incolore, volatil, inflammable et miscible à l’eau. Il résulte de la fermentation alcoolique des sucres et se retrouve dans les boissons dites « alcoolisées ». L’alcool est un produit largement diffusé et le risque toxique qu’il engendre est trop souvent ignoré ou banalisé. En France, d’après les chiffres publiés par Santé Publique France en 2017, la consommation moyenne

d’alcool par habitant et par an est de 11,7 litres20 . L’alcool est principalement consommé par

ingestion de boissons. Les boissons alcoolisées varient en fonction du procédé de fabrication, de la matière première et du degré alcoolique21 : les cidres (1 à 18°), les bières (0 à 15°), les vins (8 à 20°), les spiritueux tels que le cognac, le rhum, la vodka, le whisky ou la téquila (à partir de 15°), les liqueurs (15 à 65°), etc.

Figure 17 : Effet de l’alcool sur les récepteurs GABAA.

L’acide gamma-amino butyrique ou GABA est le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central (SNC). Il exerce ses effets par sa fixation sur plusieurs types de récepteurs dont les trois principaux sont les récepteurs GABAA,

GABAB et GABAC. Chacun de ces récepteurs est un complexe

macromoléculaire formé de plusieurs sous-unités. Le récepteur GABAA est formé de cinq sous-unités qui délimitent un canal

ionique perméable aux ions chlorures Cl-. La fixation de deux molécules de GABA sur le récepteur provoque un changement

de conformation du récepteur provoquant l’ouverture du canal chlore et le passage les ions Cl-. L’entrée de

ces charges négatives entraine alors une augmentation du potentiel membranaire (appelée hyperpolarisation) qui inhibe la transmission synaptique. En plus des sites destinés à la fixation du GABA, le récepteur GABAA

comporte d'autres sites de fixation pour des molécules modulatrices telles que l’alcool. Lorsque l’alcool se lie au récepteur GABAA, sa fixation entraine un agrandissement de l’ouverture du canal. En augmentant le

passage des ions Cl-, la prise aiguë d’alcool entraine une potentialisation de la réponse inhibitrice

gabaergique.

▪ Mécanisme d’action

L’éthanol est distribué dans tout l’organisme. Il franchit toutes les membranes cellulaires. Le passage rapide de l’éthanol à travers la barrière hémato-encéphalique est responsable des troubles neurologiques retrouvés lors des alcoolisations aiguës et chroniques.

Contrairement à d’autres substances psychoactives, l’alcool n’a pas de récepteur au niveau du système nerveux central (SNC). Cependant, lors d’une prise aiguë, il modifie certains systèmes de neurotransmission centrale, le plus touché étant le système inhibiteur gabaergique

[Figures 17 et 18]. En effet, l’alcool possède la propriété de pouvoir se lier à un type de

récepteurs gabaergiques, les récepteurs GABAA. Ces récepteurs sont des récepteurs-canaux,

20 Quantité d’alcool consommé par habitant âgé de 15 ans et plus en 2017 en France (en litres d’alcool pur). 21 Le degré alcoolique ou degré alcoométrique centésimal correspond au pourcentage volumétrique d’alcool pur

dont l’activation par le neurotransmetteur GABA entraine le passage d’ions chlorures Cl- à

l’intérieur du neurone. Cette arrivée intracellulaire d’ions chargés négativement diminue l’excitabilité du neurone, à l’origine de l’effet inhibiteur du système gabaergique. En se fixant sur les récepteurs GABAA, l’alcool augmente le passage des ions Cl- et potentialise ainsi la

réponse inhibitrice gabaergique [48].

La consommation d’alcool induit ainsi un ralentissement du SNC. Pour des concentrations cérébrales modérées, la dépression centrale se fait uniquement au niveau du système inhibiteur gabaergique, puis elle perd cette spécificité lorsque l’alcoolémie augmente. L’alcool modifie alors d’autres systèmes de neurotransmission [49] tels que les transmissions noradrénergique, sérotoninergique et dopaminergique, notamment dans le système de récompense. Il agit également sur le système glutamatergique, principal système excitateur du SNC [Figure 18]. En se fixant sur les récepteurs glutamatergiques de type NMDA, l’alcool bloque la transmission excitatrice, ce qui renforce son effet dépresseur du SNC [50].

Tableau 4 : Effets délétères provoqués au niveau périphérique par une alcoolisation chronique.

Systèmes touchés Mécanisme d’action toxique Effets délétères causés

Foie

Dysfonctionnement majeur de l’oxydation des acides gras, entrainant une accumulation de triglycérides, un excès de production de NADH et de radicaux libres, associé à une diminution des moyens de défenses (glutathion, vitamines)

Nécrose, stéatose,

cholestase, hépatite, cytolyse, fibrose, cirrhose

Tube digestif

Irritation chronique des voies digestives et de l’œsophage

Gastrites, œsophagites, ulcères gastroduodénales, cancers

Dysfonctionnement des villosités intestinales Syndrome de malabsorption

Pancréas Pancréatites aiguës ou chroniques Calcifications pancréatiques insuffisance pancréatique

Appareil cardiovasculaire (consommation > 20g/j)

Dilatation des cavités cardiaques Myocardiopathies, fibrose Activation du système sympathique et du

système rénine-angiotensine Hypertension artérielle

Système hématopoïétique

Macrocytose érythrocytaire Anémie mégaloblastique

Diminution de synthèse médullaire

Dégradation thrombocytaire accrue par hypersplénisme

Thrombopénie, risque hémorragique

Diminution de la production leucocytaire

Diminution de l’activité des leucocytes formés, risque infectieux accru

Au niveau périphérique, l’alcoolisation aiguë possède un certain nombre d’effets toxicologiques [51] : vasodilatation périphérique, effet diurétique, effet myorelaxant sur les muscles squelettiques et l’utérus, irritations des muqueuses digestives et augmentation de la

sécrétion gastrique acide. La traduction de ces effets est généralement peu marquée, sauf au niveau des interactions médicamenteuses, avec des principes actifs possédant également l’une de ces manifestations. Toutefois, consommé de façon chronique, l’alcool exerce des effets délétères sur la majorité des systèmes organiques : foie, pancréas, appareil cardiovasculaire, tube digestif et système hématopoïétique [Tableau 4].

Figure 18. Mécanisme d’action de l’éthanol sur le récepteur NMDA et sur le récepteur GABA-A lors d’une prise aiguë.

18a. Schéma récapitulant les neurotransmissions gabaergique via le récepteur GABAA et glutamatergique via le récepteur NMDA, en condition basale (physiologique). A gauche, une synapse gabaergique. Le GABA se fixe sur les récepteurs GABAA post-synaptiques, provoquant l’entrée des ions Cl-

et l’inhibition de la transmission synaptique. A droite, une synapse glutamatergique. Principal neurotransmetteur excitateur du SNC, le glutamate se fixe sur différentes familles de récepteurs dont les principales sont les récepteurs NMDA et les récepteurs AMPA. Les récepteurs NMDA sont des récepteurs- canaux qui contiennent un canal ionique perméable aux ions calcium Ca2+. Leur activation par le glutamate

entraine l’entrée des cations Ca2+ à l’intérieur du neurone post-synaptique, à l’origine de sa dépolarisation et

18.b. Schéma récapitulant les neurotransmissions gabaergique via le récepteur GABAA et glutamatergique via le récepteur NMDA lors d’une prise aiguë d’éthanol. A gauche, la prise aiguë d’alcool inhibe la synapse gabaergique. A droite, elle inhibe l’action du glutamate sur les récepteurs NMDA et par conséquence l’activité excitatrice du système glutamatergique. L’action simultanée de l’alcool sur les systèmes gabaergique et glutamatergique a pour effet une forte inhibition du SNC.

▪ Effets lors d’une prise aiguë

Effets recherchés

La recherche de l’ivresse alcoolique peut correspondre à divers besoins : lever sa timidité ou ses inhibitions, faire face au stress ou oublier ses problèmes. Mais, en consommant de l’alcool, l’effet recherché est surtout l’euphorie, avec les sensations de détente et de bien- être qu’il génère.

Effets indésirables

Pour un même sujet, il existe une corrélation entre les signes observés et l’importance de l’alcoolémie [51]. En revanche, à alcoolémie égale, tous les sujets n’auront pas la même symptomatologie. « Bien tenir l’alcool » n’est pas un signe de bonne santé, mais la manifestation d’une consommation chronique ayant entrainé une tolérance. Les valeurs d’alcoolémie qui définissent les quatre phases de l’ivresse alcoolique [Figure 19] ne sont donc que des ordres de grandeur, les variabilités individuelles pouvant être très importantes. Ces phases se succèdent imperceptiblement. Lorsqu’une personne arrête de boire à un moment donné, son corps et son cerveau retrouvent lentement leur état normal. Une personne qui continue de boire traversera toutes ces phases.

La première phase (alcoolémie comprise entre 0,3 et 1 g/L) est une phase d’excitation psychomotrice et de désinhibition centrale. Le sujet est euphorique et logorrhéique, avec une tendance aux confidences. Son comportement est altéré à différents degrés. En général, le sens du jugement, l’adaptation à l’environnement extérieur et le temps de réaction sont perturbés.

La deuxième phase (alcoolémie comprise entre 1 et 2 g/L) est une phase d’instabilité qui correspond à la dépression centrale. L’excitation et l’anxiolyse sont très importantes. L’incoordination motrice très présente également est marquée par une démarche ébrieuse et des mouvements maladroits pouvant entrainer des chutes dangereuses. La perception des dangers s’estompe et les réflexes sont fortement diminués. La vasodilatation périphérique commence à colorer les téguments et faire ressentir une sensation de chaleur. Les réactions émotionnelles sont également exacerbées et des variations de l’humeur peuvent apparaître, faisant passer le sujet de la gaieté à la tristesse ou à l’agressivité.

La troisième phase (alcoolémie comprise entre 2 et 3 g/L) correspond à l’ivresse avérée. L’intoxiqué est ataxique, somnolent, hébété, incohérent, avec une désorientation spatio- temporelle marquée. Le cerveau du buveur « s’endort » progressivement. De gai, il devient confus, avec des propos incohérents et une confusion mentale. A ce stade, des nausées et des vomissements sont fréquents, les troubles visuels également.

La quatrième phase (alcoolémie supérieure à 3 g/L) est la phase de coma qui correspond à une dépression profonde du SNC. Le coma provoqué est généralement profond, calme, hypotonique avec une abolition des réflexes, une diminution de la sensibilité à la douleur et un relâchement des sphincters. La durée du coma est variable et fonction de l’importance de l’alcoolémie, de la tolérance et des capacités métaboliques du sujet intoxiqué. Les troubles neurologiques engendrés peuvent être à l’origine d’amnésies partielles qui effacent de la mémoire du malade les faits vécus pendant l’intoxication. Le coma éthylique peut évoluer vers

la mort par dépression extrême des centres respiratoires et cardiaques, notamment si l’alcoolémie est supérieure à 4 ou 5 g/L.

Ces quatre phases décrivent l’ivresse commune mais des ivresses atypiques peuvent se rencontrer chez certains sujets, avec des épisodes d’agressivité et des hallucinations.

Figure 19 : Phases de l’intoxication aiguë à l’éthanol. Ces quatre phases décrivent les différents stades de l’ivresse alcoolique typique. Les valeurs des alcoolémies mentionnées ne sont que des ordres de grandeurs, elles varient en fonction de chaque individu.