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DE LA VOCATION INFORMATIVE ET DISTRACTIVE À LA VOCATION DIDACTIQUE ET ÉDUCATIVE

II. 7. La nouvelle télévision ou la reconfiguration de la cohésion socioculturelle

Cette télévision, assez parfaite pour protéger la culture et la cohésion nationale, s’est vite retrouvée fragilisée par l’évolution des technologies et le changement des pratiques sociales qui échappent de plus en plus à l'autorité du pouvoir central :

Changement dans le dispositif technique qui ne se contentait plus de la diffusion

hertzienne, mais qui adopta de nouveaux modes d’émission satellitaire et par câble dans le but d’accroître fortement l'offre ;

− Déréglementation de l'organisation sociale régie par la télévision unique : on remarqua un net recule du secteur public qui détenait le monopole de la diffusion médiatique. Dans le sillage de la démocratisation de ce secteur, on assista à une prolifération des chaines privées qui assumèrent pleinement leur mission jusqu’à nos jours.

Élargissement des contenus : Au triptyque « informer, éduquer, distraire », se substitue en

partie la loi de l’offre et de la demande. Cela a eu une nette répercussion sur la qualité et

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la quantité des programmes qui ont connu une atomisation maximale suite à l’offre croissante de la part des instances médiatiques ;

Modification de la situation de contact : la situation de contact se modifie avec

l’équipement des ménages : la multiplication des postes au sein des foyers réduit les moments d’écoute partagée au sein du foyer, la télécommande facilite le zapping entre les programmes, et les technologies d’enregistrement ouvrent la possibilité d’une vision différée des programmes.

Les changements constatés dans le modèle de Beuscart ne sont rien d’autre qu’une phase évolutive des médias qui confirmèrent le rôle de la télévision au sein du déséquilibre dans le rapport offre/ demande. Ce même rapport est régi, en fait, par l’évolution des pratiques sociales dans leur ensemble :

« Cette transformation a pu être décrite comme le passage d’une télévision de la rareté

à une télévision de l’abondance (…), ou d’une télévision de l’offre à une télévision de la demande. L’arrangement linéaire du quotidien, assuré par le programmateur, est de plus en plus régulièrement cassé par les choix du consommateur (…) » ((Beuscart et

al : 50)

Cependant, J-S Beuscart n’a pas omis de signaler quelques éléments dommageables de la télévision traditionnelle. Pourtant, elle était utile en ce qu’elle jouissait de son rôle de fédérateur et de régulateur de la cohésion socioculturelle grâce à la possibilité du partage qu’elle a pendant longtemps assuré aux téléspectateurs.

II. 7. 1. L’éclatement de l’audimat et la remise en cause de la notion de partage

À ce stade de l’évolution de la télévision et des pratiques sociales, l’on rompt alors avec le principe de la diffusion télévisée centralisée et dirigée (contrôlée par les pouvoirs publics) pour adopter de nouvelles pratiques plus assouplies. En dépit de leur souci d’optimiser leurs programmations, afin de neutraliser le plus grand pourcentage d’audimat autour d’un programme global, cependant, les diffuseurs privés:

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« … rencontrent les résistances de téléspectateurs qui zappent entre les très nombreux

éléments d’un « programme global », diminuant les chances de se réunir autour d’un même programme » (Beuscart et al : 50)

Ayant subi le même sort que le média radiophonique, la télévision du partage, selon l’auteur, meurt graduellement, laissant apparaître que sporadiquement et occasionnellement la focalisation généralisée autour d’un seul programme. Le partage ne ressurgit que lors d’événements médiatiques exceptionnels retransmis en direct, ou lors des grands spectacles sportifs tels que la coupe du monde de football ou les Jeux olympiques. En faisant une évaluation négative de cette évolution aussi bien des pratiques sociales que du support lui-même, les analystes soulèvent en partie l’affaiblissement de la notion de communauté « idéalement compacte »18 qui incarne une certaine capacité du corps social à se référer à une

centralité idéologique et culturelle. Il s’avère quand même que la multiplication des sources d’information fait disparaître le sentiment de sécurité que procurait le journal classique. Ce sentiment de doute qui s’installe chez le téléspectateur est révélé par l’objet diffusé devenu hétéroclite et, donc, insaisissable aux yeux de la société qui subit une multitude d’opinions dressées à travers ce média :

« Les chaînes d’information en continu donnant au contraire au téléspectateur le

sentiment que tout peut arriver à tout moment, affaiblissant ainsi sa

''

sécurité ontologique

'' » (Beuscart et al : Ibid)

II. 7. 2. L’exubérance de l’offre télévisuelle

La régulation de l’offre en fonction de ce que demande le téléspectateur et la banalisation des formats télévisuels, selon ses caprices, ne font qu’écarter la nouvelle télévision de sa mission initiale et essentielle d’informer et d'éduquer la société. Ce statut informationnel et éducatif s’est malheureusement substitué à certaines formes de distraction qui s'avèrent, le moins que l’on puisse dire, improductives et favorisant à la fois l’individualisme et l’affaiblissement du modèle culturel de référence et de partage.

Cette nouvelle tendance des programmateurs, au sein du paysage télévisuel, à favoriser de nouveaux formats est justifiée par le progrès social. Effectivement, et en dépit du caractère grotesque de certaines émissions populaires de la catégorie des reality shows, talk shows, de

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la téléréalité ou même des émissions issues de la lifestyle TV, la mutation télévisuelle est justifiée essentiellement par la nature de plus en plus diversifiée de la société contemporaine et dans le même temps, par un élargissement des thématiques et des publics dans l’espace médiatique commun. En foi de quoi, et à travers ces nouveaux formats cités, la télévision dans son acception actuelle a un effet émancipateur sur les téléspectateurs.

À croire certains auteurs (Peuscart et al : 51), les effets des nouveaux médias offrent aujourd’hui des options de désynchronisation et de rattrapage (le visionnage différé des programmes) qui n’ont, apparemment aucune incidence négative sur la cohésion culturelle. Bien au contraire, et là-dessus, nous en conviendrons bien évidemment, elles permettent au téléspectateur de s’affranchir complètement de la contrainte temporelle inhérente à la programmation linéarisée au départ. La consommation télévisuelle différée d’un programme qui, naguère, était rendue possible par le magnétoscope, est aujourd’hui une pratique inscrite dans le sillage interactif téléspectateur/terminal. Sans effort financier ou procédural, cette nouvelle forme de désynchronisation est réalisable dès que le téléspectateur est équipé d’une connexion haut débit ou abonné à l’IPTV.

Selon D. Dayan, deux évidences peuvent être dégagées, entre autres, de la nouvelle télévision :

« Il est donc de plus en plus probable que les individus regardent des programmes

différents; mais quand ils consomment le même programme, il est également de plus en plus probable qu’ils ne le regardent pas au même moment. Cela impacte le sentiment potentiel de communauté imaginée des téléspectateurs, mais aussi la possibilité de se référer à ces contenus, dans les conversations ordinaires comme dans le débat public » (Dayan : 27).

En tant que locuteurs étrangers, et par notre vue de l'extérieur, ces bouleversements nous importent peu, puisque, tout autant que la langue, la dynamique du paysage culturel français s’inscrit naturellement dans une évolution dictée par ce que Pierre Chambat (1994) désigne par la notion d’usage de tout ce qui a trait à la consommation et à la communication dans une société qui ne reste jamais immobile. Dans sa dimension socioanthropologique, la notion d’usage nous renseigne pleinement sur le rôle assumé par la technique dans la routinisation de

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la vie sociale, notamment au niveau des pratiques télévisuelles aussi bien chez le téléspectateur que chez le programmateur ou le provider. Tout cela se fait, selon lui, au sein d’un large paradigme de la discipline sociologique où il est essentiellement question de mettre en exergue « l’intrication du social et de la technique quant à l’usage des objets de la vie

quotidienne » (Chambat : 256). Le paradigme sociologique dont il est question dans cette réflexion s’apparente aux différentes approches descriptives de la télévision au sein de la société (Chambat, Ibid.) :

− La sociologie de la technique ; − La sociologie de la communication ; − La sociologie des modes de vie ; − Sociologie de l’appropriation − La sociologie de la consommation ; − La sociologie de l’innovation.

Chacune de ces approches nous renseigne, à des degrés variés, sur la propension de l’homme à la technologie pour améliorer l’usage qu’il fait des outils indispensables pour son existence. Pour ce qui est de la télévision, elle ne changera jamais de statut et elle ne sera jamais substituée à quoi que ce soit de plus moderne. Toute nouvelle forme télévisuelle n’est, au bout du compte, qu’une simple hybridation de l’ancien et du nouveau (Chambat, Ibid. : 259) ou un appendice de la télévision, telle qu’elle est considérée dans sa valeur standard comme outil destiné à l’information, l’éducation et la distraction.

À vrai dire, le vif intérêt que suscitent pour nous l’évolution de la télévision au sein de la société française et ses effets possibles dans les apprentissages et les dispositifs didactiques se traduit moins par une approche critique de notre part vis-à-vis de ce support central que par une approche sémiologique des items culturels qu’il pourrait véhiculer en tant que tels aux yeux de nos enseignants et de nos apprenants. L’usage avec et non pas sur l’outil télévisuel pourrait servir d’accès à une « spirale ascensionnelle » en direction de la réalité culturelle et linguistique du pays de la langue en question.

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Dans ce cas, et dans une perspective didactique, le résultat nous importe plus que le processus de ces bouleversements décrit par le modèle de J-S Beuscart. Nous inspirant d’une approche plutôt synchronique de la langue-culture, nous sommes enclins à décrire la société et la culture française en un moment précis avec toutes les configurations communicationnelles que cela pourrait engendrer, sans s’intéresser un seul instant aux raisons et aux circonstances des changements culturels. Une description de la télévision sous l’optique didactique ne doit en aucun cas nous faire achopper sur les problèmes inhérents aux bouleversements que connaît et connaîtra sûrement l’outil télévisuel. Au contraire, une description de ce genre devrait porter prioritairement sur la notion de la réception (la construction du sens) (Chambat : 263) à une période précise et sur l’utilité de l’image et du son qui s’y dégagent.