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LES NOUVEAUX INSTRUMENTS DE PILOTAGE : UNE RÉVOLUTION QUI ATTENDRA Cette dernière partie de la recherche est centrée sur les relations qui se nouent, à l’occasion de la

L A RÉVERSIBILITÉ DU POLITIQUE ET DU TECHNIQUE

3. LES NOUVEAUX INSTRUMENTS DE PILOTAGE : UNE RÉVOLUTION QUI ATTENDRA Cette dernière partie de la recherche est centrée sur les relations qui se nouent, à l’occasion de la

programmation, entre partenaires financeurs et porteurs de projets. Notre synthèse nationale des évaluations à mi-parcours des Contrats de ville de la période 2000-2006, co-réalisée avec Renaud Epstein, avait mis en évidence des programmations juxtaposant des actions sans réel souci de cohérence stratégique46. Un problème récurrent de lisibilité de la commande publique par les opérateurs était alors

souligné, qui tenait notamment à un manque de clarification des objectifs et de l’identité propres du Contrat de ville dans l’action publique locale. Dans ce contexte, les porteurs de projets étaient suspectés d’instrumentaliser les crédits spécifiques selon une logique de « guichet ». Il en résultait une inversion des rôles, la programmation s'opérant moins en fonction de la commande publique que de l’opportunisme financier des porteurs de projet.

Les Contrats urbains de cohésion sociale ont entendu changer la donne en invitant les partenaires locaux à préciser, pour chaque quartier et axe d’intervention du contrat, un projet thématique « indiquant des

priorités d’actions et des objectifs quantifiés à atteindre sur la base des indicateurs chiffrés du diagnostic ». Ces priorités devaient servir « de cahier des charges pour établir la programmation des actions ». Qu’en est-il de la capacité effective des partenaires à sélectionner des opérateurs en fonction

des priorités identifiées par les Cucs ? La description qui a été faite de l’instruction technique de dossiers, caractérisée par son émiettement et prenant le pas sur un dessein politique d’ensemble – l’intervention du politique se réduisant souvent à des choix d’opportunité – n’est pas très propice au pilotage stratégique de la programmation. D’autant moins que la pénurie des moyens financiers et la faible émergence de projets nouveaux limitent la palette de choix dont disposent les financeurs.

Néanmoins, on peut se demander si les innovations méthodologiques introduites ou encouragées par les Cucs – appels à projets, programmation pluriannuelle, indicateurs de performance – n’ont pas permis de redonner l’ascendant à la maîtrise d'ouvrage, ou du moins à rééquilibrer leurs relations avec les porteurs de projets. Cette méthodologie privilégie la fonction instrumentale d’opérateurs dont on attend qu’ils contribuent de façon efficace et efficiente à la réalisation des objectifs du Cucs. Les porteurs de projets ont toujours eu des caractéristiques hétérogènes dans la politique de la ville, selon les motifs du soutien que leur accorde cette politique : certains – qualifiés d’opérateurs – sont financés pour ce qu’ils

font, dans une logique instrumentale, et d’autres pour ce qu’ils sont, dans une logique de reconnaissance

des initiatives habitantes47. Accorder la primauté aux premiers semble cohérent avec la volonté de les

soumettre à un cahier des charges structuré en fonction d’objectifs de performance.

Malgré la généralisation d’instruments de pilotage visant à sélectionner des opérateurs sur la base des attentes de la maîtrise d'ouvrage (appels à projets), à stabiliser leurs interventions dans la durée (logique pluriannuelle), avec pour contrepartie une exigence sur la réalisation d’objectifs chiffrés (indicateurs de performance), l’inversion des relations de pouvoir entre financeurs et opérateurs des Cucs apparaît encore très relative. Nous allons voir que cette révolution espérée par les décideurs nationaux, et par une large partie des financeurs locaux, reste à un stade embryonnaire. Tout se passe comme si les trois années de vie des Cucs correspondaient à une phase de transition. Plutôt qu’une révolution marquant la

46 Epstein R., Kirszbaum T. (2005), op. cit.

rupture avec le modèle ancien, on assiste plutôt à la transformation progressive des modes opératoires témoignant d’une acculturation lente, mais inéluctable, des opérateurs – et des financeurs eux-mêmes – au nouveau paradigme « managérial » de la politique de la ville.

La procédure d’appel à projets n’est pas appliquée de manière systématique dans tous les sites, et même quand elle effective, elle ne joue que très imparfaitement son rôle de clarification de la commande publique et de sélection des opérateurs les plus performants. Il faut dire que la logique de programmation pluriannuelle ne facilite pas le changement fréquent des opérateurs, au-delà de la première année qui a permis un renouvellement très partiel du volant d’opérateur des Cucs en comparaison des Contrats de ville. Aussi certains financeurs locaux semblent-ils attendre la prochaine vague de contractualisations avant de procéder à une remise à plat de la maîtrise d’oeuvre. Tel est l’un des enjeux du travail en cours sur les indicateurs censés les guider dans le choix des opérateurs. Mais nous verrons que l’avènement d’un pilotage par indicateurs soulève au moins autant de problèmes qu’il n’en résout.

Ce qui fait obstacle à l’affirmation d’une commande publique adressée aux opérateurs, ne tient pas seulement aux limites des instruments. Sans même parler des liens affinitaires entre certains financeurs et opérateurs (voir supra 2.4), qui sont aussi le fruit de relations de travail nouées au fil de l’histoire de la politique de la ville, la résistance au changement renvoie à des éléments de contexte sur lesquels cette politique paraît sans prise. La politique de la ville a toujours cherché à renforcer le maillage des quartiers par des structures de proximité qui se sont progressivement professionnalisées. Compte tenu de la raréfaction des financements de droit commun, la dépendance de ces structures aux crédits spécifiques n’en est que plus aigue. Le souvenir récent des émeutes de novembre 2005, consécutives à la contraction brutale des crédits spécifiques de l’État, alimente une prudence de bon aloi chez les financeurs qui sont bien conscients des limites pratiques de la « logique de performance ».

Reste un dernier obstacle, peut-être le plus décisif, celui de l’adhésion des financeurs au paradigme managérial. S’ils souhaitent dans leur grande majorité regagner des marges de manoeuvre vis-à-vis des opérateurs pour les mettre au service des objectifs définis dans les contrats, cette finalité entre en tension d’autres finalités la politique de la ville, auxquelles ils ne souhaitent pas forcément renoncer, qu’il s’agisse de la concertation « par le bas » avec les acteurs de la société civile, ou de la fonction d’expérimentation théoriquement dévolue à la politique de la ville.

3.1. D

ES APPELS À PROJETS PEU CONCURRENTIELS

Les trois sites étudiés correspondent à trois combinaisons distinctes entre programmation pluriannuelle et appels à projets : pluriannualité et appel à projets à Argenteuil, appel à projets sans pluriannualité à Dreux, pluriannualité sans appel à projets à Lormont. Quelle que soit la configuration retenue, la perspective d’une mise en compétition des porteurs de projets au bénéfice des plus performants s’avère encore lointaine. Là où les Cucs ont joué le jeu de la programmation pluriannuelle des projets, à Argenteuil et Lormont, les opérateurs déjà à l’œuvre sous le Contrat de ville ont plutôt été confortés.