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U NE MONTAGNE QUI ACCOUCHE D ’ UNE SOURIS ? L A SIMPLIFICATION ADMINISTRATIVE EN QUESTION

L’objectif d’allègement des lourdeurs bureaucratiques qui avait présidé aux réformes de la politique de la ville engagées dans les années 2000, apparaît chimérique à nombre d’acteurs locaux, de l’État comme des municipalités :

« Le système mis en place reste très lourd. L’Acsé ne nous a pas allégés. Elle oblige à avoir une double comptabilité. Il n’y a pas eu simplification ». (préfecture)

« Le Cucs est une grosse usine à gaz ». (service de l’État)

« Il n’y a pas eu d’amélioration dans la simplification administrative avec l’Acsé. Plus personne ne comprend rien à rien ! » (municipalité)

Pour certains acteurs municipaux, la nouvelle organisation de l’État apparaît d’ailleurs plus complexe que par le passé, car elle s’accompagne d’une dualité d’interlocuteurs, départementaux et régionaux résultant de la superposition de la logique « Div » à celle de l’ex-Fasild :

« L’organisation de l’Acsé ne facilite pas les choses avec une direction régionale et une mise en oeuvre par la mission Ville de la préfecture. Ça me déprime de voir que l’État n’arrive pas à mettre en place une organisation simplifiée ».

« Là où l’Acsé est censée faciliter les choses, elle les complexifie en ajoutant des interlocuteurs et des échelons. L’Acsé crée un échelon en plus. On a l’impression que c’est encore plus éloigné. Ah si l’Acsé pouvait être plus accessible ! »

Cette impression d’éloignement est corroborée par la perception aléatoire que les acteurs municipaux ont des orientations de l’État, dont les décisions semblent « tomber d’en haut » sans qu’ils s’en voient délivrer ni le sens, ni le mode d’emploi : « On ne sait jamais si ce qu’on nous dit est réel ou s’il s’agit

d’une interprétation des directives de l’Acsé. Par exemple, l’Acsé a décidé de diminuer le Fonds de participation des habitants. J’ai demandé à la mission Ville ce qui avait motivé cette décision en expliquant qu’on ne pouvait pas fonctionner avec 300 euros par projet. J’ai demandé s’ils pouvaient me donner le texte pour que je comprenne. Je n’ai jamais eu le moindre retour ! » Autre exemple de cette lisibilité

incertaine des orientations nationales, cité cette fois par un acteur préfectoral : « On leur a annoncé qu’on

ne pouvait plus prendre en charge des actions dans les établissements scolaires sur le temps scolaire, conformément à la nouvelle orientation de l’Acsé. La ville nous a cuisinés, mais on n’a jamais trouvé le texte. Malgré tout, on a confirmé cette orientation ».

La frustration de certains acteurs municipaux semble s’expliquer aussi par un surcroît de travail qui s’impose à eux dans la chaîne de remontée d’informations dont ils sont l’avant-dernier maillon, avant celui des opérateurs de projets. La municipalisation prononcée des Cucs aboutit en effet à faire porter sur les équipes de Mous municipales et les porteurs de projets intervenant sur le territoire municipal, la charge du recueil d’informations à communiquer à l’Acsé, laquelle fait parfois des relances directement auprès d’eux. Une élue utilise y voit un renforcement du « carcan » de l’État : « Il y a des contraintes très fortes de

rendus, des difficultés administratives de toutes sortes, des problèmes de calendrier, etc. On sent une sorte de carcan de la part de l’État. Par exemple, on doit sortir des appels à projets chaque année avec des délais de réponse extrêmement rapides et des contraintes de forme. Tout ça est très compliqué au quotidien dans le relationnel avec les porteurs de projets qui vivent les efforts qu’on leur demande comme un cadre très contraignant ».

Tous les témoignages recueillis, tant auprès d’acteurs préfectoraux que municipaux, convergent vers ce constat d’une charge de travail accrue qui incombe au premier chef aux acteurs municipaux, afin de répondre aux nouvelles exigences formelles de présentation des dossiers. Un chef de projet nous livre sa vision : « Le Cucs n’est pas plus compliqué que le Contrat de ville, mais il représente plus de travail. Avec

le Cucs, on nous demande de présenter les choses différemment, de faire des compilations. On nous demande une synthèse des bilans, une synthèse de la programmation, un suivi des tableaux financiers. Le travail est donc plus lourd pour le chef de projet que dans le Contrat de ville ». Son interlocuteur à la

préfecture le confirme : « La configuration des Cucs signés avec les communes nous a déchargés d’un

certain nombre de tâches. Les communes ont maintenant plus de pouvoir de négociation avec leurs partenaires locaux. Mais c’est aussi plus de travail pour elles ».

L’impact n’est pas moins lourd pour les porteurs de projets associatifs. Le danger de les voir se consacrer au travail administratif au détriment de leur présence sur le terrain, avec les usagers, a été maintes fois pointé au cours des entretiens. Ce risque est évoqué dans ces termes par le « Bilan global des actions Cucs 2008 » de la ville de Lormont : « Il faut rappeler ici combien les nombreuses démarches

de montage de dossiers sont lourdes pour les opérateurs comme pour l’équipe de la direction politique de la ville. (...) Si une démarche de simplification n’est pas rapidement engagée, il est à craindre soit que les acteurs ne passent leur temps qu’à traiter des dossiers, soit que le découragement ne l’emporte ce qui amènera à moins d’actions et/ou moins d’opérateurs ».

L’objectif de simplification administrative paraît d’autant plus lointain que les Cucs s’inscrivent dans un paysage marqué par l’accumulation et la fragmentation accélérée des procédures, nationales et locales, nécessitant chacune des tâches spécifiques. Dans ce domaine, les préfectures ne sont pas épargnées, ni par les tâches à accomplir, ni par la complexité du maquis procédural. Un de ses acteurs rappelle qu’« on parle de Cucs, mais à côté, il y a la dynamique Espoir banlieue qui représente beaucoup

de travail ». « On rend les choses plus complexes à cause de la multiplication des procédures parallèles,

ajoute un autre. Plus on baisse les crédits et plus on multiplie les procédures ! Les délégués du préfet qui

prennent leur poste sont affolés ! »

Conséquence pour les porteurs de projets, la perspective du dossier unique, qui avait marqué quelques progrès avec un outil comme Poliville, s’éloigne un peu plus. Chaque procédure s’accompagne en effet de la création d’un nouveau dossier… unique ! Tous les témoignages concordent sur ce point :

« Avec l’Acsé, l’idée était de payer plus rapidement les associations par une voie plus directe. L’Agence nationale, c’est très bien, mais localement la profusion de procédures submerge tout le monde, et plus encore les opérateurs que les autres ». (préfecture)

« De fait, chaque dispositif a ses propres fiches-actions, réglementations, demandes de bilans… Ce sont des financeurs chaque fois différents, qui veulent chacun leurs documents, leurs statistiques, leur mode de traitement des dossiers, qui n’ont rien à voir avec la fiche-action du Cucs ». (municipalité)

« Il y a des fiches différentes pour les actions "politique de la ville" du Conseil régional, du Conseil général, du GRSP, de la Caf, de la DDJS, de la DDTEFP… » (municipalité)

« Il y a une profusion de dossiers uniques ! C’était pourtant l’idée de Poliville au départ. Poliville a repris le Cerfa. Malheureusement, au fil du temps, il y a toujours d’autres procédures créées à côté et, en fin de compte, on n’arrive jamais au dossier unique ». (préfecture)

Le mode d’élaboration des Cucs promu par l’Acsé porte une responsabilité dans cette profusion de dossiers « uniques », car le recentrage du contrat sur le binôme État-municipalité s’est accompagné du repli des autres partenaires territoriaux, non-signataires, sur leurs dispositifs « maisons » assortis chaque fois d’exigences particulières. Aussi voit-on les tentatives locales de simplification administrative par la création d’un dossier unique ne concerner en réalité que la seule procédure Cucs. C’est le cas en Eure-et- Loir, où un formulaire commun aux services de l’État, municipalités et intercommunalités a été récemment créé. Mais ce formulaire n’est pas absolument unique puisque l’un des signataires du Cucs, en l’occurrence le Conseil général, n’en a pas moins conservé son propre formulaire44.

Le travail de programmation se révèle donc globalement chronophage dans les Cucs. Pointés de longue date, les travers bureaucratiques de cette politique ne semblent guère avoir été corrigés – quand ils n’ont pas été aggravés. Ce qui amène certains interlocuteurs à exprimer des doutes sur le coût-bénéfice de cette nouvelle procédure. Un fonctionnaire préfectoral critique ainsi le Cucs en retournant contre lui l’argument de la rationalisation des dépenses publiques qui a servi de justification aux réformes nationales : « Je me demande à quoi sert un Cucs. Son coût d’instruction est très élevé. Il faudrait le

mesurer, mais on ne sait pas faire ».

Confirmant l’hypothèse selon laquelle les réformes nationales n’ont guère réhabilité la volonté politique dans une procédure qui requiert toujours plus de technicité, ce sont les élus interrogés qui expriment les doutes les plus sérieux sur la pertinence du dispositif Cucs. Ils l’ont fait soit directement lors des entretiens, soit indirectement à travers des propos rapportés par des techniciens. Le maire de Dreux expose dans ces termes l’analyse qu’il a développée dans son rapport parlementaire de l’automne 2009 : « Le Cucs est une vraie machine de guerre ! Je ne compte plus le nombre de réunions organisées par la

sous-préfecture pour distribuer 1 000 euros. Et quand les associations n’ont pas satisfaction, elles viennent hurler à la mairie ou à la préfecture. C’est infernal ! Pourquoi avoir un inventé un système qui mobilise dix fois moins d’argent que la DSU avec un raisonnement complètement différent ? Je suis quasiment pour la suppression des Cucs. Je ne suis pas contre les moyens qu’il apporte, mais il faut laisser la collectivité décider de son utilisation ». Les autres élus interrogés expriment des doutes non

moins profonds sur le rapport coût/efficacité de cette procédure, mais sans en tirer de conséquences aussi radicales : « Aujourd'hui personne ne croit au Cucs qui embête tout le monde. Moi j’aime le Cucs,

mais c’est une lourde machine qui prend beaucoup de temps aux techniciens pour de petits budgets, surtout si on les compare à la DSU. C’est lourd aussi pour les associations alors que le montant des subventions est limité » ; « Lorsque je suis arrivée dans cette fonction, mes premières remarques concernaient l’absence de lisibilité et la complexité des financements croisés qui rendent les relations compliquées avec les porteurs de projets. Sur le terrain, c’est illisible. C’est du saupoudrage qui ne permet pas d’arriver aux résultats escomptés, même si je ne dis pas que tout est à jeter. La politique de la ville doit être maintenue, mais il y a un effort de simplification à faire ».

44 Une tentative d’unification de même nature avait été engagée, avant le Cucs, dans les Hauts-de-Garonne, mais elle est pour

l’heure limitée aux opérateurs intercommunaux qui n’ont plus à déposer, comme autrefois, quatre fiches distinctes s’ils interviennent dans les quatre communes de la rive-droite bordelaise.

2.2. L

E SÉQUENÇAGE DU TRAVAIL DE PROGRAMMATION

 :

UNE AUTONOMIE RELATIVE DU LOCAL Le pilotage de la programmation reste un exercice complexe. Il mobilise une multiplicité d’acteurs au sein de l’État, des collectivités territoriales et d’autres institutions locales, comme les Caf ou les bailleurs sociaux. À la coordination des acteurs, s’ajoute la gestion complexe des séquences de la programmation. Si chaque département possède une organisation ad hoc, il faut noter que la chronologie du travail de programmation est en partie déterminée par le calendrier national de répartition, de délégation des crédits et de remontée d’informations établi par l’Acsé. La programmation locale est donc tributaire de ce circuit financier qui descend du national jusqu’au niveau des sous-préfectures, des villes et des opérateurs, en passant par les délégations régionales de l’Acsé, les Sgar et les préfectures de département.

Du fait de l’annualité de la procédure nationale, la concertation avec les porteurs de projets et le lancement d’appels à projets doivent obéir, eux aussi, à une itération annuelle. Si appel à projets il y a, comme dans le Val d'Oise et l’Eure-et-Loir, il est lancé en fin d’année, sans que les partenaires aient connaissance du montant précis de l’enveloppe allouée par l’État. Ainsi la programmation ne coïncide-t- elle pas avec les années civiles. Non seulement, le travail de l’année N doit commencer à N-1 avant la délégation de l’enveloppe de l’État, mais elle se poursuit à N+1 pour finaliser les bilans d’actions. Ce que l’on appelle la programmation annuelle s’étale donc sur trois années. Pour le dire autrement, chaque période annuelle voit se chevaucher trois exercices (N-1, N et N+1). S’ajoute, au cours d’une même programmation annuelle, la répétition d’une partie des séquences de travail effectuées en début d’année. Ces « seconde », voire « troisième » programmations, répliques simplifiées de la première, visent à dépenser un reliquat de crédits conservé pour reconsidérer des projets qui n’avaient pas été retenus en première partie d’année ou pour financer des projets nouveaux venant à se présenter en cours d’année.