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Carole Martin (2013), dans son essai sur la perception des cours de philosophie et de littérature chez les élèves de Soins infirmiers, se sert de la notion de représentation. Selon Moscovici (1961), « les représentations sont des formes de savoir naïf, destinées à organiser, les conduites et orienter les communications ». D’une manière plus précise, selon Émile Durkheim, la représentation « désigne des "formes collectives de pensée" qui structurent et régulent la vie sociale et les interactions entre les individus et les groupes sociaux. » (Falardeau et Simard, 2011, p. 8) Cette définition a influencé plusieurs travaux menés en sociologie, en psychosociologie et en psychologie qui ont eu des retombées sur la recherche en éducation, « en particulier sur la recherche en didactique où s’est développé le modèle des "conceptions", qui s’intéresse aux relations entre un élève et un savoir particulier. » (Falardeau et Simard, 2011, p. 8) Il ne fait pas de doute que ces notions de représentation et de conception s’avèrent pertinentes pour plusieurs recherches sur l’éducation et l’apprentissage. En

effet, elles permettent d’interpréter la construction du réel dans plusieurs situations (didactiques, par exemple) ou d’étudier les influences sociales, les interactions qui bousculent la pensée et la font évoluer, mais pour la présente recherche, elles semblaient quelque peu limitées par leur caractère plus unidimensionnel. Le cadre de cette recherche devait être plus large, inclure à la fois les représentations, les conceptions et les pratiques de la littérature, car « [l]a littérature […] est le résultat d’une série d’interactions, directes et indirectes, entre l’écrivain, le texte, le lecteur et la société. » (Ouellet et Boutin, 2006, p. 154) Les informations à recueillir étant complexes et variées (l’histoire personnelle et scolaire des sujets, leurs influences, leurs pratiques, ce qu’ils ont retiré ou compris de leurs cours et de leurs lectures) et touchant à la fois les plans personnel et professionnel, le « rapport à » semblait une approche plus complète.

La notion de « rapport à » « va de pair avec l’activité d’un sujet et du sens qu’il lui attribue. » (Bautier, 2002, p. 45) Elle « a progressivement été introduite dans les didactiques disciplinaires depuis vingt ans, tant en ce qui concerne l’analyse des savoirs à enseigner que la façon dont on considère l’élève. » (Falardeau et Simard, 2011, p. 9) Dans sa thèse intitulée Rapport à la lecture littéraire. Des pratiques et des conceptions

de sujets-lecteurs en formation à l’enseignement du français à des intentions didactiques, Judith Émery-Bruneau (2010, p. 25) avance l’idée que

[p]our parler d’un ensemble de relations de sens et de valeurs d’un sujet à un objet (par exemple, un texte littéraire), ou à une pratique (par exemple, la lecture ou l’écriture), nous recourons à la notion de « rapport à ».

Les premiers travaux des chercheurs en sciences de l’éducation utilisaient la notion de « rapport au savoir » (Charlot, 1997). Par la suite, plusieurs recherches ont repris cette notion, soit pour l’élargir ou pour la spécifier, entraînant sa légitimité. À la différence de la notion de représentation, « [l]e "rapport à" est […] une relation de sens à caractère pluridimensionnel, aussi bien cognitive que sociale et psychoaffective, qu’un individu entretient avec des objets […], des contenus […], des pratiques […] » (Falardeau et

Simard, 2011, p. 9). Ainsi, l’étude du « rapport à » s’avère plus pertinente que celle des représentations d’un sujet par son caractère plus englobant.

Bernard Charlot (1997) a abordé le rapport au savoir comme étant « l’ensemble (organisé) des relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir » (p. 94). Son intérêt pour ce concept est né d’un désir de comprendre la cause de l’échec scolaire. Selon lui (Charlot, 1997), pour qu’il y ait une « activité » dans laquelle un élève apprend et comprend le savoir à acquérir, il faut que ce dernier « se mobilise », et pour qu’il se mobilise, le but visé par l’activité doit avoir « du sens ». Charlot (1997) s’appuie sur une réflexion anthropologique et propose plusieurs valeurs au rapport au savoir, entre autres, qu’il contribue à établir un rapport au monde, à soi- même et à l’autre. Charlot (1997) souligne que le rapport au savoir de chaque individu est influencé par son appartenance sociale, l’évolution du marché du travail, le système scolaire, etc. Bautier (2002), elle, a abordé le rapport au langage, mentionnant que

[p]ar le biais de ses composantes, le rapport au langage entraîne le sujet, de l’interprétation qu’il fait d’une situation vers des pratiques langagières, ce faisant vers des genres et des conduites langagières, ce faisant vers des investissements subjectifs et énonciatifs, ce faisant vers des mises en œuvre linguistiques. La relation entre ces différentes dimensions de l’activité langagière n’est pas linéaire mais, elle est faite d’aller et retour et d’interaction. (p. 52)

Bautier (2002) se penche sur les inégalités sociales à l’école et sur la distinction et l’individualisation des apprentissages chez les élèves. En fait, tout savoir étant lié à un rapport à l’écrit, à la lecture, à l’oral, le langage intervient à ces différents niveaux et a des effets sur l’apprentissage. Sa recherche étudie des activités interprétatives et fait ressortir différentes composantes du rapport au langage. Falardeau et Simard (2011) ont abordé le rapport à la culture, plus précisément dans la pratique pédagogique, où ce rapport consiste à prendre la culture de référence de l’élève (son langage, ses images, ses savoirs) et à créer un déplacement entre cette culture première et la culture seconde (les savoirs scolaires, l’art, l’histoire, la science…). Enfin, Émery-Bruneau (2014) a, pour sa part, travaillé le rapport à la littérature. Dans sa recherche, la littérature est

définie comme étant « un système composé de productions verbales visant à travailler le langage en tant qu’objet esthétique et de pratiques langagières qui les rendent possible. » (p. 73) et elle étudie la littérature en tant qu’objet enseigné, « en tenant compte du rapport de l’enseignant à l’objet enseigné. » (p. 74) Ces recherches offrent toutes une théorie pertinente pour analyser le discours des diplômés qui seront interviewés dans la présente recherche, puisque dans le cadre de leurs cours obligatoires de littérature, les étudiants et les étudiantes du collégial accumulent des savoirs, développent leur langage, enrichissent leur culture et étudient la littérature.

Toutefois, les notions de rapport au savoir et de rapport au langage semblent ici trop larges pour interpréter adéquatement les expériences des personnes interviewées. D’une part, les savoirs enseignés dans les cours de littérature sont nombreux et différents en fonction des œuvres lues et des périodes étudiées. Le contenu des cours varie beaucoup d’un cégep à l’autre, ainsi que d’un enseignant à l’autre. La seule contrainte est le respect du devis ministériel, qui est assez large. D’autre part, le langage et la communication ne font l’objet que d’un seul cours de la séquence obligatoire qui, parfois, est adapté en un cours de littérature. La notion de rapport à la culture, elle, s’approche déjà davantage des objectifs de la présente recherche puisqu’une des visées de la formation générale au cégep est « d’amener l’élève à intégrer les acquis de la culture » (MEES, 2016, p. 2). Il reste qu’elle n’est pas la compétence principale à développer dans les cours de littérature, il s’agit plutôt d’une compétence transversale. À première vue, le rapport à la littérature semblait tout indiqué pour servir de base au cadre théorique, mais certains problèmes ont été anticipés quant à ce choix. En effet, il faut rappeler que les participants et les participantes de cette étude appartiennent à la fois au secteur technique et au marché du travail. Les craintes étaient que ces derniers, en n’étant plus aux études, aient des souvenirs flous, voire absents de la matière qui leur a été enseignée, donc qu’il ait une conception trop générale de la littérature. Ces craintes se sont avérées fondées : la plupart des interviewé(e)s ne se rappelaient que de leurs professeurs et, parfois, des œuvres lues.

Ainsi, le point qu’ont en commun les quatre cours dits de français au cégep est que la lecture se trouve au cœur du développement des compétences. Normalement, à la fin de ses études collégiales, un étudiant ou une étudiante a lu un minimum de huit œuvres. De plus, la pratique de la lecture est susceptible de se poursuivre après les études collégiales et il devient donc pertinent de s’interroger sur l’mpact que les cours de littérature au cégep ont pu avoir sur ces pratiques. Le cadre théorique de la présente recherche est donc le rapport à la lecture littéraire étant donné que la porte d’entrée vers la littérature de tous les étudiants et les étudiantes du collégial est la lecture d’œuvres littéraires marquantes.