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La lecture littéraire : cause d’angoisse et de désintérêt

1.5 Le portrait de Florence (Techniques de comptabilité et de gestion)

1.5.1.2 La lecture littéraire : cause d’angoisse et de désintérêt

La lecture a suscité plus d’émotions négatives que d’émotions positives dans la vie de Florence. Ça a commencé très jeune, au primaire, avec ses difficultés d’apprentissage : « j’avais beaucoup de difficulté à lire les mots. Pour moi, lire un livre, c’était plus long

que pour les autres. […] je parle un peu sur le bout de la langue et j’avais de la misère avec mes syllabes. Moi, les v et les f étaient inversés et quand je lisais, je ne saisissais pas le sens. » Elle a vu une orthopédagogue, mais elle s’est toujours sentie en décalage avec les autres élèves : elle lisait moins vite, était très angoissée à l’idée de lire à voix haute en classe, comprenait moins facilement les textes par rapport aux autres… Au secondaire, grâce aux lectures plus captivantes et aux rédactions somme toute assez simples (elle rédigeait des critiques), elle s’est sentie meilleure, mais au cégep, les lectures imposées et la charge de travail l’ont menée à complètement se désintéresser de la lecture :

Je vais être honnête, je n’ai jamais fini un livre au cégep. J’ai souvent lu en diagonale parce que tout le monde me disait que c’était ça le truc et admettons que j’étais ben mal prise, je prenais une page au hasard pour trouver une figure de style et je choisissais mes citations comme ça. Je lisais des résumés sur Internet. Pour vrai, je n’avais tellement pas le temps pour les lire ces livres-là. J’étais trop lente ou c’était trop difficile à suivre.

D’ailleurs, si on l’interroge sur ce qu’elle a le moins aimé de ses cours obligatoires de littérature au cégep, Florence répond : « Lire des livres ». Il faut donc comprendre que la lecture littéraire constituait une cause de stress, d’ennui, elle était une activité difficile qui nuisait à l’avancement des autres cours de sa technique. Après le cégep, elle a lu quelques livres, comme la série Hunger Games, mais ce n’est pas une activité que Florence valorise ou apprécie.

En somme, la dimension subjective s’actualise de deux façons : de belles découvertes d’un côté et de l’angoisse et du désintérêt de l’autre. Elle touche au plan personnel du rapport à la lecture littéraire.

1.5.2 La dimension sociale de son rapport à la lecture littéraire

La dimension sociale, quant à elle, n’occupe pas une grande place dans le rapport à la lecture littéraire de Florence, si ce n’est pour la découverte de quelques livres. En effet, son entourage l’a peu ou pas encouragée à lire et elle a côtoyé très peu

d’enseignants ou d’enseignantes marquants pendant son parcours scolaire, du moins pas en ce qui a trait à la pratique de la lecture.

Dans son cercle social, Florence a une mère qui lit un peu, surtout des livres spirituels, un père et deux sœurs qui lisent beaucoup, l’une d’entre elles est d’ailleurs enseignante, mais ils ne l’ont pas particulièrement incitée à lire : « La seule chose, dans mon cas, c’était qu’en arrivant de l’école, je devais faire mes devoirs. Mais mes parents ne m’obligeaient pas à lire, ils savaient que je n’aimais pas vraiment ça. » Il est possible qu’elle ait lu la série Hunger Games selon la suggestion de son père, mais l’influence familiale se limite à cela. La source de lectures potentielles la plus riche pour Florence, à l’exception des livres empruntés à la bibliothèque au secondaire, c’est le Wal-Mart : « quand j’ai essayé d’en lire, c’était admettons quand je faisais des commissions, tsé au Wal-Mart, il y a beaucoup de livres au centre du magasin? Je me fiais pas mal à la pochette. Comme ils n’étaient pas chers, je les achetais et des fois, j’en finissais des petits. »

Le cercle scolaire, lui, a mené Florence vers quelques lectures un peu marquantes. Effectivement, elle a beaucoup apprécié, au secondaire, la lecture du roman Et si c’était vrai… de Marc Levy. C’était une suggestion de son enseignante de français et elle l’avait emprunté à la bibliothèque. Dans son souvenir, les lectures étaient plus libres au secondaire, elle pouvait souvent choisir ce qui l’intéressait, ce qui est un souvenir positif. Toutefois, elle mentionne également que « [c]omme [elle] avai[t] des difficultés, on aurait dit que les profs de français ne [l]’aimaient pas vraiment ». Son premier cours de littérature, à sa première session de cégep, était avec une enseignante réputée pour donner un cours difficile. Pour Florence, la matière était incompréhensible et elle ignore comment elle a réussi à avoir la note de passage. Les lectures imposées dans ses cours de français ne l’intéressaient pas, étaient difficiles à comprendre, et elle n’avait pas le temps de les réaliser. La seule œuvre qu’elle a terminée était Les Belles-Sœurs, en littérature québécoise, car elle était courte et les dialogues étaient accessibles, faciles à lire, et les seuls enseignants qu’elle a appréciés étaient ceux qui faisaient de courts résumés des lectures, car cela lui facilitait la tâche.

Elle aimait aussi les travaux scolaires en équipes, car elle pouvait voir le résumé des autres élèves, ou voir comment ils pensaient. Bref, puisque la lecture est une activité qui exige beaucoup d’efforts pour Florence et qu’elle avait un horaire chargé dans son programme d’études, elle se serait bien passée de ses cours obligatoires de littérature ou, du moins, des lectures trop complexes qu’il fallait y réaliser.

1.5.3 La dimension épistémique de son rapport à la lecture littéraire

S’il y a une habileté que Florence aurait voulu réellement développer dans ses cours de littérature et qu’elle n’a pas vraiment travaillé, c’est la qualité du français écrit : « Des fois, je réalise que je fais des erreurs vraiment graves quand je me relis. Je trouvais ça un peu niaiseux […] qu’on fasse l’épreuve uniforme où la grammaire est super importante, je pense que c’est 30 fautes maximum, quand on n’avait même pas révisé les bases dans nos cours. » Elle travaille avec les chiffres, elle s’occupe de la paie et fait un peu de facturation, elle affirme donc que « [s]on travail, ce n’est pas de regarder si [elle] fai[t] des fautes ou pas. » De plus, elle travaille dans le domaine de la construction où peu de gens ont un bon français écrit, mais Florence reconnaît tout de même que « quand tu écris à ton directeur, c’est le fun de bien écrire, sinon tu parais vraiment mal. » Il y a aussi ses collègues de travail plus âgées qui la corrigent constamment et Florence sent qu’elle se fait juger, qu’elle est « la petite jeune qui ne sait pas écrire ». Elle a « surtout peur à dans dix ans, quand une nouvelle génération va arriver sur le marché du travail. […] [Elle] ne ser[a] pas meilleure, et eux ils peuvent être meilleurs ou pires qu’[elle], [elle] ne le sai[t] pas. » Pour elle, la qualité du français écrit lui donnerait peut-être un peu plus de prestance ou de crédibilité.

La connaissance qu’elle a retenue de ses cours de littérature, ce sont les figures de style. Pour Florence, elles servent un petit peu : « ça nous a ouvert l’esprit, tu comprends que ce qu’il veut dire, ce n’est pas réellement ce qu’il dit. J’ai appris à penser et à voir comment les autres peuvent penser. Sur le coup, ça ne paraît pas, je m’en suis rendu compte plus tard. » Toutefois, en ce qui concerne la culture générale associée à l’histoire littéraire, Florence est catégorique : « ça ne me sert à rien ». Ce

qu’elle reproche à ses lectures littéraires et ce qu’elle a trouvé vraiment difficile, c’était qu’« il fallait comme trouver l’esprit du livre […], il fallait toujours aller plus loin, aller de l’autre bord, pas juste comprendre l’histoire. » Cet aspect lui a nui parce que ça a enlevé tout le côté ludique et divertissant à la lecture. Elle devait être attentive et se poser des questions, elle ne pouvait pas se laisser aller dans l’histoire. D’ailleurs, les histoires étaient rarement captivantes puisqu’elles devaient justement susciter la réflexion.

1.5.4 La dimension praxéologique de son rapport à la lecture littéraire

Chez Florence, il est possible de dire que la dimension praxéologique est très peu présente, voire inexistante. Florence pratique la lecture extrêmement rarement : « je lis quand je n’ai vraiment rien à faire ». À part des livres sur les automobiles qui appartiennent à son amoureux, il n’y a pas de livres à l’endroit où elle vit. Elle a laissé les quelques livres qu’elle possède chez ses parents. Elle n’a donc pas vraiment d’habitudes de lecture. Il n’y a pas de lieux propices pour cette activité, ou d’objectifs précis, ou même de temps et de fréquence y étant associés. Elle a déjà lu, au secondaire, mais maintenant adulte, son quotidien n’inclut pas cette activité :

Je me rappelle, au secondaire, on lisait beaucoup de bons livres, qu’on pouvait choisir, je rentrais dans l’histoire et j’adorais ça. Mais là, aujourd’hui, c’est de trouver le temps de lire, on dirait. Au cégep, on ne lisait pas des livres qu’on avait choisis. Des fois, j’essaie de rentrer dans un livre, mais on dirait que j’aimerais ça qu’il se finisse en une journée, le temps que j’ai pour le lire… Donc ça ne marche pas…

En somme, la lecture est une activité de dernier recours, quand Florence a vraiment du temps à tuer, et si le roman n’est pas intrigant, s’il ne la tient pas en haleine à peu près en tout temps, elle ne le terminera pas.