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Notion de « liance »

La notion de « liance » provient du concept sociologique de « reliance » inventé par Roger Clausse afin de parler du besoin de créer des liens dans une situation d’isolement, de solitude.

Cependant, nous nous appuierons sur la définition de la notion de liance du sociologue et philosophe français Edgar Morin. Pour lui, « […], cette notion évoque le vide primitif, une entité primordiale caractérisée par un état d’indifférenciation » c’est-à-dire être semblable à l’autre. Cet apparentement effectué par la liance se développe à travers la notion d’apprivoisement qui est la capacité de créer du lien c’est-à-dire que le temps perdu est consacré à l’autre comme dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry. Ainsi l’important dans l’apprivoisement de la notion de liance est la manière de « […] soigner la qualité de sa relation

à l'autre. » Comme l’exprime Michel Blazy son geste créateur est celui du « […] soin, qui est

un geste permettant que la pièce soit toujours à son […] optimum, c’est le maintien nécessaire d’un rapport entre plusieurs éléments. » Cette création de lien dans le geste créateur est assimilée au temps libre. Pour Jean Baudrillard et Antoine de Saint-Exupéry, ce temps libre est celui de l’enfance. Ce geste créateur qui crée du lien grâce au temps libre dépossède de son identité le spectateur dans Flore intestinale non seulement par la liance originelle, mais aussi par la liance comme processus symbiotique et la liance d’assimilation. Ainsi dans la liance originelle indifférenciée, lorsque Michel Blazy choisit pour titre Flore intestinale, il questionne l’origine de la vie, le lien originel qui renvoie au temps de la pré-existence. Il rappelle, de manière scientifique, que l’origine de l’existence c’est-à-dire les premières formes de vie à se développer sur terre, il y a environ quatre milliards d'années, étaient les micro-organismes unicellulaires supposant ainsi que l’homme proviendrait de ces micro-organismes ; à la différence de l’œuvre de l'artiste américain Charles Simonds qui fait référence à notre culture en s’inspirant d’un extrait de la Genèse « Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, […]. » Effectivement la performance photographiée Birth de Charles Simonds réalisée en 1970 présente un paysage désertique et argileux où l’artiste nu et couvert de boue surgit du sol et de la matière comme s’il naissait de cette dernière. Ensuite, ce sentiment de proximité dans

Birth, entre l’homme et la matière organique, entre l’homme et cet environnement non humain

qu’est la nature, présente une fusion similaire à un processus symbiotique proposé et développé aussi dans Flore intestinale qui renvoie à la pré-enfance c’est-à-dire au lien fusionnel. Tout d’abord, les cinq titres suggèrent le processus de digestion qui rappelle que l’homme est hétérotrophe car il dépend des autres espèces pour se nourrir et survivre. Ensuite le fait d’avoir choisi comme titre d’exposition Flore intestinale renvoie à la définition de ce titre signifiant l’ensemble des micro-organismes avec lesquels nous cohabitons. Ces derniers se trouvent dans notre tube digestif et leur fonction concrète et réelle est la capacité à vivre en symbiose avec l’hôte. La démarche de Michel Blazy avec les micro-organismes s’appuie sur le mécanisme et la stratégie du vivant permettant de mettre en valeur le lien social et symbiotique avec le monde environnant non humain. Car comme dit Michel Blazy « On peut acheter une Danette, ou n’importe quel produit pour le consommer, mais on peut aussi tenter de relier le cosmos avec son réfrigérateur si l’on observe ces produits après leur date limite ». Enfin, la troisième liance est celle du processus d’assimilation. Etymologiquement, le terme assimilation provient du latin

assimulatio qui signifie « similitude, ressemblance », ou semblable. Ce processus est présent

dans Flore intestinale car la présentation de cette installation met en scène le processus de digestion, c’est-à-dire le geste créateur. Ce processus est une forme d’apprivoisement pour rendre l’autre semblable par l’assimilation. L’objectif est de transformer les aliments en nutriments afin de présenter les différentes espèces ingérées comme semblables permettant ainsi aux cellules de les utiliser et de les disséminer dans le corps. Dans Flore intestinale l’homme et les différentes espèces végétales ou animales finissent par se reconnaître comme semblables et donc fusionner pour construire une nouvelle identité. Cette liance artistique, particulièrement dans Peinture qui mange, renvoie à la performance Paso doble de 2006 de l’artiste espagnol marjorquin Miquel Barcelo et du danseur et chorégraphe français d’origine yougoslave Josef Nadj. Dans cette œuvre nous pouvons voir les deux artistes, à la fin de la performance rentrer dans l’œuvre pour ne faire plus qu’un avec cette dernière et disparaître de

l’autre côté du décor. Alors que dans Peinture qui mange, il s’agit du spectateur, et non de l’artiste, qui est invité à rentrer dans le tunnel de l’œuvre pour disparaître. Mais il est amené aussi à ressortir par la même ouverture en réapparaissant transformé par la matière qui s’agrippe au spectateur.

Pour conclure, Flore intestinale est à la fois un hommage au monde du vivant et plus particulièrement aux micro-organismes et un mécanisme de défense par la dissémination de l'œuvre éphémère. Ainsi Flore intestinale est une œuvre en résistance c’est-à-dire qui se tient debout, empêche de voir. Cet acte se révèle par la notion de dissémination par étalement. Cette intervention constante sur la surface qui se tient devant nous de manière frontale et qui dissimule ce que nous cherchons c’est-à-dire un repère du style de l’artiste, une représentation reconnaissable du processus de digestion, de décomposition à travers la forme, les procédés de l’œuvre ou une reconnaissance identitaire. Cette résistance s’effectue par la présentation d’un hors œuvre qui propose un espace hétérotopique, c’est-à-dire un lieu autre, qui se disperse dans l’espace et dissémine le geste de l’artiste amenant à une dépossession du geste. Cette résistance se poursuit par l’altérité d’un matériau qui se présente comme pharmakon et comme matériau nomade provoquant une dépossession de la perception et de la pensée. Enfin la dernière résistance est celle de l’apparentement avec l’environnement non humain qui par le processus de différenciation et la notion de liance amène le spectateur à une dépossession identitaire afin de découvrir sa nouvelle identité. Cette dissémination dans Flore intestinale est un éloge à la lenteur qui « […] devient alors une force de résistance » car « Créer c'est résister […], prendre son rythme à soi. […] » Flore intestinale résiste à toute forme d'appropriation en proposant une œuvre insaisissable. Michel Blazy interroge le geste créateur amenant le spectateur à percevoir l’œuvre sans la posséder, s'approcher d'elle sans se l'approprier, la toucher sans la consommer. Comme il dit « [...] Je deviens un observateur, je ne m’impose pas aux choses, mais je les

regarde agir sur la base de l’intuition et je me sers ainsi des énergies existantes. » Ainsi Flore intestinale est une œuvre responsable qui défend et valorise non seulement la fragilité et la

sensibilité mais aussi l’existence de toutes les espèces.

Time is honey ; L'artiste comme acteur écologiste