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Chapitre II Cadre Théorique

1. La théorie de l’action conjointe en didactique

1.3 La notion de Jeu

Dans la théorie de l’action conjointe la notion de jeu est présentée comme un modèle pour mettre en évidence et décrire l’action didactique. « … la théorie de l’action conjointe en didactique tente de proposer une théorie de la pratique. Elle tente donc de fournir des outils de description de la pratique. Dans cette perspective, la notion de jeu constitue un tel outil, utilisé autant pour sa capacité générique à donner à voir sous une certaine description toute action humaine, que pour sa capacité spécifique à rendre compte de certains aspects saillants de l’action didactique, c’est-à-dire de toute action au sein de laquelle quelqu’un entreprend de faire apprendre « quelque chose » à quelqu’un d’autre… » (Sensevy, 2012, p.106).

Le jeu didactique a une structure fondamentale et plusieurs caractéristiques :

- c’est un jeu coopératif dans lequel coopèrent deux joueurs qui sont en transaction autour d’un objet. Dans notre cas la transaction est autour du savoir en jeu entre les deux joueurs, le professeur et l’élève (ou les élèves). L’activité du professeur et de l’élève est coopérative dans le sens où aucune de leur activité n’a de sens que si chacun joue son rôle. L’enseignement du professeur n’a pas de sens sans l’apprentissage de l’élève. C’est un jeu du type gagnant-gagnant : le professeur ne gagne que si et seulement si l’élève gagne. L’élève doit produire les stratégies gagnantes par lui-même, par son propre mouvement (proprio motu). Il ne suffit pas de faire semblant ou de reconstituer mécaniquement le savoir, il faut que l’élève intègre véritablement le savoir.

- c’est un jeu réticent : Dans ce jeu une réticence didactique est exigée de la part du professeur pour assurer la clause proprio motu. Le professeur ne doit pas transmettre directement le savoir à l’élève, il doit permettre à l’élève de produire la stratégie gagnante de son propre mouvement. C’est un jeu qui nécessite la dévolution (Brousseau, 1998) dans le sens où le professeur doit faire accepter à l’élève la responsabilité de jouer le jeu à la première personne.

- c’est un jeu dissymétrique : Le professeur a la responsabilité du jeu, il est à la fois « juge et partie » ce qui suppose la tentation de « tricher » au jeu : effets Topaze et Jourdain (Brousseau,

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1998). « Le professeur peut être tenté de reconnaître dans un comportement de l’élève une stratégie gagnante et de « décréter le gain » (effet Jourdain). Il peut être tenté également de donner directement à l’élève des informations concernant le savoir, en permettant ainsi la production de comportements mimant la stratégie gagnante sans que celle-ci ne soit appropriée (effet Topaze). » (Sensevy, 2007, p.21).

Un jeu possède des règles définitoires qui permettent de jouer le jeu, « elles correspondent grosso modo au règlement du jeu ». Il nécessite des règles stratégiques qui « explicitent comment bien jouer au jeu » et qui permettent aux élèves de gagner au jeu et des stratégies (effectives) « qui constituent pour le joueur la manière concrète d’agir ». (Sensevy, 2012, p.112).

« La caractérisation d’une règle définitoire répond à la question que faire ? et la caractérisation d’une règle stratégique répond à la question comment bien faire et tandis que la caractérisation d’une stratégie répond à la question qu’est ce qui est fait ? » (Le Henaff, 2013).

1.3.1 Les jeux d’apprentissage

Un jeu d’apprentissage n’existe que dans le cadre du jeu didactique. C’est une modélisation pour décrire le jeu du professeur sur le jeu de l’élève. Il représente une spécification du jeu didactique à un savoir identifié. Chaque jeu d’apprentissage a un enjeu de savoir particulier. En effet, tout jeu didactique se décline en une série de jeux d’apprentissage qui évolue chaque fois qu’apparaît, en situation, un changement de focalisation d’un objet de savoir à l’autre (Sensevy, Mercier, Schubauer-Leoni, Ligozat, & Perrot, 2005).

Une séance d’enseignement est caractérisée par une succession de moments à la fois liés et indépendants, moments « à la fois connexes et clos » (Sensevy, 2007). Dans la TACD ces « moments » sont considérés comme des jeux d’apprentissage (Sensevy, Mercier, Schubauer-Léoni, Ligozat & Perrot, 2005) ; ces jeux (moments) sont produits par la nécessité d’avancer dans l’apprentissage.

D’après la TACD, les jeux d’apprentissage peuvent être définis comme l’expression d’un contrat didactique spécifique dans un milieu donné lié à un savoir donné. « Un nouveau jeu supposera un nouveau contrat, c’est-à-dire, en particulier, de nouvelles attentes du professeur vers les élèves et des élèves vers les professeurs […] Ce contrat nouveau, propre au nouveau jeu, est accompagné d’un nouveau milieu. » (Sensevy, 2007, p. 27).

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1.3.2 Jeux d’apprentissage « premiers » et jeux

d’apprentissage « spécifiques » :

Dans le travail de thèse de Marlot (2008), les jeux d’apprentissage ont été distingués selon le contenu épistémique qu’ils mobilisent. Les jeux d’apprentissage « premiers » sont des jeux de faible densité épistémique, ils peuvent être plus ou moins génériques s’ils sont mis en fonctionnement par des éléments pérennes du contrat de la classe, par des règles définitoires et par des incitations stratégiques de la part du professeur ; les jeux d’apprentissage « spécifiques » ont une densité épistémique plus importante.

En fait, un jeu d’apprentissage n’est pas générique ou spécifique « en lui-même ». Selon la situation un même jeu pourra être spécifique (s’il représente l’enjeu de la situation) ou générique (s’il actionne la mobilisation d’un savoir qui lui, va être nécessaire à la mise en œuvre du jeu spécifique visé par l’apprentissage) ou premier (s’il est devenu avec le temps un élément pérenne du contrat didactique de la classe).

Par exemple : « Réaliser le schéma d’un circuit électrique » peut être un jeu spécifique s’il s’agit pour les élèves de faire une première expérience avec les contraintes de la schématisation en électricité. Il est considéré comme un jeu générique, s’il s’agit de faire le schéma pour une étude et un calcul de la tension et de l’intensité du courant dans le circuit. Le même jeu prend le statut de jeu premier s’il devient associé à une habitude ou fait partie du contrat établi dans la classe comme par exemple au début de tout exercice on fait le schéma du montage étudié. Dans chacun de ces cas, même si le jeu d’apprentissage semble être le même « réaliser le schéma d’un circuit électrique », les règles stratégiques (comment l’élève va-t-il gagner au jeu ?) vont fortement différer.

Donc, selon l’avancée du temps didactique, un jeu d’apprentissage change généralement de statut. Sur l’espace d’une même séance, ou de plusieurs séances, voire de temps plus longs, un jeu d’apprentissage peut passer du statut de spécifique au statut de générique.

Dans le cadre de notre travail, nous nous limitons à la distinction jeux d’apprentissage « premiers » (qui représentent une partie des jeux d’apprentissage génériques), et jeux d’apprentissage « spécifiques ».

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1.3.3 Glissement de jeu :

Le phénomène de glissement de jeu est un phénomène didactique qui a été identifié et décrit dans le travail de Marlot (2008). En effet parfois, les jeux spécifiques visés ne peuvent être joués faute de disponibilité d’objets correspondant dans le milieu, ils sont alors remplacés par des jeux plus génériques. Ces jeux génériques dont les objets sont souvent disponibles dans le milieu viennent alors substituer les jeux spécifiques. Ce phénomène est appelé « glissement de jeu d’apprentissage ». Le glissement de jeu d’apprentissage ne peut être considéré en soi comme un dysfonctionnement de la relation enseignement-apprentissage : c’est son analyse dans le contexte de la situation de savoir qui permettra au chercheur d’évaluer son effet sur la compréhension des élèves.