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Chapitre 3 : présentation et analyse des résultats

3.2 Des rapports de pouvoir femmes-hommes invisibilisés

3.2.3 Normal que les hommes agissent et que les femmes apparaissent

Les participants voient bien, quand ils sont interrogés à cet égard, que ce sont les hommes qui regardent l’objectif, parlent et décident. Leurs premières réactions sur les affiches publicitaires portent toutefois sur des éléments esthétiques : « Les gars sont en bleu (rires des participants), pis ils sont plus grands, pis comme des hommes à la télé » (participant 7). Un participant note éventuellement le traitement différencié des personnages féminins et masculins dans la publicité : « ils ne répondent pas aux mêmes critères exactement; les filles sont vraiment en appui ». La plupart endosse cette stratégie visuelle en raison du fait que la campagne My Strength vise à interpeler les gars, comme l’expriment ici deux participants :

- « Ben moi je me suis dit exactement ça (citation de participant 7); la manière dont ils étaient placés; mais je me suis dit ‘ben on essaie de parler aux gars, donc c’est le gars qui regarde la caméra’ [...] pis à aucun endroit les filles ne regardent la caméra »;

- « Ben évidemment avec le thème, l’idée c’est genre le gars » (participant 5);

- « Y regardent pas la caméra parce que c’est le gars qui te raconte ce que lui a fait » (participant 4).

L’appartenance sociale à la catégorie de sexe des hommes, laquelle constitue le public visé de cette campagne, semble suffire à leurs yeux à expliquer le fait que tous les hommes, hétérosexuels ou homosexuels, soient représentés sur les affiches de manière active. Lorsqu’il est question du couple homosexuel présent sur l’une des affiches, le fait que les deux gars regardent l’objectif est aussi légitimé :

- « ce sont les seuls [le couple de gai] qui regardent les deux la caméra » (participant 4); - « ça vise les gars, faque… » (participant 6).

Cependant, deux participants se montrent sensibles au traitement différencié selon le sexe en discutant de l’affiche où deux hommes sont mis en scène. L’un d’eux souligne le traitement visuel plus égalitaire du couple gai par rapport aux couples hétérosexuels. L’échange qui suit témoigne de cette interprétation de sens :

- « pis ils sont sur un pied d’égalité dans le sens où ils sont égaux » (participant 3); - « c’est vrai! Ils sont de la même taille! » (participant 6);

- « mais pas juste ça; il n’y a pas quelqu’un qui est en-dessous de l’autre ou dans l’épaule de l’autre » (participant 3).

Les participants ne font pas explicitement référence au fait que cette représentation visuelle des personnages pourrait faire écho à des rapports de pouvoir entre les femmes et des hommes. Pourtant, ce type de rapports est subtilement exprimé dans les affiches de la campagne My Strength. En recourant à la perspective goffmanienne, nous observons que la manière dont les personnes occupent l’espace spatial des affiches diffère selon le sexe, selon un modèle de subordination féminine. Notre analyse s’appuie sur les quatre

dimensions suivantes : la taille relative; le cérémonial du statut social; le rituel de subordination et le retrait de la situation sociale (Goffman, 1977, 1979, dans Cyr, 2005). Premièrement, la taille relative45 des hommes est plus grande que celles des femmes dans trois des quatre affiches qui montrent des couples hétérosexuels. Par contre, les hommes qui forment le couple gai sont de la même hauteur. Deuxièmement, tous les hommes « prennent les devants » (Cyr, 2005, p. 83) en arrêtant ou en décidant de ne pas poursuivre une relation sexuelle. Cette mise en scène relève du cérémonial social, un mécanisme qui consiste à établir une hiérarchie entre les rôles que jouent les personnes dans la publicité. Troisièmement, les couples hétérosexuels sont tous formés d’une partenaire féminine qui penche sa tête ou son corps. Ce type d’expression visuelle est considéré comme un rituel de subordination exprimant un relatif abandon à l’autre, voire un accord pour « se faire guider ou contrôler par autrui » (Cyr, 2005, p. 84). Au contraire, les hommes qui forment le couple homosexuel se tiennent la tête et le corps droit. Enfin, les hommes – hétérosexuels et homosexuels – s’engagent dans la situation sociale en regardant l’objectif, alors que les femmes, qui regardent ailleurs, s’en retirent. Se retirer d’une situation sociale est un comportement qui indique qu’une personne n’est plus présente dans une situation, ni physiquement ni mentalement, parce qu’elle est mal à l’aise. Le retrait de la situation sociale peut aussi évoquer l’idée de la dépendance à l’égard d’autrui (Cyr, 2005).

La prise de parole par les hommes est aussi un élément qui paraît normal pour la plupart des participants, même si certains remarquent une différence dans le discours. Ce dernier varie en effet selon que ce sont les hommes des couples hétérosexuels ou du couple homosexuel qui parlent dans la publicité, comme l’expriment deux participants : « le pronom we est utilisé » (participant 3); « y’en a un qui voulait; l’autre qui voulait pas; pis les deux regardent la caméra » (participant 2). De fait, dans le cas des couples hétérosexuels, l’affirmation est énoncée par l’homme du couple qui recourt au pronom « I » : « When she changed her mind, I STOPPED. » Dans le cas du couple gai, les deux hommes parlent grâce à l’utilisation du pronom « we » : « So when I

wanted to and he didn’t, WE DIDN’T. » Pour plusieurs participants, cette différence s’explique par la stratégie

publicitaire qui vise à interpeler les hommes : « c’est l’idée qu’on s’adresse aux gars » (participant 5); « ça réussit à donner l’impression de quelqu’un qui nous parle » (participant 7).

L’une des rares critiques adressées à la campagne My Strength porte justement sur le fait que les femmes y sont silencieuses et passives alors que les hommes y prennent la parole et agissent (Murphy, 2009). Cette critique a pour but de rappeler qu’une telle représentation stéréotypée risque de reconduire un vieux stéréotype de genre selon lequel la sexualité – notamment le désir – et la valeur qui lui est attribuée, diffère selon le sexe. Les rôles masculins et féminins sont ainsi réassignés dans des stéréotypes sexuels et présentés comme étant naturels. Par exemple, dans la campagne My Strength, le masculin est associé à

45 La taille relative ne tient pas compte de la taille uniquement, mais aussi de la hauteur des personnages l’un par rapport à l’autre (Cyr,

l’urgence sexuelle et à la maîtrise, alors que le féminin évoque la défilade à l’égard de la sexualité (Murphy, 2009).

L’un des arguments qui appuient cette critique, comme les caractères passif des femmes et actif des hommes, est relevé par un participant. Le fait que l’homme décide pour sa partenaire, dans plusieurs des messages secondaires, apparaît étrange au participant 7 : « je trouve ça spécial qu’il décide pour la fille, alors que peut- être que c’est ça qu’elle veut [avoir une relation sexuelle] […] too high, j’suis pas sûr que ce soit un bon critère ». Sans évoquer clairement le fait que la prise de décision par le partenaire masculin évacue l’agentivité de la partenaire féminine, le participant 7 montre une certaine sensibilité au rapport de pouvoir qui peut exister entre les femmes et les hommes. Cependant, il réaffirme surtout l’importance du consentement dans les relations intimes et sexuelles en disant que « souvent c’est consensuel [les relations sexuelles]; alors que là [dans le message secondaire], c’est encore le gars qui décide pour la fille ».