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Chapitre 1 : problématique de recherche

1.3 Le cadre théorique

1.3.3 Le genre et la communication publique

Tel que conceptualisé dans ce projet de recherche, le genre est un système qui crée deux catégories de sexe tout en leur attribuant une valeur inégale, généralement à la faveur du masculin (Bereni et al., 2012). Ce système social nous plonge au cœur de l’enjeu de l'égalité entre les femmes et les hommes, lequel fait souvent l’objet de débats dans l’espace public. Or, la communication publique se situe justement « à l’intersection des théories et des techniques, au cœur du processus par lequel se réalise le débat public et l’émergence des enjeux » (Demers, 2008, p. 225), que ce soit dans les domaines du journalisme, des relations publiques, de la communication par réseautage et de la publicité. Ainsi les messages véhiculés par la publicité sociale agissent-ils « en soutien à des prises de position sur les questions d’intérêt social » (p. 225), comme dans le cas d’une campagne visant à mobiliser les hommes pour lutter contre les agressions sexuelles. La publicité sociale n’échappe toutefois pas aux logiques sexuées, obéissant sensiblement aux mêmes impératifs d’efficacité persuasive que la publicité commerciale, où l’empreinte du genre est manifeste.

1.3.3.1 L’empreinte du genre dans la publicité

Dans un article qui dresse le bilan critique de l’approche française du genre en publicité, Jean-Baptiste Perret (2003) souligne que la conception et la qualification des personnages d’une annonce publicitaire puisent à même la réserve des « stéréotypes sociaux disponibles et compréhensibles par le plus grand nombre » (p. 166). L’auteur ajoute par ailleurs que si les rôles de genre traditionnels sont encore présents dans les publicités, c’est aussi le fait de leur prévalence dans certains secteurs de la réalité sociale. En outre, cette prédominance traduit par ailleurs la logique de communication qui guide une bonne partie des annonceurs « qui, souhaitant une réception favorable de leurs messages de la part de la plus large audience possible, sont naturellement portés à privilégier les messages présentant une image lisse et conventionnelle des rapports sociaux ».

La publicité contemporaine ne met pas systématiquement à l’avant-plan des représentations sexistes des hommes et des femmes (Gauntlett, 2008). L’auteur ajoute qu’il ne faut pas en déduire pour autant que les publicitaires prennent leur responsabilité sociale au sérieux, mais qu’ils montrent plutôt avoir compris que d’offenser leurs clients avec des stéréotypes sexistes est néfaste pour les affaires. Une étude réalisée en Espagne en 2005 et portant sur 400 publicités diffusées à heure de grande écoute à la télévision a montré un équilibre dans la représentation des femmes et des hommes presque équivalant à la réalité : les publicités contenaient 50,6 % d’hommes et 49,4 % de femmes alors que la population était constituée de 49,3 % d’hommes et de 50,7 % de femmes. Cependant, la voix hors champ était masculine dans 68 % des cas. Les femmes étaient par ailleurs deux fois plus susceptibles d’être représentées faisant du travail ménager ou donnant des soins aux enfants, alors que les hommes étaient montrés faisant du travail à l’extérieur de la maison (Valls-Fernandez et Martinez-Vicente, 2007, cités par Gauntlett, 2008). Gauntlett conclut que s’il y a des signes d’évolution dans les représentations des rôles des femmes et des hommes dans la publicité, les espaces et les lieux de leur mise en scène restent encore empreints de stéréotypes de genre.

La publicité commerciale est aussi une industrie genrée dans la mesure où les hommes y sont surreprésentés, notamment dans des postes clés (Milestone et Meyer, 2012). Une revue de littérature (Broyles et Grow, 2008, cités par Milestone et Meyer, 2012) démontre qu’aux États-Unis, même si les femmes forment 66 % de la main-d’œuvre dans le secteur de la publicité, seulement une sur trois travaille dans les secteurs liés à la création. Elles sont encore moins nombreuses à occuper des postes clés, comme celui de la direction artistique. Qui plus est, l’idée selon laquelle le génie serait masculin est encore très répandue dans les départements de création des agences de publicité au Royaume-Uni (Nixon, 2003, cité par Milestone et Meyer, 2012).

En citant les travaux de Drumwright et Murphy (2004), lesquels ont enquêté auprès de 29 agences de publicité de huit villes américaines, Cossette et Daignault (2011) rapportent que la question éthique semble n’avoir que très peu de valeur dans les agences. Les publicitaires manifesteraient ce que les auteurs ont nommé la myopie morale, « un biais qui empêche la prise de conscience des questions morales » (p. 79). En guise d’explication, les auteurs citent le sociologue du travail Jean-Claude Thoenig (2004) :

dans les écoles de gestion, il n’est pas question d’étudier les phénomènes de pouvoir et de domination, comment se répartissent les inégalités, qui paie et qui bénéficie. On se cantonne aux seuls problèmes situés en amont de l’action, soit à la conception et à l’exécution de solutions efficientes et efficaces. (p. 81)

Cette explication permet de souligner la difficulté que pose la conception d’une publicité sociale élaborée dans des conditions semblables à la création publicitaire commerciale. S’il est nécessaire que la publicité sociale se démarque, elle aussi, dans un contexte social saturé de messages médiatiques, il ne faut pas perdre de vue que « celle-ci poursuit une finalité différente, soit celle du bien commun » (Cossette et Daignault, 2011, p. 77). Si la remise en cause du pouvoir dans les rapports sociaux de sexe n’est pas prise en compte par les

créateurs, l’objectif d’une publicité sociale visant à mobiliser les hommes sur les agressions sexuelles pourrait être vain. Tout comme la mission de l’organisation qui déploie des efforts et de l’argent pour la mettre en œuvre pourrait être minée par la reconduction de croyances et de valeurs opposées au projet publicitaire et au bien commun.

À la lumière des observations sur l’empreinte du genre dans la publicité, et du pouvoir détenu par les créateurs publicitaires dans la transmission d’idéologies auxquelles ils demeurent peu sensibles, il y a lieu de se préoccuper du renforcement des idées traditionnelles sur les femmes et sur les hommes dans leurs productions (Milestone et Meyer, 2012), tout comme de l’effet de publicités genrées sur le public. Plusieurs travaux menés dans le domaine des media studies par la recherche féministe ont poursuivi cet objectif. Ce regard dans le rétroviseur apportera un éclairage pertinent à notre propos en nous permettant de comprendre l’évolution qu’ont connue les études portant sur l’effet des médias.

1.3.3.2 Les media studies et la recherche féministe

À l’instar des travaux ayant eu pour objet les femmes, les études de contenu portant sur les hommes, les masculinités et les médias, plus rares, arrivent à des conclusions convergentes : la représentation des hommes dans les médias renforce des modèles de masculinité traditionnels (Fejes, 1992). Les études sur les masculinités sont elles aussi appuyées par l’idée que le lien qui unit les médias à la société est linéaire. Le message reçu serait donc équivalent au message émis. Par exemple, il est présumé que les représentations médiatiques jugées stéréotypées, sexistes et non conformes à la vie réelle des femmes ont une influence majeure et néfaste sur elles (van Zoonen, 1994). Selon cette logique, les travaux féministes en études des médias, comme ceux en études des masculinités, ont davantage porté sur l’étude des textes culturels et ont fait peu de cas de l’interprétation ou de l’usage qu’en font les récepteurs. Cette vision suppose une faible activité des filles et des femmes dans la consommation des médias (Ang et Hermes, 1991; van Zoonen, 1994), ainsi que des hommes. Pourtant, les études arrivent difficilement à établir un lien direct entre ces représentations et leurs effets sur les membres du public cible (Fejes, 1992). D’où la nécessité d’étudier plus spécifiquement la manière dont les images et les discours véhiculés dans les médias contribuent à leurs propres notions de la masculinité (Fejes, 1992) :

Pour s’avérer utile, la recherche portant sur les effets des médias devrait s’attarder à démontrer que les membres du public cible ‘lisent’ les messages médiatiques sur la masculinité d’une manière très individuelle, en plus de soutenir l’idée qu’il y a plusieurs masculinités. (p. 22)

Dans ce projet de recherche, nous déplacerons notre regard vers la réception. Notre objectif est notamment de mieux comprendre comment le genre participe du processus d’interprétation d’un contenu médiatique par des hommes.