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Du nomadisme comme acte et de l’errance comme dynamique ?

JE SUIS VENU, JE VOIS, JE VAINCRA

2. Du nomadisme comme acte et de l’errance comme dynamique ?

Si la migration rejoint le nomadisme comme acte ou réponse nécessaire, elle implique un changement de repères avec lesquels l‟être devra apprendre à conjuguer, repères fragiles et provisoires puisque la migration revêt quelque chose de la non permanence. Le voyage, même s‟il peut emmener loin, longtemps et demander parfois une certaine adaptation et souplesse dans son fonctionnement représentationnel et ses modalités d‟expression, implique un retour possible et prévu, et donc une adoption de nouveaux repères qui est en amont envisagée comme provisoire. Mais le plus souvent organisé, c‟est avec ses repères propres que les nouvelles situations seront appréhendées, d‟où parfois l‟effet de sidération. Ainsi, partir à l‟aventure reste de l‟ordre du voyage, là où s‟égarer, se perdre, s‟enfuir parfois, fait retomber dans une dynamique erratique sans rien d‟autres pour s‟y soutenir que soi-même. Le chemin parcouru pourra toutefois se trouver initiatique révélant ses trésors et autres décors enfouis, puis être revisité dans un « voyage » dans sa définition spirituelle, à savoir un

déplacement introspectif et rétrospectif, imaginaire et fantasmatique.

L‟Exode, relatée dans la Bible par le deuxième livre du Pentateuque du même nom, désigne et décrit la sortie des Hébreux d‟Égypte guidés par Moïse. L‟on a ensuite étendu l‟emploi du terme à toute émigration collective et massive, entraînant un abandon de son environnement familier pour un lieu plus sécurisé et sécuritaire Ŕ parfois non encore trouvé ou imaginairement défini. Le départ ainsi sera lié à une menace plus ou moins sérieuse pour l‟intégrité physique (et psychique). L‟exil quant à lui est à différencier de l‟exode du seul fait qu‟il peut toucher des groupes restreints ou un individu, et qu‟il est, à la base, une condamnation par un autre avec interdiction de retour, au moins pour un certain temps, au risque, en cas de transgression, d‟une condamnation plus lourde, parfois la peine de mort. Toujours par extension, ce terme est utilisé lorsque toute personne est contrainte, ou se sent

contrainte, à vivre hors de son environnement familier, ce qui est de plus toujours rappelé du fait même que le lieu d‟accueil porte le nom de cette contrainte.

La fugue, elle, est un mouvement particulier de fuite, aussi comme l‟art musical peut l‟entendre. En effet, le contrepoint vocal permis par certaines compositions donne l‟illusion auditive qu‟une voix fuit l‟autre et que l‟autre poursuit la première. Nous nous porterons en faux devant l‟affirmation qu‟une fugue serait un départ « impulsif », c‟est-à-dire sans canalisation pulsionnelle et sans but (autre que celui de la pulsion s‟entend), puisque ce départ est motivé par l‟angoisse d‟un danger et que les pulsions sont alors dérivées vers un comportement de fuite.

Tous ces mouvements impliquent en leur définition même une adaptation, une survie possible. Le fait de pouvoir se retrouver, se ressentir dans une mêmeté d‟être n‟est pas exclue. En effet, même s‟il s‟agit d‟acte « forcé », l‟issue n‟est pas fatalement la mort et une « transposition » de son être dans un nouveau plan de l‟espace demeure possible. Le « voyage » est étymologiquement traduit par « ressources » ou « provisions » : l‟on peut donc entendre que ce qui peut emmener à perdre ses repères peut aussi être ce qui les révèle ou permet d‟en construire de nouveaux. L’errance quant à elle, ne présage aucune issue, ni bonne, ni mauvaise, ainsi tout est nécessairement possible. Ce qui surtout semble de prime abord différencier l‟errance des autres mouvements est le fait que celle-ci soit dépourvue de projet, à entendre aussi comme pro-jet (jet par-devant soi). L‟errance psychique sera dépeinte comme se motivant elle-même d‟un projet qui restera méconnu, inconscient et parfois révélé à travers des actes, le nomadisme pouvant alors incarner l‟un d‟entre eux.

Pour l'anglophone, le nomade peut s‟écrire comme le no-made, le non-fait. Comment pourrions-nous, nous, entendre cette équivoque ? En premier lieu nous pourrions dire que ce qui est non fait reste donc à faire ou à finir.

Si l‟on se réfère à la première acception du terme « faire »46, l‟on est renvoyé d‟emblée à la dimension de l‟être et de l‟existence : « donner l‟être, l‟existence à ». Cette déclinaison rejoint très vite celle de la création, des dons de vie et de naissance. Faire c‟est construire et donner une (sa) forme définitive à une chose, mais aussi sa manière d‟être. Le non fait pourrait alors être ce qui n‟existe pas, n‟est pas encore dans sa forme aboutie, ce qui est à créer par opposition à ce qui est déjà là. Si faire est commettre ou réaliser, et le fait le

46 Dictionnaire du Centre National de Ressources textuelles et lexicales (CNRS). URL http://www.cnrtl.fr

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résultat, le non fait est-il un objectif non atteint ou un acte manqué ? Il nous semble que le non fait serait plus à entendre du côté du « pas encore » et du « en train de ». Le non fait révèlerait en même temps qu‟il relèverait du caractère de gestaltungen, de forme en formation donc d‟une dynamique qui ne saurait s‟arrêter que dans la mort. Le non fait ne serait donc pas tant de la non existence que de la non fixité.

Autre équivoque anglophone cette fois phonétique : no-mad, le non fou. Nous pourrions de la même façon que précédemment décliner cette non folie à partir de la signification de ce dernier terme. L‟adjectif « fou » qualifie celui qui semble avoir ses facultés mentales pathologiquement perturbées ou celui qui exulte et s‟exalte de manière trop intense voire violente. Même dans la définition philosophique ou artistique, est toujours connoté le fait que ce qui est fou échappe à la raison et au sens, de manière volontaire ou non. C‟est ainsi que le fou du roi est celui qui, par l‟absurde, doit divertir la cour. Une autre nuance à apporter à ce terme, est que le fou est l‟insouciant, celui qui échappe au contrôle et qui s‟en défait dans le même temps qu‟il s‟éloigne des normes morales et sociales, au risque de ne jamais pouvoir emprunter et empreindre les voies de la sagesse. Alors ce non fou qui ou que serait-il ? Le non fou ne serait pas à opposer stricto sensu au fou. Il ne s‟agirait pas de dire que le non fou est sain ou encore qu‟il se plie au sens, à la sagesse, à la raison, mais plutôt qu‟il les questionne. Le non fou serait celui qui tenterait de dialectiser ses passions en les interrogeant et ainsi, questionnant la folie ou le sens qui parfois se rejoignent, tente ou réussit à s‟en préserver, à ne pas s‟y réduire, tout en se maintenant dans leur croisée.

Questionnement et mouvement…. Voilà qui pourrait littéralement résumer en deux mots le contenu de cette présente recherche et décrire toutes d‟entre elles. Et qu‟il s‟agisse de nomadisme, de voyage, d‟errance, de fugue…, il y a toujours cette idée de mouvement que nous questionnons. Et à l‟opposé du mouvement, l‟on retrouvera le statique, la fixité. Les réalités que chaque terme recouvrira trouveront leur écho dans les processus psychiques.

Le nomadisme est le mode de vie de celui ou de ce qui n‟est pas assigné à une place, à un lieu, un état fixe, qui n‟est pas permanent dans sa posture voire dans son être, et ce d‟abord par nécessité. Ainsi, si l‟environnement est instable et peu prompt à se laisser domestiquer, faut-il s‟y adapter en le quittant au moins provisoirement, ou se changer soi Ŕ donc ses repères internes Ŕ pour qu‟une évolution en adéquation avec l‟Umwelt soit possible. De manière générale, le nomade est celui qui n‟a pas de demeure, du moins fixe. Étymologiquement, le nomade est celui qui, le menant paître, vit au rythme de son troupeau, et historiquement parlant, celui qui suit le gibier, ce qui lui permettra de survivre.

La sédentarité renvoie au fait ou au besoin d‟être assis, sans déplacement, ou de l‟inutilité d‟un mouvement. La sédentarité est le fait également de ce qui se déroule dans un petit espace délimité, ou de ce qui est attaché à un objet d‟habitat (objet d‟investissement faut-il entendre). Le sédentaire est celui qui, l‟envoyant paître, vit au rythme du hors temps. Le déplacement auquel la sédentarité s'oppose pourrait grossièrement être décrite comme un mécanisme qui visera à projeter une représentation, un affect ou un désir sur un objet de substitution. Ainsi la sédentarité consisterait à ancrer un objet à un espace sans possibilité de projection ou de transposition, même métaphorique. Sans mouvement ou mouvement limité, l'objet se réduira à un point spatial et temporel fixe ne pouvant donc être investi que sur un seul mode voire parfois ne pouvant plus être désinvesti sans un risque mélancolique.

Comme nous le postulons dans le titre, nous sommes tentés de rapprocher le nomadisme d‟un acte questionnant l‟être sujet, acte qui sera « autorisé » par un processus dynamisant que serait l‟errance. La dynamique est ce par quoi le mouvement est opéré, la force qui le régit en vue d‟un objectif précis ou en perspective des modifications qui sont en train de s‟appliquer et de la manière dont elles se font. L‟errance peut se colorer de plusieurs spécificités : ainsi peut-elle être le fait de celui qui marche sans cesse ou de celui qui œuvre sans but ou au hasard jusqu‟à parfois s‟égarer. L‟errant est aussi celui qui, ne sachant vers où ou dans quoi s‟engager, tergiverse et hésite, ne prenant pas position ou positionnement.

Un acte, pour le dire brièvement, est l‟expression effective du pouvoir (capacité et possibilité) d‟un sujet et de son existence concrète. L‟acte se manifeste à partir des faits du sujet, ce dont il est responsable. Un acte est, par conséquent, témoin du fonctionnement psychique du sujet au moment d‟agir cet acte. Interroger le nomadisme comme acte c‟est lui supposer cette possibilité de venir témoigner de la dynamique psychique dans laquelle se trouve le sujet, mais aussi considérer que le nomadisme est une expérience signifiante. Pour autant, le nomadisme (psychique) dont nous parlerons, ne pourra lui-même être appréhendé que par ses propres manifestations. Ces actes signifiants viendront exprimer Ŕ parfois de manière tacite ou détournée Ŕ « là où en est » le sujet.

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3. Conclusion

Nous venons de voir qu'il ne peut y avoir de déterminisme psychique que lorsque dans un après-coup, le sujet remonte son cheminement jusqu'à rejoindre au moins asymptotiquement ce qu'il aura été. Pris dans une dynamique, ni le sujet ni l'A(a)utre ne pourrait présager de l'issue ou de son devenir. Et c'est en cela que réside le devenir, en un indéterminé toujours en formation qui ne saurait trouver de fin que dans un futur antérieur.

Nous avançons que l'errance psychique est une dynamique permettant au sujet de remanier les repères et ancrages desquels se fondaient son émergence et ses mouvements. Ceci suppose donc que l'errance ne peut être nommée comme telle que si un système représentationnel est d'ores et déjà constitué. Pour autant, l'errance en tant que dynamique est un mouvement primal et fondamental de toute vie subjective. Et la manière de dire cette errance, d'y poser ou non du sens, de s'en laisser porter ou de lutter contre, les effets de l'errance seront eux-mêmes à entendre comme erratiques, comme faisant partie intégrante de l'errance psychique, témoignages de ce qu'elle est, dans ses déclinaisons et de ce qu'elle influence le sujet, ce que nous expliciterons dans les chapitres suivants.

Si l'errance psychique ne peut être, en tant que dynamique, observable, elle se laisse d'une certaine manière mettre en forme par le récit. L'agencement des repères spatio- temporels et l'émergence du sujet dans une chaîne signifiante ainsi créée dira quelque chose de la manière d'habiter ou de dériver du sujet dans l'errance. L'errance psychique en elle- même, dans sa portée discursive s'incarnera en un questionnement que nous décrirons.

Nous verrons également dans les prochains chapitres que le nomadisme sera la façon de savoir faire avec son errance. Le sujet ne peut se constituer en une entité immuable et seule la trace immatérielle laissée dans le psychisme rappelée par certains objets investis ou l'ayant été pourra servir de repère ou d'assise, si tant est qu'elle soit portée dans un dire lui-même libre pas tant dans le choix des signifiants le constituant que dans leur articulation, expérience toujours singulière même dans une répétition mortifère, ce que nous verrons illustrés par des vignettes cliniques. Ainsi avons-nous commencé à dresser un lien ténu que nous aurons à consolider entre dynamique existentielle Ŕ expérience de vie Ŕ et dynamique signifiante. L'acte en un certain sens pourrait être considéré comme le point de rencontre de ces dites dynamiques et ce qui se dépose de cette rencontre en une expérience signifiante comme ce que nous entendrons du nomadisme. Par tous ces points nous comprenons que l'errance psychique n'a pas de fin : ni issue ni projet, donc aucun prédéterminisme malgré quelques

repères qui pourraient ne laisser entrevoir que là où en est le sujet et un possible lieu parmi d‟autres où il pourrait se trouver enfin.

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Le verbe « errer » tire son origine de plusieurs racines47 : du latin iterare Ŕ répéter Ŕ qui donnera itinerare Ŕ voyager ; du latin errare signifiant faire erreur. Ses définitions sont tout aussi diverses : voyager, marcher sans cesse et/ou sans but, tergiverser ou hésiter, s'égarer, se tromper ; mais aussi « aller à l'aventure » ou « flotter çà et là ». Lacan dira qu'il s'agira, pour le sujet qui erre, « de faire erreur et de le répéter »48.

L'errance, dans sa dimension psychique, mettrait en jeu les dispositions inconscientes, cognitives et affectives du sujet. Hésitation, voyage, égarement, aventure ou flottement, autant de mouvements au sein du système représentationnel image-imagé, signifiant-signifié, auxquels la dimension temporelle, dans sa continuité, sa suspension ou encore sa perturbation, sera intrinsèquement liée voire déterminante. Cette idée d'un mouvement qui, comme nous l'a rappelé J.-M. Vives49, est toujours orienté et adressé, se retrouve dans différents travaux faisant état d'une « errance psychique ». Pour autant, ceux-ci ne précisent que très rarement la réalité que cette notion recouvre, et les argumentations descriptives se sont faites rares.

L‟errance psychique explicitement citée aura été quelquefois retrouvée dans une transposition parfois vulgaire ou simpliste d‟un mouvement erratique physique à la dimension psychique. Elle se verra dépeinte également sous un versant morbide, pathogène, symptomatique,... ou au contraire impliquée dans le maintien du sujet et de la dynamique psychique.

47 Toutes les définitions, sauf mention contraire, seront issues des dictionnaires en ligne Larousse et Dicopsy.free, et du CNRTL.

48 Termes empruntés à Lacan, J., 1973-1974, Le Séminaire XXI : Les non-dupes errent, éd. hors commerce de l'Association Freudienne Internationale, Leçon XV, 11 juin 1974.

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1. L’errance psychique : de l’égarement à l’exil

« And I don't want the world to see me 'Cause I don't think that they'd understand When everything's meant to be broken

I just want you to know who I am » Iris, Goo Goo Dolls50.