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De l’errance identitaire au nomadisme psychique ou le besoin d’ailleurs Non sans lien avec « notre » errance psychique, nous aborderons pour finir le

questionnement duquel se fonde et se nourrit l‟identité. Nous l‟avons dit précédemment, l‟identité sera au cœur de la problématique psychique erratique. Aussi l‟errance identitaire sera un symptôme d‟une errance psychique entravée puisque celle-ci doit permettre la mise en

130 Selon la proposition de Ouaknin,M.- A., C‟est pour cela qu‟on aime les libellules, éd. Du Seuil (coll. Points Essais), 2001.

131 Douville, O., Degorge, V., « Quelle vie psychique se fige et se reprend dans la vie adolescente ? », dans

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écho et l‟adaptation entre le sujet et ses Umwelts intrapsychique et extérieur. De par le lien de l'identité et du sexuel, Izcovich corrèle l‟errance identitaire à un « défaut d'inscription de la

castration »132. Plutôt que de défaut, nous préfèrerons nuancer en parlant de „‟désinscription provisoire du langage‟‟. Quoiqu‟il en soit, la résultante immédiate serait l‟abolition des contraintes et de leur acceptation : au lieu d'être déterminé par le Réel du sexuel qui s'ancre notamment dans le corps à l'adolescence, le sujet se perd dans une liberté « absolue » de choisir la position qu'il adoptera, l'appartenance qu'il voudra, pouvant donc s'étayer sur un aspect et son contraire Ŕ l'un ou l'autre, l'un et l'autre, ni l'un ni l'autre Ŕ sans que cette contradiction ne soit jamais questionnée pas même par quelconque justification. Peu importe la position choisie par le sujet, elle sera toujours soutenue de signification et de certitude que rien ne semblerait pouvoir ébranler, puisque sa position ne se fonderait pas du Réel mais de l‟Imaginaire qui tentera de le voiler. Ainsi le sujet se tiendra d'autant plus éloigné de la Vérité de son désir qu'il croira l'atteindre, si tant est que ce sujet soit encore celui du désir ou désirant. Car comment pourrait-il se manifester, exister, le désir dans un monde où, ensemble ou seul, « tout devient possible » ? Le sujet qui n‟évolue que dans un Imaginaire où toutes les places sont possibles et auquel le discours capitaliste fait écho, ne saurait avoir à faire avec le manque ou le Réel sans cesse voilé, évitant les rencontres et ainsi l‟être et l‟existence.

Dans son « petit dictionnaire de la vie nomade »133, Bonardel cite K. White qui introduit dans le champ de la poésie, la notion de géopoétique en :

répondant ainsi à un besoin d'air, d'espace mental et de vitalité créatrice confisqués par la pensée sédentaire oublieuse du ''dehors'', et incapable de préserver le ''sens du passage'' sans quoi s'étiolent la vie et le langage, toujours trop savant à défaut d'être vivant.134

Selon lui, l'esprit qui s'évade, nomadisme mental et intellectuel, liée selon nous au processus d‟errance psychique, mènerait à la création et par là à « une nouvelle géographie

mentale, et un nouveau langage de communication »135. La mise en sens, l‟ancrage d‟un

signifié à un seul signifiant réduit au rang de signe, empêcherait à éprouver l‟être vivant, au sens d‟en faire l‟expérience et de sa mise à l‟épreuve. White parle d'un « espace atopique » pour renvoyer à la dimension psychique de ce lieu, d'un lieu à créer par le cheminement de la pensée, et aussi à l'ouverture à la possibilisation, la capacité et la possibilité de rendre

132 Izcovich L., L‟identité sexuelle et l‟impossible, dans la revue « L‟en-je lacanien » 2008/1, N° 10, pp.81-92. 133 Bonardel, F., Petit dictionnaire de la vie nomade, éd Médicis-Entrelacs, 2006.

134 White, K., Une apocalypse tranquille, éd. Grasset, 1985, p.89. 135 Idem.

possible. Le lieu du sujet ne serait pas celui qui accueille sa parole donc lui précèderait mais créé par celle-ci, dans son sillon, par le fait même qu'elle soit et qu'elle se déploie.

Serait-ce en ce lieu, sillon, trace, preuve qu‟une parole fut, que le sujet ferait une halte ? Ce terme, comme nous le rappelle Bonardel, est porteuse de plusieurs connotations renvoyant au Réel, à son intrusion et à la défense contre celle-ci. En effet, qu'il s'agisse d'un « halte là ! » injonctif, interdicteur, marquant l'intrusion, ou que le sujet fasse une « halte » imposée ou volontaire, cette halte appelle à une suspension ou une fixation temporelle. Suspension lorsque le sujet se hâte dans sa halte ou fait halte dans sa hâte de parcourir son histoire et d'y découvrir ce qu'il aura été, pour un temps donné dans un temps précis dépendant du temps d'où il regarde ; fixation lorsque l'Ici où il s'érige est déterminé autant qu'il détermine le

Maintenant d'où le sujet pose et porte un regard sur lui-même. Suspension ou fixation, « ou »

à entendre dans le vel et non dans l'exclusif, ainsi la dynamique pourrait-elle se conserver, se maintenir dans un espace de fixation non enclos et permettant tant l'intrusion que la fuite, ce dernier terme entendons-le dans ce qu'il permet de mise en perspective et d‟écho musical. Quoiqu'il en soit, la halte souvent commandée par l'angoisse, préviendra le danger auquel se risquera le sujet dans une confrontation au Réel pouvant ôter tout vel au « ou », faisant perdre l'accent au « où » du lieu de l'essence subjective. Le questionnement du sujet ne portera donc plus sur le lieu où il se trouve « où suis-je ? », mais sur le doute quant à exister « ou suis-je ? », exprimé en une hésitation entre être ou rien, doute qui n'amène pas de possibilité de réponse car si le « je » de mon discours ne suit pas la dynamique subjective qui lui fera éprouver son existence, « je » ne suis rien.

Pour revenir sur la géopoétique… La racine grecque de la poétique nous emmène vers la capacité de créer et d'inventer. Nous dirons alors que lorsque l'espace est celui du sujet, lieu intrapsychique, la géopoétique sera tant la création par le cheminement dans un espace, que la création de cet espace par le cheminement signifiant. Comme limite à cet espace sera l'horizon dont la signifiance première est bien « limite », ce qui sépare Ouranos de Gaïa non sans rappeler à cette autre coupure qui les aura séparés et toujours les lie. L'horizon sépare et lie, borne à la vue et au regard, elle se garde toujours à distance repoussant l'étendue de l'espace à conquérir. L'horizon révoque et convoque ce qu'elle met à distance tout en en étant le lien, le pont. L'immobile se confine dans un lieu étroit et ne sait pas que l'horizon n'est là que pour rassurer... et angoisser. Et là encore tombant sur la perspective, les points de fuite viennent tracer l'horizon et en prendre leur essence, leur essor et leur escence136, à savoir leur

136 Terme emprunté à J.-M. Vives, « Prenez vos rêves pour la réalité », Séminaire de l'A.E.F.L., Nice, novembre 2010, paru dans L‟inadmissible, L‟inconscient, le malentendu, Actes n°16 de l‟ALI-AM Ŕ AEFL.

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commencement et leur mouvement. Les points d'horizon nous paraissent immobiles mais nous apparaissent dans ce qu'ils sont, fuyants dès lors que nous voudrions nous en saisir ou nous y loger. La mort du sujet Ŕ son coma du moins Ŕ serait alors l'issue d'un nomadisme sans halte ou d'un sédentarisme absolu, tuant l'horizon dans ce qu'il est, le sujet se perdant dans le monde imaginaire, celui de la représentation, de l'image, duquel l'imagé et la limite seront exclus : d'une relation duelle intrapsychique sans tiers, où tout est possible, telle la mystique, où tout paraît vivant, dynamique, mais d'une dynamique figée par la mort qui pétrit le sujet dans ce qu'il avait de plus vivant, dans son existence, dans l'être.

Tout comme White, Deleuze prônait une dynamique errante qui différerait de celle du sujet pris dans l'imaginaire, mais qui viendrait de ou irait avec « une relation immédiate avec

le dehors »137 : se débarrasser des carcans moïques pour que le sujet accède, par l'expérience de ce qu'il est et qu‟il existe, à ce qu'il aura été et ce qu'il aura à être mais toujours dans la confrontation à ce qu‟il n‟est pas ou plus que permet la rencontre de l‟Ailleurs.

Du mythe à la dynamique existentielle : ce que permet l’errance psychique