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IV. Discussion

IV.4 Niveau de synténie entre M. rotundifolia et V. vinifera

La comparaison de l’ordre des marqueurs sur les cartes génétiques de V. vinifera et M. rotundifolia montre un très haut niveau de synténie entre ces deux espèces. La cartographie génétique comparative est un outil efficace permettant de comparer la colinéarité chromosomique entre différentes espèces et genres. Elle peut également permettre de reconstruire les évènements qui ont entrainé la formation des caryotypes actuels.

Une synténie conservée est définie comme la colocalisation préservée de loci génétiques et/ou de gènes sur les chromosomes et/ou les groupes de liaison d’espèces différentes. Il convient de distinguer la macrosynténie, qui se base sur de larges portions de chromosomes, et la microsynténie, basée uniquement sur quelques gènes à la fois (Abrouk et al., 2010). La colinéarité est une forme plus spécifique de synténie conservée, qui requiert la colocalisation de gènes avec un ordre génique commun, sur un même chromosome, chez un individu ou au sein d’une espèce (Abrouk et al., 2010). De nombreux réarrangements peuvent être détectés chez les espèces pour lesquelles on dispose de cartes génétiques suffisamment denses en marqueurs. Les cartes génétiques de différentes espèces peuvent être aisément comparées si des marqueurs génétiques communs sont cartographiés. Cet outil a été utilisé avec succès pour différentes espèces.

Un haut niveau de colinéarité a été mis en évidence chez les Poaceae (Devos, 2005) et chez les Fabaceae (Mudge et al., 2005; Phan et al., 2007; Ellwood et al., 2008; Tsubokura et al., 2008). De même, Gong et al. (2008) ont mis en évidence un très haut niveau de macrosynténie entre Cucurbita moschata et Cucurbita pepo, espèces classées au sein du même genre mais dont le taux de succès extrêmement faible dans l’obtention d’hybrides n’est pas sans rappeler le cas de V. vinifera et M. rotundifolia.

Entre Arabidopsis et Brassica napus, deux genres de Brassicaceae, il a été montré par cartographie comparative qu’il y avait une forte conservation du contenu en gènes et de l’ordre des gènes entre les deux espèces, avec le maintien de larges plages de similarités équivalentes dans certains cas à 9Mb de séquence génomique d’Arabidopsis en continu (Parkin et al., 2005). Cependant, au fur et à mesure que les données de comparaison de séquences se sont accumulées, des recherches ont montré que le contenu en gènes était supérieur chez A. thaliana, donnant lieu à nombre de réarrangements géniques induisant des ruptures de synténie sur certaines portions chromosomiques (Qiu et al., 2009). De la même manière, la comparaison des cartes génétiques de Prunus et Fragaria, deux genres de Rosaceae, a montré, malgré un bon niveau de synténie générale, une colinéarité partielle avec de nombreux réarrangements produits par des inversions, des translocations ou des évènements de fusion/fission (Vilanova et al., 2008).

Chez les Solanaceae, la cartographie comparative a révélé un haut niveau de colinéarité entre espèces, avec un ordre génique globalement conservé mais montrant une organisation en blocs d’ADN remaniés. De nombreux réarrangements sont visibles au niveau famille et genre, mais l’ordre des gènes au sein de l’espèce Solanum lycopersicum (la tomate) est par exemple hautement conservé (Albrecht & Chetelat, 2009). Une étude récente a montré que les génomes du tabac et de la tomate différaient de 3 à 10 inversions et 11 translocations réciproques (Wu et al., 2010). Entre la tomate et la pomme de terre, la microsynténie est bien conservée, néanmoins Zhu et al. (2008) ont avancé que leurs génomes différaient dans leur contenu et leur composition en séquences répétées, suggérant que les séquences répétées ont un rôle plus significatif dans la spéciation qu’il n’avait été reporté précédemment.

Des ordres géniques hautement conservés à l’intérieur de blocs réarrangés constituent un phénomène commun chez les plantes, même sur de larges distance phylogénétiques, comme pour la tomate, la pomme de terre, l’aubergine et le poivron (Bonierbale et al., 1988; Tanksley et al., 1992; Livingstone et al., 1999; Doganlar et al., 2002). Des

analyses comparatives identifient même de larges segments génomiques conservés au-delà du niveau de la famille, par exemple entre la tomate/pomme de terre (Solanaceae) et Arabidopsis (Brassicaceae) (Gebhardt et al., 2003; Ku et al., 2000), entre la tomate et le café (Rubiacae) (Lin et al., 2005) ou encore entre le peuplier (Salicaceae) et les genres Prunus et Fragaria (Rosaceae) (Jung et al., 2009, 2010). Jung et al. (2010) ont aussi mis en évidence un niveau de synténie étonnamment haut entre Fragaria et Vitis. Ils ont identifié des clusters de gènes R de type NBS-LRR conservés entre les génomes de Medicago, Populus, Arabidopsis, Fragaria et Vitis.

La macrosynténie conservée entre V. vinifera et M. rotundifolia permettra donc de faciliter la recherche de gènes d’intérêt (de résistance aux maladies de type NBS-LRR notamment) provenant de la muscadine, par analogie avec le génome séquencé de V. vinifera. Cependant la carte génétique réalisée dans ce travail a été construite à l’aide de marqueurs microsatellites uniquement. Elle permet d’avoir une bonne idée du niveau de macrosynténie existant entre V. vinifera et M. rotundifolia, mais elle ne permet pas encore d’émettre des hypothèses sur la microsyténie existant entre les deux espèces. Or, chez les plantes, il peut arriver que malgré une excellente macrosynténie entre les espèces, des ruptures dans la microsynténie puissent empêcher l’identification directe d’un gène candidat pour un caractère donné (Delseny, 2004). Ce fut le cas, par exemple, quand on a cherché à isoler le gène de résistance à la rouille Rph7 chez l’orge à partir du riz (Brunner et al., 2003). De même, les marqueurs flanquant les gènes Rfo restorer chez le radis (genre Raphanus) sont colinéaires avec la séquence d’Arabidopsis, mais le gène en lui-même est absent chez l’arabette malgré la présence de nombreux homologues ailleurs dans le génome la plante modèle (Brown et al., 2003; Desloire et al., 2003). Afin de connaître de façon plus précise l’organisation du génome de la muscadine, il est nécessaire de compléter notre carte génétique de sorte à ce qu’elle soit plus dense, à l’aide de marqueurs de type SNP par exemple. En parallèle, une carte physique pour M. rotundifolia est en cours de réalisation à l’URGV (Evry, France). La synergie entre les travaux de cartographie génique et de cartographie physique permettra d’augmenter considérablement la connaissance du génome de M. rotundifolia, et d’étudier la microsynténie entre V. vinifera et M. rotundifolia, notamment dans les régions riches en clusters de gènes de type NBS-LRR, qui sont souvent impliquées dans les phénomènes de résistance aux maladies.