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IV. Discussion

IV.5 Cas du groupe de liaison 20 de M. rotundifolia

Un des résultats les résultats les plus intéressants du travail de cartographie réalisé chez

M. rotundifolia cv. Regale est la mise en évidence du GL20 de l’espèce. Il est connu que le génome de M. rotundifolia contient 20 paires de chromosomes (Patel & Olmo, 1955; Mullins et al., 1992), celui de V. vinifera n’en comptant que 19. La cartographie génétique du GL20 de la muscadine permet d’émettre des hypothèses sur son origine. Le GL7 de V. vinifera correspond à deux GL séparés sur la carte de M. rotundifolia, le GL7 et le GL20. Le GL20 de M. rotundifolia est homologue à la partie inférieure du GL7 de V. vinifera. Les marqueurs VMC9a3.1 et VMC8d11, marqueurs communs à toutes les cartes et situés sur deux chromosomes différents chez M. rotundifolia, sont séparés de 18,9 cM sur le GL7 de la carte de référence de V. vinifera de Doligez et al.

(2006), et de 12,5 cM sur la carte « Integrated_2_080717 »

(http://urgi.versailles.inra.fr/GnpMap/mapping/id.do?action=MAP&id=105). Sur cette dernière, les marqueurs VMC9a3.1 et VVCS1H69, qui représentent respectivement l’extrémité inférieure du GL7 de M. rotundifolia et l’extrémité supérieure du GL20 de

M. rotundifolia, sont séparés par seulement 9,4 cM.

Deux scénarios sont donc possibles : (i) les GL7 et 20 de M. rotundifolia appartiennent à un seul et même chromosome mais ils n’ont pas pu être reliés génétiquement par le logiciel de cartographie ; (ii) les GL7 et 20 de M. rotundifolia constituent réellement deux chromosomes séparés.

La première hypothèse pourrait être retenue si le taux de recombinaison entre les marqueurs VMC9a3.1 et VVCS1H69 chez la muscadine était trop élevé et que le logiciel de cartographie ne parvenait à les relier génétiquement. Mais cela parait difficilement plausible, même en considérant un taux de recombinaison deux fois supérieur à celui de V. vinifera sur le GL 20 de Muscadinia. On peut présumer que, même séparés de 20 ou 30 cM, les marqueurs VMC9a3.1 et VVCS1H69 seraient correctement assemblés sur la carte génétique de M. rotundifolia par le logiciel, dans l’hypothèse où le GL7 et le GL20 de la muscadine feraient partie du même chromosome. De plus, la seconde hypothèse est en parfaite cohérence avec l’existence caryotypique de 20 chromosomes chez la muscadine. Nos résultats suggèrent donc fortement que le GL7 de V. vinifera est scindé en deux chromosomes distincts chez M. rotundifolia, sans remaniement chromosomique majeur si l’on se fie à la macrosynténie globale des marqueurs génétiques sur les chromosomes.

M. rotundifolia et V. vinifera possèdent un ancêtre commun. Cependant, les taxonomistes sont encore à ce jour divisés sur le statut de genre ou de sous-genre de

Muscadinia par rapport à Vitis, mais aussi sur leur lien de parenté, sur la base d’analyses de marqueurs ADN (Di Gaspero et al., 2000; Tröndle et al., 2010). Plusieurs analyses phylogénétiques ont été menées au sein des Vitaceae, sur la base de séquences d’ADN chloroplastique (Jansen et al., 2006; Soejima & Wen, 2006), de marqueurs de type plastidique (Tröndle et al., 2010; Nie et al., 2010) ou de régions ITS (Internal transcribed spacer) (Rossetto et al., 2002; Fu et al., 2011).

Rossetto et al. (2002) classent M. rotundifolia (syn. V. rotundifolia) dans un clade séparé de celui de V. vinifera, et regroupent la muscadine avec quatre espèces de Cissus australiennes à 2n=40 chromosomes. Soejima et al. (2006) ont établi que le groupe des

Vitis (V. rotundifolia) est monophylétique (un seul et même ancêtre commun) et forme un clade avec les Ampelocissus (2n=40), les Pterisanthes, et les Nothocissus, trois autres genres de Vitaceae. Ce résultat a été confirmé par Tröndle et al. (2010).

A l’heure actuelle, l’origine de la différence caryotypique observée entre les Vitis et

Muscadinia reste incertaine. Patel et Olmo (1955) ont proposé que le jeu de chromosomes haploïde de Muscadinia dériverait de trois génomes ancestraux à (6+7) + 7 et celui de Vitis à (6+7) + 6, aboutissant respectivement à des caryotypes n=20 et n=19. Depuis plusieurs décennies, beaucoup ont considéré que le genre Vitis descendait de Muscadinia ou d’un ancêtre de Muscadinia par la perte d’une paire de chromosomes (Bouquet, 1983; Olien, 1990; Mullins et al., 1992).

Que sait-t-on à l’heure actuelle sur l’origine du génome des Vitacées ? En publiant une séquence du génome de la vigne, Jaillon et al. (2007) ont révélé que la plante dérivait d’un génome ancestral paléo-hexaploide commun à de nombreuses dicotylédones, et qu’il avait ensuite subit un évènement de diploïdisation. Le génome de la vigne possède en effet des régions tripliquées, indiquant la contribution de trois génomes ancestraux au contenu haploïde actuel de la vigne. Sur la représentation schématique du génome de la vigne illustré par la figure 20, le GL7 de V. vinifera est composé de deux grands blocs de couleurs différentes, indiquant très vraisemblablement la présence de deux chromosomes distincts chez l’ancêtre commun des Vitaceae, qui auraient fusionné pour donner l’actuel GL7 de V. vinifera.

Figure 20. Représentation schématique des régions paralogues dérivées de trois génomes ancestraux chez V.vinifera, d’après Jaillon et al. (2007). Les sept couleurs correspondent vraisemblablement à des GL distincs dans le génome ancestral.

Récemment, Abrouk et al. (2010) ont réalisé une étude paléogénomique basée sur la comparaison de génomes séquencés de monocotylédones et d’eudicotylédones, dont la vigne. Le génome de la vigne aurait selon eux évolué à partir d’un intermédiaire n=21 (tripliqué à partir d’un ancêtre n=7), puis s’en seraient suivies des fusions chromosomiques « imbriquées » (en anglais Nested Chromosome Fusion ou NCF) (Figure 21). Les NCF constituent un mécanisme courant chez les plantes participant à la réduction du nombre de chromosomes. Ce type de fusion a été détecté chez plusieurs espèces de céréales (Luo et al., 2009; Salse et al., 2009; Thiel et al., 2009; Abrouk et al., 2010; Murat et al., 2010), et dans une moindre mesure chez les Brassicaceae (Lysak

et al., 2005).

Néanmoins, les résultats obtenus suite à nos travaux de cartographie génétique indiquent qu’un remaniement chromosomique de ce type est très peu probable entre M. rotundifolia et V. vinifera, en ce qui concerne les GL7 et 20 de la muscadine (voir Figure 18). Puisque la synténie semble parfaitement conservée entre le GL7 de M. rotundifolia et la partie supérieure du GL7 de V. vinifera d’une part, et le GL20 de M. rotundifolia et la partie inférieure du GL7 de V. vinifera d’autre part, l’hypothèse la plus probable pour expliquer la différence du nombre de chromosomes entre les deux espèces est l’occurrence d’une fusion ou d’une fission de chromosomes (Figure 22).

Figure 21. ‘Nested-fusion’ par translocation réciproque symétrique, asymétrique, ou asymétrique avec repositionnement du bras donneur, d’après Schubert et Lysak (2011). L’un ou l’autre de ces mécanismes se produiraient selon le nombre de cassures double brin interagissant. Les petits fragments acrocentriques sont perdus durant la mitose et la méiose (Schubert & Lysak, 2011).

Au cours d’un évènement de ‘fusion-fission’ chromosomique (réarrangements robertsoniens), une diminution ou une augmentation du nombre de chromosomes peut avoir lieu (Figure 22). Des réarrangements chromosomiques robertsoniens tels que la fusion et la fission centromérique, ont été identifiés comme étant des mécanismes importants dans l’évolution des caryotypes de plantes comme chez les Rosaceae

(Vilanova et al., 2008) ou chez le haricot (Schubert et al., 1995), et d’animaux tels que les poissons (Hartley & Horne, 1984; Amores et al., 1990) ou certains vers Onychophores (Rowell et al., 2002).

Cette hypothèse est séduisante car elle n’implique pas de réarrangements chromosomiques majeurs à l’intérieur même des chromosomes, ce qui semble être le cas des GL 7 et 20 de M. rotundifolia. Pour le moment, il est délicat de conclure sur le sens de l’évolution entre les deux génomes. Néanmoins, la localisation des régions paralogues dérivées de trois génomes ancestraux chez V.vinifera, d’après Jaillon et al.

(2007), oriente davantage en faveur d’une fusion de chromosomes entre M. rotundifolia

et V. vinifera. Un mécanisme de ce type (Figure 22a) permet d’expliquer de façon cohérente la différence caryotypique majeure entre Muscadinia et Vitis qu’est la séparation du GL7 de Vitis en deux GL distincs.

(a) (b)

Figure 22. Cycle de ‘fusion-fission’ chromosomique, d’après Schubert et Lysak (2011).

La fusion de chromosomes acrocentriques en un seul métacentrique est réversible si les séquences télomériques qui flanquent le centromère restent conservées (a) ; alternativement, un chromosome métacentrique peut se séparer en deux télocentriques stables lorsque les cassures centromériques sont réparées par l’addition de séquences télomériques (b). La télomérase est plus efficace pour initier l’élongation d’une matrice télomérique lorsque des répétitions télomériques existent au préalable (Schubert & Lysak, 2011). Cependant, des phénomènes de “capture télomérique” par recombinaison (Kostiner et al., 2002) et de synthèse de novo de télomères sont impliqués lors de réparations chromosomiques chez Tetrahymena (Harrington & Greider, 1991) ou chez le blé (Tsujimoto et al., 1999) .

Si l’on considère comme exacte l’existence de l’intermédiaire n=21 comme ancêtre à

Vitis et Muscadinia (Abrouk et al., 2010 ; Figure 23) une hypothèse pour expliquer la différence caryotypique entre les deux genres pourrait être la suivante : une première fusion de chromosomes, NCF ou fusion par exemple (Figures 21 et 22a) pourrait avoir eu lieu en amont de Vitis et Muscadinia, donnant naissance à un ancêtre commun aux deux genres possédant n=20 chromosomes à l’instar de Muscadinia ; puis une seconde, postérieure, aboutissant au caryotype des vignes européennes cultivées (n=19) et consistant en la fusion des chromosomes 7 et 20 homologues chez M. rotundifolia

(Figure 23). D’après la représentation schématique des régions paralogues chez

V.vinifera (Figure 20), le chromosome 4 et le chromosome 14 sont également composés de deux couleurs différentes, et pourraient donc également résulter de fusions chromosomiques ancestrales, dont les mécanismes sous-jacents reste à élucider.

Figure 23. Schéma hypothétique expliquant la formation possible des caryotypes de M. rotundifolia et V.vinifera. Après la triploïdisation d’un ancêtre commun comportant 7 protochromosomes, aboutissant à la formation d’un intermédiaire n=21 chromosomes, on peut imaginer que deux remaniements majeurs impliquant deux fusions de chromosomes successives aient eu lieu pour donner les caryotypes actuels de M. rotundifolia (n=20) et V.vinifera (n=19).