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4.2 L’exposition à l’uranium in utero a-t-elle une incidence sur l’état général des animaux ?176

4.3.1 Neurogenèse au cours de la période prénatale

La régulation du nombre de neurones formés pendant le développement se fait par une balance entre les processus de mort cellulaire et de prolifération cellulaire. Les résultats obtenus par les mar-queurs utilisés pour étudier le processus de mort cellulaire montrent une diminution du nombre de cellules marquées au fluorojade de la pré-plaque corticale des embryons E13 exposés à l’uranium à 40 et à 120 mg/L et des fœtus E18 exposés à l’uranium à 120 mg/L. À ces stades, les cellules apop-totiques contenant la caspase-3 activée sont principalement observées au niveau de la zone proli-férative, la zone ventriculaire et leur nombre n’est pas modifié suite à une exposition à l’uranium. En se basant sur ces résultats, nous pouvons en déduire que l’uranium n’agirait pas sur le proces-sus de mort cellulaire des cellules en prolifération mais plutôt sur les cellules post-mitotiques. Le processus de mort cellulaire est une étape clé pendant le développement du cerveau et permet de limiter le pool de cellules prolifératives, de corriger les erreurs et d’éliminer les cellules des struc-tures transitoires. Il participe également à l’élimination des neurones ayant formé des connexions synaptiques inappropriées et est impliqué dans la régulation de la taille et de la forme du cerveau (Oppenheim 1991). Par conséquent, cette diminution du processus de mort cellulaire pourrait avoir des conséquences sur la fonctionnalité des neurones formés et sur la mise en place des réseaux neuronaux. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que l’uranium aurait un effet inhibiteur en diminuant l’élimination des neurones possédant des connexions synaptiques aberrantes. Cette hy-pothèse pourrait être confirmée par un marquage fluorojade suite à l’injection de fluorogold, un tra-ceur rétrograde représentant une méthode sensible pour observer les connexions synaptique entre les neurones (Zappone et al. 2001). Enfin, l’uranium ne semble pas agir sur le processus d’apoptose. Cependant, cette hypothèse repose uniquement sur un marqueur et a besoin d’être confirmée par d’autres techniques comme la technique TUNEL ou par immunomarquage de la caspase 9 activée.

Le processus de prolifération cellulaire a été étudié par un immunomarquage du BrdU (Bromo-désoxyUridine), injecté 4 heures avant le sacrifice. Dans les neuroépithélia cortical et hippocam-pique des embryons E13 et des fœtus E18, les résultats ne montrent pas de différence entre les groupes témoin et exposés. En revanche, une augmentation de la densité des cellules en division ayant incorporé le BrdU est observée dans le neuroépithélium denté des fœtus E18 exposés à l’ura-nium à 120 mg/L comparé aux fœtus témoins. Ces cellules sont localisées dans les zones ventri-culaire et sous ventriventri-culaire. À ce stade, la durée de la phase S du cycle cellulaire, pendant laquelle s’incorpore le BrdU est d’environ 3-4 heures (Takahashi et al. 1995,Calegari et al. 2005). Par

consé-quent, les cellules marquées ont subi une seule division cellulaire et correspondent aux progéni-teurs neuronaux. En se basant sur nos résultats, l’uranium agirait comme stimulateur de la pro-lifération cellulaire des progéniteurs neuronaux dans le neuroépithélium denté des fœtus. Cette augmentation de la prolifération cellulaire pourrait être due à un raccourcissement de la durée du cycle cellulaire au niveau du neuroépithélium denté des fœtus exposés à l’uranium qui pourra être étudié par la suite. Le BrdU est un marqueur de la phase S du cycle cellulaire, mais il ne permet pas d’explorer les autres phases du cycle cellulaire telles que la phase M ou les phases G1 et G2. L’étude d’autres marqueurs de prolifération cellulaire tels que Ki67 ou PCNA (Proliferating Cell Nu-clear Antigen) est nécessaire afin d’étudier l’ensemble du cycle cellulaire. Cependant, ces différents marqueurs ne permettent pas de déterminer précisément quels types de cellules sont en prolifé-ration. En effet, au niveau du neuroépithélium, les cellules souches peuvent donner naissance aux neurones mais aussi aux cellules gliales. Un autre marqueur de prolifération cellulaire est le BM88 qui est un marqueur précoce des précurseurs en prolifération qui vont se diriger vers la voie de diffé-renciation neuronale. Il est exprimé dans les précurseurs qui vont donner naissance à des neurones post-mitotiques (Koutmani et al. 2004). L’étude de ce marqueur nous permettrait de déterminer si l’augmentation de la prolifération cellulaire au niveau du neuroépithélium denté des fœtus E18 exposés à l’uranium est due à une augmentation des précurseurs s’engageant vers la voie de diffé-renciation neuronale. De plus, l’injection de BrdU quatre heures avant le sacrifice des animaux ne permet de mettre en évidence qu’un seul type de population de cellules en division. Suite à une in-jection 1 ou 3 jours avant le sacrifice des animaux, les cellules ayant incorporé le BrdU ont quitté les zones prolifératives pour migrer vers leur emplacement définitif. Ce type d’injection met donc en évidence les cellules post-mitotiques (Miller et al. 1988). Afin d’étudier si l’uranium affecte la survie des cellules matures, des études utilisant différents protocoles d’injection de BrdU avant le sacrifice des animaux doivent être entreprises dans de futures expérimentations. Enfin, nous avons étudié la prolifération cellulaire suite à l’injection d’un seul analogue nucléosidique ce qui nous a permis d’évaluer la division cellulaire sans distinction du type de cellules impliquées. L’injection double de deux analogues nucléosidiques (BrdU et EdU : 5-ethynyl-2’-deoxyuridine) à deux temps différents nous permettrait de distinguer les cellules progressant dans le cycle cellulaire. En effet, suite à une injection de EdU et de BrdU à une heure d’intervalle, trente minutes avant le sacrifice des animaux, les cellules en début de phase S seront EdU-BrdU+, les cellules en fin de phase S seront EdU+BrdU+ et les cellules déjà passées à la phase suivante seront EdU+BrdU- (Giltin et al. 2014).

Le développement du cortex et de l’hippocampe est régulé par de nombreuses voies de signalisa-tion établissant une balance entre le maintien des cellules dans le cycle cellulaire et l’arrêt du cycle cellulaire menant à la différenciation des cellules. En effet, aux stades précoces de développement, les cellules entretiennent un état prolifératif et d’autorenouvellement important favorisant la

mul-tiplication des cellules. Aux stades plus tardifs, cette capacité d’auto-renouvellement diminue pour permettre aux cellules de rentrer dans le processus de différenciation neuronale. Au stade E13, nos résultats ont mis en évidence une diminution quantitative de l’expression génique de Wnt3a dans le cerveau des embryons exposés à 40 et à 120 mg/L. De plus, l’expression in situ du facteur Wnt3a au niveau du neuroépithélium hippocampique des embryons exposés à 120 mg/L est diminuée. À ce stade, la voie de signalisation Wnt joue un rôle central dans le développement de l’hippocampe et du gyrus denté (Lee et al. 2000,Galceran et al. 2000) et est impliquée dans la régulation de la prolifération des cellules souches (Hirabayashi et Gotoh 2005). En effet, les souris KO pour Wnt3a présentent une absence morphologique d’hippocampe due à une réduction de la prolifération des progéniteurs neuronaux (Lee et al. 2000). La voie Wnt induit la stabilisation de laβ-caténine qui par association avec des facteurs de transcription, tels que le facteur de transcription LEF1 (Hinck

et al. 1994), participent à la régulation de la prolifération cellulaire en induisant la transcription de c-myc et de la cycline D1. Il pourrait donc être intéressant, pour compléter nos résultats, de mesurer l’expression de laβ-caténine et du facteur c-myc et de la cycline D1 par western blot pour évaluer l’impact de cette diminution de Wnt3a sur le processus de prolifération cellulaire. La diminution d’expression de Wnt3a observée dans le neuroépihtélium hippocampique des embryons n’est pas suffisante pour engendrer une diminution de la prolifération des progéniteurs neuronaux à ce stade. Cependant, cette diminution dans l’expression de Wnt3a pourrait se répercuter sur le processus de prolifération aux stades plus tardifs, comme aux stades E18 où nos résultats ont mis en évidence des perturbations dans la prolifération cellulaire dans le neuroépithélium dentée. Nous n’obser-vons pas non plus de modification morphologique de l’hippocampe aux stades de développement plus tardifs. La voie de signalisation Wnt fait intervenir de nombreux autres facteurs, tels que le fac-teur Wnt1, qui régule la prolifération des cellules souches et des progénifac-teurs nerveux situés au bord des ventricules latéraux (Dickinson et al. 1994). Par conséquent, les effets d’une diminution de l’ex-pression de Wnt3a peuvent être contrecarrés par l’activation d’autres voies de signalisation, ce qui est concordant avec le fait que la morphologie de l’hippocampe n’est pas modifiée dans notre étude. Cette hypothèse pourra être confirmée par l’étude de l’expression des autres facteurs de la famille Wnt et notamment Wnt1 au niveau du neuroépithélium hippocampique des embryons exposés à l’uranium. Les cellules souches ou les progéniteurs neuronaux qui prolifèrent peuvent donner nais-sance à des neurones ou à des cellules gliales. La détermination vers la voie neuronale est régulée notamment par les voies de signalisation Notch incluant les facteurs Notch1 et Mash1. L’expres-sion quantitative par RT-PCR n’a pas mis en évidence de modification d’expresL’expres-sion de ces gènes au niveau du cerveau des fœtus E18 exposés à l’uranium. Cependant, l’analyse d’expression par hy-bridation in situ de Notch1 par les cellules au niveau de la zone ventriculaire des neuroépithélium hippocampique et denté des fœtus exposés à l’uranium à 120 mg/L est diminuée alors que l’expres-sion de Mash1 est augmentée. La différence entre ces deux résultats pourrait s’expliquer par le fait

qu’une modification localisée au niveau du gyrus denté de l’hippocampe serait masquée lors de l’analyse de l’expression génique quantitative par RT-PCR puisque cette dernière a été réalisée au niveau du cerveau entier. À ce stade, les cellules exprimant Notch1 sont localisées dans la zone ven-triculaire du neuroépithélium denté, alors que les cellules exprimant Mash1 sont localisées dans la route de migration du neuroépihthélium denté vers la matrice tertiaire (Pleasure et al. 2000). Ces gènes sont impliqués dans l’induction de la différenciation vers la voie neuronale et dans le pro-cessus de prolifération cellulaire. En effet, une expression élevée de Notch1 induit la différenciation neuronale par arrêt du cycle cellulaire alors qu’un faible taux d’expression favorise la prolifération et l’auto-renouvellement des cellules (Guentchev et al. 2006). À l’inverse, l’expression de Mash1 fa-vorise la division cellulaire au stade prénatal (Castro et al. 2011). En s’appuyant sur ces données de la littérature et sur nos résultats, l’uranium induirait une diminution de l’entrée vers la voie de différenciation neuronale, ainsi qu’une augmentation de la prolifération cellulaire, ce que nous ob-servons au niveau du neuroépithélium denté des fœtus exposés à l’uranium. En revanche, des ana-lyses d’autres acteurs de la voie de signalisation Notch sont nécessaires pour compléter notre étude, par exemple des facteurs anti-neurogèniques tels que les enhancer-of-split (Hes1 andHes5) et les gènes Id1, Id2, Id3, and Id4 qui sont régulés par la voie Notch et qui bloquent l’entrée vers la voie de différenciation (Benezra et al. 1990,Kageyama et al. 1997). De plus, l’étude de l’expression des neurogénines 1 et 2, connues pour jouer un rôle dans la détermination neuronale (Sommer et al. 1996) nous permettrait de renforcer nos résultats.

Une fois entrée dans le processus de différenciation neuronale, les neurones immatures expriment notamment le gène NeuroD et les neurones matures expriment le gène NeuroD2. Après exposition à l’uranium, nous n’avons pas mis en évidence de modification de ces deux gènes au niveau des neuroépithélia cortical, hippocampique et denté. L’expression génique quantitative de ces gènes par RT-PCR n’a pas non plus mis en évidence de modification au niveau du cerveau des fœtus ex-posés à l’uranium. De plus, l’expression de la doublecortine dans les neurones immatures n’est pas modifiée dans ces mêmes régions, suggérant que le pool de neurones immatures n’est pas altéré par l’uranium à ce stade. Sur la base de ces résultats, l’uranium n’aurait pas d’impact sur les neurones déjà engagés dans la voie de différenciation neuronale. Afin de le confirmer, d’autres marqueurs de neurones immatures tels que le microtubule-associated protein 2 (MAP-2) ou laβIII Tubulin (TuJ1) après exposition à l’uranium sont à analyser.