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CHAPITRE 5 La participation au sein du projet de l’Estran

5.3 A NALYSE DES FORMES ACTIVES ET PASSIVES DE LA PARTICIPATION AU SEIN DES

Rappelons que la participation est théoriquement définie comme un important facteur d’influence de l’appropriation d’un projet de développement par les communautés locales concernées. Précédemment, nous avons distingué deux formes distinctes de participation (active/passive) et formulé certaines hypothèses, dont l’une d’elle invoque l’implication citoyenne (voir chapitre 2). Pour tester cette hypothèse, nous proposons, dans cette section, une analyse quantitative de la participation au sein de l’ensemble du processus de mise en place du projet de paysage humanisé, de ses débuts jusqu’au moment de notre enquête (août 2014). Nous avons alors tenté de comptabiliser le nombre d’individus ayant participé à chacun des évènements marquants de ce processus et, par le fait même, de porter une attention particulière au type de participation (passive/ active) et à leur appartenance à des groupes d’usagers du territoire, deux des modalités d’analyse du cadre conceptuel de notre recherche (voir chapitre 2). La compilation de ces données sur la participation fut possible par une recension documentaire fastidieuse d’une grande diversité de documents (articles, rapports, bilans d’activités, procès-verbaux, etc.), estimé à près d’une centaine, ainsi que par les informations récoltées lors de nos entretiens (voir chapitre 3).

Il est toutefois important de signaler que les chiffres exposés dans les prochains graphiques ne correspondent pas aux nombres d’individus ayant participé, chaque année, au projet de paysage humanisé mais bien au nombre de participants annuels, un individu pouvant avoir participé à plus d’un évènement dans une année. Il est également à noter que ces chiffres ne sont pas exhaustifs, la participation exacte à certains évènements étant parfois inconnue. Toutefois, ils peuvent malgré tout nous donner un ordre d’appréciation concernant la participation au sein du projet. Afin d’avoir une meilleure idée de la participation globale au projet, nous avons choisi d’utiliser les données correspondant à l’ensemble des individus ayant participé à l’un ou à l’autre des évènements entre 2000 et 2014, en Estran comme hors-Estran.

Ainsi, la recension documentaire et les entretiens effectués nous permettent aisément de distinguer la participation globale lors de ces trois différentes phases de la démarche (Figure 9). Nous remarquons ainsi que les premières années du projet affichent des évènements comptant un grand nombre de participants. Outre le lancement du livre en 2011, la dernière phase du projet compte, quant à elle, moins de participants annuellement. Cela s’explique notamment par le changement de méthode de travail de l’organisme, les individus rencontrés étant ciblés selon leur appartenance à un groupe d’acteurs spécifique. Toutefois, ce passage d’une participation active plus accrue à une participation passive pourrait également s’expliquer par d’autres facteurs moins tangibles : responsables du projet, leurs personnalités, leurs formations, etc. Ainsi, lors des dernières années, les efforts de consultation ont été davantage ciblés sur les différents groupes d’intérêt (acteurs économiques, récréatifs, culturels, etc.) présents sur le territoire que sur l’ensemble de la population, comme c’était plutôt le cas dans les deux phases précédentes. En effet, les divers efforts d’information et de consultation de la population ont donné lieu, lors des deux premières phases, à de grands évènements participatifs (sondages, colloque, forum, etc.).

Figure 9 : Individus ayant participé à l’une des activités du paysage humanisé, par année Dans un second temps, afin de comparer adéquatement la participation au sein de ces trois phases, nous nous référons à la classification de Roy (2006), décrite précédemment et intégrée à notre cadre conceptuel, qui distingue deux grandes catégories de participation : active (négociation, concertation, dialogue) et passive (consultation, information, communication) (voir chapitre 2). Ce deuxième niveau d’analyse nous permet donc de distinguer les années comptant le plus d’activités à implication limitée où les participants n’ont aucun regard sur les orientations fondamentales du projet et celles, au contraire, accumulant le plus d’évènements au cours desquels les citoyens « s’impliqu[èrent] dans la définition des objectifs du projet, dans ses orientations stratégiques et dans sa mise en œuvre et son suivi » (Roy, 2006 : 9-10).

Figure 10 : Évolution de la participation active et passive lors des phases du projet

Ainsi, en représentant graphiquement ces deux types de participation au sein de ces trois phases (Figure 10), nous pouvons remarquer aisément que les premières années du projet ont compté plusieurs évènements à participation active, dont la visée était de construire un projet de société soutenu par des objectifs et des orientations stratégiques déterminés collectivement et supposant l’implication de la population. Au contraire, la dernière période, qui s’étale de 2009 à aujourd’hui, présente peu d’évènements à participation active. La participation passive générale était également plus forte dans les deux phases précédentes, l’organisme mettant, entre 2000 et 2006, beaucoup d’efforts afin d’informer et de consulter l’ensemble de la population estranaise par divers moyens (sondages, forums, colloques, etc.).

Dans un troisième temps, nous avons cherché à mieux cerner la participation en lien avec les divers groupes d’acteurs présents en Estran, ces derniers étant définis par le type de rapport qu’ils entretiennent avec le territoire. Quatre profils ont été distingués :

 Représentants d'entités politico-administratives (élus municipaux, agents de développement, etc.) ;

 Représentants d’entreprises privées ou collectives à vocation économique visant l'extraction des ressources ;

 Représentants d’associations ou d’organismes avec utilisation ludique (récréatif) du territoire ;

 Citoyens à titre individuel.

Nous avons premièrement tenté de cerner la participation des individus issus d’entités politico-administratives, qu’il s’agisse de municipalités, de MRC, etc. En analysant la participation de ces représentants politico-administratifs - au nombre de 84 - (figure 11), nous pouvons remarquer que ce groupe d’acteurs a été impliqué tout au long du processus de manière plutôt constante. Plusieurs de ces individus ont participé activement aux divers évènements lors des deux premières phases du projet. Lors des dernières années, ce groupe d’acteurs a participé au projet de manière plutôt passive, notamment lors de la grande rencontre avec le MDDEP en 2010, qui n’avait pour objectif que la présentation de l’analyse de recevabilité du projet, et lors des consultations auprès des conseils municipaux en 2011. Ceci peut notamment s’expliquer par le nombre relativement faible d’évènements inclus dans la dernière phase et visant l’élaboration commune des objectifs du projet et de ses orientations stratégiques (participation active).

Figure 11 : Évolution de la participation des individus issus d'entités politico- administratives

Concernant les individus issus des quatre seules entreprises privées ou collectives à vocation économique visant l’extraction des ressources ayant été impliqués, à un moment ou à un autre, dans le projet, nous pouvons déceler une participation sporadique selon les années (figure 12). Un seul de ces acteurs fut impliqué de manière active lors des deux premières années du projet, alors que trois d’entre eux furent approchés lors des rencontres d’information et de consultation ciblant les groupes d’intérêt du territoire en 2011-2013 (participation passive).

Figure 12 : Évolution de la participation des représentants d’entreprises privées ou collectives à vocation économique visant l'extraction des ressources

Quant au troisième groupe d’acteurs, les individus ayant une utilisation ludique du territoire, tels la chasse, la pêche, la coupe de bois ou le tourisme, ont été impliqués de manière active au sein du projet lors des deux premières phases de la démarche (figure 13). La plupart des organismes et associations ayant des usages récréatifs du territoire ont d’ailleurs été rencontrés en 2006 en vue de la constitution d’une table de concertation et de comités de travail, d’où la participation active importante cette même année. La participation globale de ce groupe d’acteurs est par contre plus forte en 2012, où la plupart des associations à vocation récréative ont été spécifiquement rencontrés par Estran Paysage Humanisé afin de les informer du projet (participation passive) et de les inviter à prendre éventuellement part au processus décisionnel via une table de concertation permanente.

Figure 13 : Évolution de la participation d'individus ou groupes d'individus avec utilisation ludique (récréatif) du territoire

Les trois sondages menés de 2003 à 2006 ont permis à plusieurs centaines de citoyens de l’Estran, quatrième groupe, - 900 répondants au total plus exactement22

- de s’exprimer concernant le projet de paysage humanisé (figure 14).

22 Il faut toutefois prendre en compte que ce chiffre ne correspond pas au nombre de personnes ayant répondu

Figure 14 : Évolution de la participation des citoyens

Totalisant un nombre impressionnant de participants, ces trois sondages ne nous permettent toutefois guère d’analyser graphiquement les autres moments de participation. Ainsi, en éliminant du graphique, à des fins d’analyse, les données des trois sondages, nous pouvons plus aisément analyser les autres évènements (figure 15). Nous remarquons alors que les deux premières phases de la démarche ont permis une participation active marquée de nombreux citoyens, notamment lors du mini-forum d’avril 2003 (75 participants). De même, le lancement du livre de 2011 (participation passive) a permis au projet de paysage humanisé d’avoir une vitrine auprès de la population (75 individus présents). Malgré une participation active soutenue tout au long de la démarche, nous remarquons toutefois que la participation citoyenne au sein de la démarche est globalement de type passif, notamment en raison des trois sondages globalisant un grand nombre de participants (900 au total23).

23 Il faut toutefois remarquer que ce chiffre ne correspond pas au nombre de personnes ayant répondu à l’un

Figure 15 : Évolution de la participation des individus agissant en tant que citoyens (en excluant les trois sondages)

5.4 CONCLUSION PARTIELLE

La participation est admise comme un élément important, voire fondamental, dans un processus d’appropriation d’un projet de développement par les communautés locales. À la lecture de cette analyse de la participation au sein du projet de paysage humanisé, de ses débuts jusqu’au moment de notre enquête, nous remarquons que l’implication, tant des citoyens que des divers groupes d’usagers du territoire, n’a guère présenté d’homogénéité au fil du temps.

Plusieurs éléments sont importants à souligner afin de distinguer chacune des phases du projet :

La première phase :

- L’adhésion de quatre municipalités (Grande-Vallée, Petite-Vallée, Sainte- Madeleine-de-la-rivière-Madeleine et Cloridorme);

- La place importante des universitaires exogènes au territoire, qui est toujours aujourd’hui un reproche chez les acteurs impliqués à cette époque;

- Une participation « grand public » très importante (blitz, colloques, sondages, etc.), comptant un grand nombre de citoyens s’impliquant sur une base volontaire;

- Une participation importante des diverses forces vives du milieu (agents économiques, organismes socioéconomiques/communautaires, milieu associatif et citoyen, etc.);

- La majorité des évènements participatifs ont pour objectif la construction collective d’une vision commune du développement de la région (participation active);

- Le chevauchement de deux modèles de développement durable (Agenda 21 et Paysage humanisé).

La seconde phase :

- La constitution légale de l’organisme Estran-Agenda 21, officialisant l’adhésion au projet des quatre municipalités et modifiant le cadre organisationnel du projet, la procédure d’obtention du statut lui étant concédée;

- Le passage du modèle de l’Agenda 21 à celui du paysage humanisé, qui s’officialisa par l’obtention du statut de projet pilote ainsi que par le dépôt d’une demande de reconnaissance en vue de l’obtention d’un statut de paysage humanisé projeté en Estran;

- L’intégration de deux ministères (MDDELCC et MRN) dans la démarche, ce qui amènera également moultes complications en raison des critères d’obtention de statut que l’organisme devra s’efforcer de combler;

- L’amenuisement de l’implication universitaire en Estran;

- Moins d’évènements visant une participation citoyenne « grand public » que la phase précédente;

- La participation active de divers groupes d’intérêt du territoire (acteurs économiques, organismes communautaires, associations, etc.).

La troisième phase :

- La réintégration de deux des quatre municipalités initiales (Grande-Vallée et Petite- Valée);

- Le changement de nom officiel de l’organisme, mettant ainsi véritablement fin au premier modèle de développement que constituait l’Agenda 21;

- La transformation de la méthode de travail utilisée par l’organisme, les efforts de mobilisation étant tournés vers des groupes ciblés (conseils municipaux, agents économiques du territoire, associations locales de chasse et pêche, de sports et loisirs, portuaire, etc.);

- Un changement de type de participation, davantage passive;

- Les processus participatifs comptent peu de participants en comparaison avec les deux autres phases du projet;

- Plusieurs efforts de communication et d’information (participation passive) afin de rejoindre la population estranaise;

- Une faible participation citoyenne (« grand public), hormis lors du lancement du livre de 2011.

Dans les prochains chapitres (chapitres 8-9-10), nous pousserons l’analyse de la participation un peu plus loin afin de savoir si cette dernière joue un rôle dans la perception du projet et donc, par le fait même, dans l’appropriation communautaire du paysage humanisé.