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CHAPITRE 6 Rapport au territoire

6.4 L A VISION DU TERRITOIRE ET SA CONCORDANCE AVEC LE PLAN DE

La perception des impacts avérés d’un projet sur les rapports vécus avec le territoire étant un aspect central de l’acceptabilité sociale, il est indispensable de se pencher sur les diverses relations entretenues par les citoyens avec leur territoire et leur transcription dans le plan de conservation et de mise en valeur (201427) du Paysage humanisé de l’Estran.

D’abord, le projet de Paysage humanisé de l’Estran se voudrait un outil afin d’encadrer la protection et la mise en valeur des ressources naturelles et culturelles du territoire. Afin de garantir cet objectif, le plan de conservation et de mise en valeur (2014), tout comme la demande de reconnaissance (2006) faite précédemment, incorporent les différents éléments d’intérêt du patrimoine naturel paysager et culturel de Grande-Vallée et Petite-Vallée.

Le territoire couvert par le projet compte de multiples richesses patrimoniales forgeant l’identité de ses communautés. L’entièreté des lieux patrimoniaux identifiés plus haut par nos répondants figurent dans le plan de conservation et de mise en valeur (2014)28. L’église de Grande-Vallée, le pont Galipeault et l’entrepôt frigorifique (actuellement l’Espace Esdras-Minville) sont d’ailleurs indiqués dans ce document comme « des éléments importants du patrimoine bâti retrouvé dans le secteur qui sont d’intérêt pour la conservation et la mise en valeur » (EPH et MDDELCC, 2014 : 13-14).

Le plan de conservation et de mise en valeur (2014) indique toutefois qu’aucun inventaire exhaustif du patrimoine immobilier du secteur ne serait actuellement disponible. Comme indiqué dans le plan, un tel inventaire serait en effet nécessaire afin de tenir un

27 Il s’agit de la dernière version du Plan de conservation et de mise en valeur disponible lors de notre enquête

(version du 17 juin 2014).

28 Liste établie précédemment dans la Demande de reconnaissance (2006) et dont les éléments qui y figurent

portrait exact du patrimoine immobilier local et d’entamer ainsi des mesures de reconnaissance garantissant sa préservation et sa mise en valeur adéquate.

Outre les richesses du patrimoine bâti, le plan de conservation inclut également le patrimoine culturel immatériel. Trouvant sa matérialisation dans le site du Village en chanson, les activités liées à la musique et à la danse, pratiquées de générations en générations, sont ancrées dans la culture de Petite-Vallée. Ce patrimoine immatériel est d’ailleurs spécifié dans le plan de conservation et de mise en valeur :

[…] le fort caractère identitaire de la chanson a permis d’assurer la vitalité culturelle du territoire malgré une dévitalisation socioéconomique continue depuis plus de trente ans. Cette vitalité culturelle est marquée par le Village en chanson de Petite-Vallée, dont l’évènement le plus connu est le Festival en chanson qui révèle de nouveaux talents musicaux et dont la renommée n’est plus à faire en Gaspésie et ailleurs au Québec. (EPH et MDDELCC, 2014 : 14)

Composés de mer et de montagnes, les paysages estranais, chers aux citoyens et véritables marques de commerce régionales au niveau touristique, prennent également une importance capitale au sein du projet de paysage humanisé. En effet, par son découpage incluant les portions de terres publiques visibles à partir des routes principales, ce dernier souhaite ainsi « maintenir la qualité paysagère » et « protéger les principaux champs visuels » (EPH et MDDELCC, 2014 : 8). D’une forte importance paysagère, le bord de mer et les plages font également parties intégrantes de l’identité locale estranaise. Ainsi, par son intérêt culturel et paysager, mais aussi biologique, il serait crucial que les bandes maritimes du territoire visé par le paysage humanisé projeté soient incluses dans le projet, comme l’indique d’ailleurs le plan de conservation et de mise en valeur (2014).

En se référant à la théorie du lieu (« place theory ») de Devine-Wright présentée précédemment (chapitre 2), il parait évident que le paysage humanisé vise l’amélioration du caractère distinctif des communautés estranaises tout en assurant la préservation et la mise en valeur des lieux faisant partie de l’identité locale et auxquels les citoyens sont émotionnellement attachés. Ce projet ne semble ainsi pas comporter d’impacts considérables sur les rapports symboliques ou relationnels vécus par les citoyens avec leur

territoire. Ce fait semble d’ailleurs largement accepté chez les individus que nous avons rencontrés lors des entretiens. Toutefois, la continuité des usages actuels sur le territoire après la mise en place du projet semble être une question plus épineuse provoquant interrogations et craintes. En effet, les perceptions des impacts avérés du paysage humanisé sur les rapports d’usages vécus avec le territoire sont multiples et variées; il en sera d’ailleurs question dans un prochain chapitre (8).

En dépit de ces craintes, nous remarquons pourtant que les divers usages actuels du territoire relatés précédemment sont intégrés au plan de conservation et de mise en valeur. Ainsi, les activités de chasse et de pêche, tout comme l’acériculture artisanale, font partie du patrimoine immatériel relaté dans le plan de conservation et de mise en valeur (2014). Exercées depuis des lustres sur le territoire estranais, ces pratiques seraient d’ailleurs parties intégrantes de l’identité locale. De même, l’insertion de superficies relevant du domaine de l’État aurait visé, entre autres choses, l’inclusion des érablières environnantes.

Au fil du temps, les communautés auraient ainsi contribué à façonner les écosystèmes et les paysages locaux afin de leur conférer leurs caractéristiques actuelles exceptionnelles. Ayant permis l’implantation d’une biodiversité anthropique sur le territoire, les activités agricoles et forestières sont alors parties intégrantes de l’utilisation du territoire mise de l’avant par le paysage humanisé. De même, il est spécifié dans ce plan que l’une des conditions essentielles à la réalisation et à l’atteinte des objectifs de conservation et de mise en valeur serait le maintien et la promotion des activités agroforestières durables.

Concernant les régimes d’activités sur le territoire du paysage humanisé, le plan de conservation précise d’ailleurs que les actuels usages du territoire seront maintenus au sein du statut de paysage humanisé projeté, les activités permises et interdites étant spécifiées lors de la deuxième phase du projet « les activités permises et interdites seront précisées pendant la période du statut projeté, avant l’octroi du statut permanent. Ainsi, le statut de paysage humanisé projeté permet le maintien des droits actuels » (EPH et MDDELCC, 2014 : 22).

Afin de réguler ces diverses activités (forestières, acéricoles, récréatives, touristiques et énergétiques) se déroulant sur le territoire du paysage humanisé, un cadre d’aménagement et d’utilisation sera ainsi proposé avant l’octroi du statut permanant, encadrant ainsi l’utilisation durable des ressources naturelles. Comme le spécifie le plan de conservation et de mise en valeur :

En partenariat avec les divers intervenants concernés, un cadre d’aménagement et d’utilisation durable des ressources naturelles renouvelables sera proposé, tant pour les activités forestières, acéricoles, récréatives, touristiques qu’énergétiques. Ce cadre sera réalisé dans une optique d’adoption de façons de faire compatibles avec les objectifs de conservation et de mise en valeur de l’aire protégée et sera adapté selon différentes zones d’intérêt qui présentent chacune leurs particularités […]. La recherche de solutions appropriées passera par une collaboration avec les intervenants locaux et régionaux, par le biais des travaux de la table de concertation permanente en recourant à l’expertise appropriée, en cas de besoin. (EPH et MDDELCC, 2014 : 19-20)

6.5 CONCLUSION PARTIELLE

Plusieurs lieux et paysages comportent un symbolisme fort pour les Estranais, empreints dans l’identité locale : le belvédère (l’appartenance, les racines); l’Église de Grande-Vallée (le patrimoine religieux, historique et culturel); le pont Galipeault (le patrimoine historique); le Village en chanson (la vitalité culturelle, la fierté locale); le moulin Bois Granval GDS (l’économie locale, le gagne-pain); etc. Certains endroits, quant à eux, sont plutôt des lieux de sociabilité et d’unification communautaire (quais commerciaux et de plaisance, Village en chanson, Espace Esdras-Minville). D’autres lieux et paysages sont, de plus, importants pour les habitants en raison des usages qui y sont pratiqués (chasse, pêche, coupe de bois, etc.).

À la lecture du plan de conservation et de mise en valeur (2014), nous pouvons constater qu’aucun impact négatif significatif ne semble pouvoir résulter du projet de paysage humanisé sur les rapports symboliques ou relationnels vécus par les citoyens avec

leur territoire. En effet, le paysage humanisé viserait, au contraire, à améliorer les spécificités locales estranaises tout en assurant la préservation et la mise en valeur des lieux faisant partie intégrante de l’identité locale et auxquels les citoyens démontrent un lien d’attachement. Ainsi, suite à cette lecture, l’impact du projet serait ainsi positif, permettant de faire perdurer, voire d’améliorer, les rapports symboliques et relationnels au territoire.

De même, le statut de paysage humanisé projeté ne modifierait guère le rapport d’usages qu’entretiennent plusieurs citoyens avec leur territoire, les activités actuelles étant maintenues dans le statut provisoire de paysage humanisé et ce, jusqu’à la précision des activités permises et interdites lors de la deuxième phase du projet (statut permanent). Toutefois, puisque ces activités permises et interdites ne seront précisées qu’au cours d’une seconde phase, rien n’assure que les usages actuels du territoire ne seront pas modifiés, même minimalement, lors de l’octroi du statut permanent.