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Naissance d’une prise de conscience ou l’échec de l’école assimilationniste :

III

-1-L’engagement politique de Feraoun durant la guerre :

La relation entre un Algérien et une Française est un thème récurrent chez Mouloud Feraoun, soit dans La Terre et le Sang ou dans d’autres romans. Mais cette relation n’aboutira à rien, comme si dans le contexte qui était le sien, il voulait marquer l'impossible entente avec les Français.

L’engagement de Feraoun n’était pas un secret ; la fille de l'écrivain Emmanuel Roblès, Jacqueline Macek, parle de l'attitude de son père et d'écrivains proches comme Mouloud Feraoun ou Albert Camus pendant la guerre d'Algérie. Elle affirme qu’en tant que directeur de collection, Roblès a édité et défendu Mouloud Feraoun, tous deux ont été également proches d'Albert Camus.

« Mouloud Feraoun était instituteur en Kabylie et écrivain. Il fut assassiné par l’OAS le 15

mars 1962. Emmanuel Roblès, proche d’Albert Camus, était son ami. Des liens d'amitié très forts. A travers ses écrits, ses romans, Mouloud Feraoun décrit la réalité des Kabyles. Bon, tendre et humaniste, telles sont les qualités attribuées à Mouloud Feraoun par tous ceux qui l’avaient côtoyé. Jacqueline Macek insiste sur cette dimension universaliste, "il a voulu aller dans cette notion universaliste, dans l'humain" dit-elle»2.

J.P.Sartre qui n’a pas caché son engagement pour des valeurs anticolonialistes explique que : « La littérature vous jette dans la bataille ; écrire, c’est une certaine façon de vouloir

la liberté ; si vous avez commencé, de gré ou de force vous êtes engagés.»3.Ainsi nous dirons que toute personne ne peut qu’assumer une part de responsabilité de ce qui se passe

1 Mouloud Feraoun, le fils du pauvre, Ed, Seuil, Paris, 1954, P : 58

2 http://tessa008.blogspot.com/2009/12/lengagement-de-mouloud-feraoun.html

en son temps, les hommes de lettres et les gens de l’art sont les plus considérés par cet engagement qui consiste à une participation sans limite dans toute activité politique ou sociale. C’est à dire que l’engagement résulte d’une réflexion sur les problèmes de société produite par des intellectuels et qui dépend d’une idéologie construite. Mais aussi l’engagement de l’artiste pour une cause le conduit à transmettre une leçon, des consignes même, à proposer une vision du monde. Etre engagé pour l’intellectuel, pour l’artiste, c’est être capable d’instaurer une réflexion critique sur la société et sur l’action politique.

Depuis l’indépendance de l’Algérie, les travaux de recherche sur les œuvres de Mouloud Feraoun, dans leur majorité, reviennent à vouloir répondre à une question très sensible ; celle de son projet d’écriture s’il s’inscrit dans l’idéologie coloniale comme certains qui l’ont précédé c’est-à-dire en tant qu’un algérien colonisé ayant fréquenté l’école française, était-il un partisan de l’assimilation ? La majorité des critiques convaincus qu’il n’était pas et convaincus de philosophie nationaliste demandent incessamment à ceux qui le considèrent comme une face du projet colonial, de « relire » son œuvre pour s’en persuader. Le paradoxe est que nous nous référons tous à la représentation de la culture nationale dans ses textes pour le prouver. Le fort ancrage des œuvres de Feraoun dans le vécu kabyle serait pour ses partisans une manière d’affirmer l’identité autochtone niée par le colonisateur, et pour ses opposants une écriture et une autoreprésentation ethnographique (exotique) , voir une écriture de complaisance, qui répondrait à l’attente de ce même colonisateur.

Écrivain longtemps controversé du fait de sa position timorée face à la guerre de Libération nationale, Mouloud Feraoun était-il pour autant un écrivain “assimilé” ? Était-il donc dénué de tout esprit nationaliste ?

Dans son « journal » on sent une certaine amertume de ce qui l’entoure et du vécu de sa société, il écrivait ainsi : « les gens de chez moi que j’ai pu rencontrer à Paris ou dans le

Nord ont tous conscience de l’immense injustice dont ils souffrent. Ce sont des victimes qui n’ignorent plus leur état, mais qui en connaissent également la cause et les responsables. Ce Français chez qui ils viennent travailler, gagner leur pain, c’est lui l’ennui, c’est lui la cause de leur malheur. Désormais un infranchissable fossé nous sépare, ce ne sont plus des maitres, des modèles ou des égaux, les Français sont des ennemis. Ils l’ont toujours été d’ailleurs, avec tant d’aisance dans leurs manières, tant d’assurance dans leurs paroles et leurs actes et tant de naturel que nous avons été conquis non par leur haine mais par leur

bonté. Les manifestations de leur bonté à notre égard n’étaient que celles de leur haine. Mais leur haine était si intelligente que nous ne la comprenions pas. Nous la prenions pour de la bonté. Ils étaient bons, nous étions mauvais. Ils étaient civilisés, nous étions barbares. Ils étaient chrétiens, nous étions musulmans. Ils étaient supérieurs, nous étions inférieurs (….).maintenant il faut qu’ils déchantent. Il faut qu’ils sachent la vérité : ils ne nous tiennent pas et nous ne les aimons plus. Dès lors pourquoi se leurrer ? »1.

En décortiquant la position de Feraoun à travers le Journal 1955-1962, un témoignage sous forme d’une chronique historique où se mêlent récit et analyse. À travers l’analyse du Journal, on peut facilement démolir ces idées reçues qui considèrent Feraoun comme un écrivain dénué de tout engagement nationaliste et que ces écrits n’étaient ornés que de l’assimilation.

Dans Les chemins qui montent, Feraoun explicite plus ouvertement, plus directement la nature réelle du conflit colonial. Feraoun dénonce dans le roman : « Les colons occupent

les meilleures places, toutes les places et finissent toujours par s’enrichir. . . On finit par les appeler à gérer la chose publique. Et, à partir de ce moment, ils se mettent à parler pour les indigènes, au nom des indigènes, dans notre intérêt bien compris et accessoirement dans le leur. . . Chez nous, il ne reste rien pour nous. Alors, à notre tour, nous allons chez eux. Mais ce n’est ni pour occuper des places ni pour nous enrichir, simplement pour arracher un morceau de pain : le gagner, le mendier ou le voler. . . Notre pays n’est pas plus pauvre qu’un autre, mais à qui est-il notre pays ? Pas à ceux qui crèvent de faim, tout de même »2.

Certes Feraoun était au début sceptique quant à l’issue de la lutte armée. Mais très vite, l’auteur du Fils du pauvre dénonce en décembre 1955 le caractère oppressif du système colonial ainsi que l’état précaire que les Algériens vivaient par rapport aux autres français. Cette prise de conscience lui fera admettre le bien-fondé de la lutte contre cette horde coloniale et pour la libération du pays.

En 1957 il écrivait : « Maintenant j’ai compris, inutile d’aller plus loin. Je peux mourir

aujourd’hui, être fusillé demain : je sais que j’appartiens à un peuple digne qui est grand et restera grand, je sais qu’il vient de secouer un siècle de sommeil où l’a plongé une

1 Mouloud FERAOUN, « journal 1955-1962 »,Ed.TALANTIKIT,Bejaia,2014, p30

injustice défaite, que rien désormais ne saurait l’y plonger, qu’il est prêt à aller de l’avant pour saisir à son tour ce flambeau que s’arrachent les peuples »1 L’allusion à l’indépendance est claire ; une perspective qui se voulait comme seule issue à la situation de guerre, puisque « personne ne veut trahir les morts et les morts sont tombés

pour la liberté »2. L’engagement est ici réaffirmé, Feraoun a définitivement choisi son camp, celui de ses frères de sang. La guerre fait évoluer Mouloud Feraoun vers l’affirmation d’une Algérie indépendante à travers ses œuvres. Pour l’écrivain du fils du pauvre, “l’indépendance est désormais acquise grâce au prix très cher payé par ses compatriotes. Mouloud FERAOUN n’a jamais fait allégeance à la puissance coloniale. Dans la trilogie de Mouloud FERAOUN, « le fils du pauvre » et « la terre et le sang », « les chemins qui montent » , le scandale colonial est clairement dénoncé, ces romans portaient entre leurs lignes les germes d’une nation en devenir et d’une révolution sur un ordre établi par l’occupant.

Mouloud Feraoun, à travers ses écrits, a pu faire véhiculer ses idées révolutionnaires et pacifiques à la fois avec un grand et seul but : l’indépendance totale de l’Algérie. Cette circulation implicite des idées, a été vite assimilé par le colonisateur et il l’a bien vu, ce dernier a senti une vraie menace qui venait en « catimini » par cet homme de lettre et simple instituteur puis inspecteur des centres sociaux, qu’il a décidé (le colonisateur) de l’exécuter avec cinq autres collègues .

Cette nouvelle littérature a sacralisé la famille et la terre, cette dernière a été arrosée du sang de ses compatriotes, des autochtones qui ont tout donné pour cette patrie mère. Par la présence de la lexie « terre » dans l’œuvre de Feraoun se lit comme « un rejet total du colonialisme ».

L’aspect de l’Interculturalité présenté en particulier par la part de l’autre dans l’œuvre de Mouloud Feraoun dans le sens où toute l’œuvre feraounienne est porteuse de modernité et d’une dimension purement universelle.