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3-La double instance « Amer/Marie » et la quête de soi

Lexique et instances énonciatives

I- 3-La double instance « Amer/Marie » et la quête de soi

Dans ce roman le lecteur ne saura rien ou presque sur de la vie que menait Amer antérieurement à son voyage en France, c’est-à-dire son enfance. Nous comprenons qu’Amer a grandi comme les autres enfants de son village, enfant unique, il a pu bénéficier d’une attention particulière de la part de ses parents. Il a été scolarisé dans l’école du village. Le récit se focalise surtout sur les familles Kabyles, leur honneur, leurs conflits, leurs histoires d’amours, et enfin la vengeance. En fait « l’être » et « le faire » d’Amer, jeune, sont peu détaillés.

De retour dans sa terre natale après quinze ans d’exil, (le terme exil est employé par Feraoun signifiant l’immigration) Amer revient accompagné d’une épouse. Son absence a été longue pour les siens, sa mère en particulier. Quant au père, Kaci, il mourra alors qu’Amer était à l’étranger ; « lorsque le Kabyle revient dans sa montagne après une longue absence, le temps qu’il a passé ailleurs ne lui apparaît plus que comme un rêve. Ce rêve peut être bon ou mauvais, mais la réalité, il ne la retrouve que chez lui, dans sa maison, dans son village. Le village est un ensemble de maisons et les maisons sont faites d’un assemblage de pierres, de terre et de bois. C’est à peine si elles laissent soupçonner la naïve intervention de l’homme-maçon »

Ce dernier n’assistera pas à ses obsèques. Depuis, c’est Kamouma sa mère qui dut supporter toute seule la misère, surtout que son mari avait vendu leurs terres. L’intention d’Amer dès le début du roman est d’expier ses mauvaises conduites : se réhabiliter vis à vis de sa mère et réintégrer le groupe en rachetant les terres de sa famille. Il lui reste donc à convaincre les siens qu’il est toujours un authentique Kabyle, mais la chose est compliquée du fait qu’il a une dette à régler envers quelques-uns qui n’ont pas oublié qu’il a commis une grave erreur en France.

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Dans le deuxième chapitre du roman nous remarquons que son retour, après quelques jours seulement, n’est plus vécu comme un événement. Certes les gens continuent à lui rendre visite, à discuter avec lui, son absence continue à susciter un étonnement et une curiosité, mais il redeviendra vite l’enfant du village, l’émigré rentre définitivement après tant d’années d’exil, il subit le changement de son ancien espace natal, il ressent de désagréables sentiments de culpabilité envers ses proches.

Amer veut ainsi repenser sa vie après quinze ans d’absence, se racheter auprès de son village et de ses parents, prouver qu’il est toujours un Kabyle, et aussi se mesurer aux autres, c’est-à-dire ses cousins, ses voisins. Sa détermination pour retrouver sa place parmi eux est grande. Toutes ces « stratégies » sont en quelque sorte « le faire » du personnage dans la narration. Le jour de son retour, c’est « Madame » qui devient aux yeux des villageois l’évènement le plus marquant de la journée : elle intrigue tout le monde ; les hommes, les enfants et les femmes, elle ne passe pas inaperçue ; « Ensuite madame les écrase toutes de sa beauté : non, peut-être, par la régularité des traits ou l’harmonie des proportions (…..). Elle n’est pas de leur race, elle ne parle pas leur langue. Avec cette femme, elles n’ont de commun que le sexe. Elles admettent l’inutilité de la comparaison. « Bon, qu’elle se croie supérieure !c’est son affaire. Nous n’irons pas lui dire ce que nous en pensons » .

Le narrateur introduit, même, ce personnage avant celui d’Amer. Le nom de Marie n’apparaît pas encore durant les trois premiers chapitres : elle est nommée « la Parisienne », « la Française », « la dame », « l’étrangère » puis « Madame ». Une intention réfléchie sans doute peut-être c’est le refus de tout ce qui est étranger au village, et à cette société restreinte. Le nom de Marie, est très significatif chez les deux rives. Un patronyme symbolique. Ce prénom peut symboliser une certaine pureté dans la mesure où Marie qui est française – mais d’un père Kabyle du village d’Ighil-Nezman- et pour la première fois ses pieds touchent le sol algérien, et elle y restera jusqu’à sa mort, c’est une forme de retour vers ses sources ou vers ses racines, c’est aussi l’appel du sang. Cette technique de l’auteur à travers le narrateur de ne pas citer son prénom soit par prudence, soit par mesure de distanciation, et puisque c’est elle qui va chambouler tout l’ordre établit du village et causera par la suite la perte à jamais l’enfant du village Ighil-Nezman, et troubler un calme qu’on a l’habitude de le vivre.

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Le narrateur semble ne pas donner trop d’importance au retour d’Amer dans son village natal et paraît intéresser moins au début de la narration, alors que tout l’intérêt fût dirigé vers sa femme Marie ; « c’est ainsi que débarqua, par un après-midi de printemps, la parisienne qui mit en émoi tout le village ».

Amer n’a pas eu les mêmes faveurs que sa femme soit en France ou bien dès son retour à son village. En Kabylie même s’il est chez soi, il se sent encore dépaysé, lui l’enfant du village. A l’exil il a souffert comme toute personne travaillant dans les mines, il a dû endurer le pire de sa vie durant des années, mais ce couple est encore fort et soudé, et cette situation ne tardera pas à se dissiper, le dialogue est encore de jour. Pour Marie Amer est le protecteur, «Madame, précautionneuse, suit Amer qui descend le sentier d’un pas assuré. Amer se retourne de temps en temps pour lui tendre la main. Ils bavardent », d’ailleurs il lui a promis ça.

Encore une fois, Marie garde une attitude positive, elle est certaine que tous deux auront une vie tranquille et comblée à Ighil-Nezman. Amer est un peu confus pour sa part, il ne comprend pas comment sa femme, une parisienne, peut se familiariser si facilement et accepter sans «problèmes» de vivre dans son village. En fait, c’est lui qui éprouve un malaise à revivre dans son espace natal. Son retour parmi les siens le tourmenter.il a présenté du mal à accepter cette nouvelle situation.

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4-L’instance énonciative « Autre » / « soi » ou la dualité sociale

Mouloud Feraoun dans un extrait de son « Journal », a défendu sa culture d’origine sans toutefois renoncer à la culture française (de l’Autre) : «Quand je dis que je suis Français,

je me donne une étiquette que les Français me refusent, je m’exprime en français (...) Mais qui suis-je, bon Dieu ? (...) Ce dont vous pouvez être sûr, c’est que par ma culture je suis aussi Français que vous. Mais n’espérez pas autre chose. Je ne peux pas renier votre culture, mais n’attendez pas de moi que je renonce à moi-même, que j’admette votre supériorité, votre racisme, vos mensonges, un siècle de haine »1

Les deux romans de Mouloud Feraoun, « La terre et le sang » et « Les chemins qui montent » présentent une chronique de la vie d’un village kabyle et de ses habitants, racontée par un des leurs.

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Le narrateur peint d’une plume acérée les solidarités et surtout les rivalités, voire les conflits, entre les familles du village. Il décrit surtout les femmes et ce qu’elles endurent mais savent préserver leur dignité dans une vie quotidienne laborieuse et dure.il évoque aussi leurs manigances qui les guident dans leur préoccupation essentielle, le mariage de leurs filles, le souci d’une progéniture pour celles-ci….etc.

L’histoire racontée dans La Terre et le Sang est tirée d’un événement réel qui s’est déroulé dans les années vingt en Kabylie « l’histoire qui va suivre a été réellement vécue dans un

coin de Kabylie desservi par une route, ayant une école minuscule, une mosquée blanche, visible de loin, et plusieurs maisons surmontées d’un étage »1. Feraoun commence son récit par la description de la simplicité et de la pauvreté du village d’Ighil Nezman, un lieu fictif, où l’histoire va avoir lieu. Il avise le lecteur que ses personnages sont ordinaires mais toutefois il indique que l’un d’eux soit une exception ! « On admettra sans doute qu’un

cadre si ordinaire ne soit le témoin que de banales existences car les principaux personnages dont l’histoire sera relatée n’ont rien d’exceptionnel. Le lecteur doit en être tout de suite averti) »2. Comme si le narrateur veut attirer l’attention du lecteur tout de suite vers cet « Autre » qui pénètre dans le monde rude de la communauté kabyle, c’est-à-dire chez le « Soi », c’est-à-c’est-à-dire dans le village d’Amer.

Mouloud Feraoun concentre son récit autour de « Soi » représenté par Amer, et de l’Autre représenté par la française appelée aussi « Madame ».

« La terre et le sang » est une histoire « d’Amer et Madame », elle est considérée comme une histoire d’amour, de pardon, d’attachement à la terre natale et aux liens du sang. Mais en revanche, comme un drame nourrit par les sentiments pervers existant dans cette société kabyle tels la jalousie, l’hypocrisie et la trahison. Ces sentiments ont amené et conduit à une fin tragique dans le roman.

Les personnages dans « la terre et le sang » ne sont pas identiques à ceux dans « le fils du pauvre » car un personnage étranger fait son apparition. Il s’agit de Marie, la femme d’Amer, venue suivre son mari dans son village natal.

Le narrateur ne manque pas de faire une description physique méticuleuse de Madame ou de cet « Autre » que découvre le village kabyle :

1 Mouloud Feraoun, la terre et le sang ,Op.cit., p :5

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« Elle est svelte, presque de la taille d’Amer. Ses cheveux blonds, soyeux et

bien peignés retombent sur sa nuque pleine. Ses yeux bleus font songer au mouron et ses lèvres bien rouges au coquelicot. Son visage est plein de grâce et de hardiesse. Il est plutôt large que rond : un front uni, un nez court mais bien planté, des sourcils fournis, régulièrement arqués »1.

L’instance énonciative « narrateur » qui semble tout connaitre sur ce personnage étranger continue à décrire « Madame », cette dernière qui n’hésite pas aussi à présenter ses sentiments envers ceux qui l’ont accueilli chez eux :

« Elle trouve la Kabylie très belle (….) Ce qui a changé, c’est toute une

société : une humanité puissante et dédaigneuse qui ne l’aimait guère, où elle ne compta jamais que comme un rebut, comme servante, parfois comme esclave. Une cendrillon pour tout dire qui découvre un royaume à la mesure de son bon sens de fille du peuple, le petit royaume d’Ighil Nezman. D’un seul coup, elle trouve un monde où on la hisse au premier rang, à la première place. Finies les humiliations (…) Elle se voit très belle au milieu de ces paysannes, belle comme elle ne l’a jamais été »2.

Entre les deux sociétés, celle de « L’Autre » et celle « de « Soi » existent de grandes différences que l’instance énonciative « narrateur » semble les connaitre parfaitement, il ajoute : « Elle remarqua (…) que les hommes étaient toujours gênés devant elle, ne lui

parlant guère, n’osant pas la regarder, préférant s’adresser à Amer même lorsque la question la concernait. Et pourtant, c’étaient ces mêmes individus qu’elle avait vus en France aussi effrontés que d’autres »3.

Le retour de « Marie » avec Amer vers son village est considéré comme une forme de réconciliation entre Rabah (puisque Marie est la fille de Rabah l’oncle d’Amer) et les siens ; « Le sang de Rabah revient dans celui de sa fille. Oui, il revient dans notre terre »4,

c’est le retour du sang de « Soi » dans le sang de « l’Autre ».

Le narrateur fait aussi un rappel pour cet acte de réciprocité, celui de « Soi » dans la société de « l’Autre », c’est-à-dire la vie d’Amer en France. L’instance énonciative « narrateur » connait tous les détails de ces personnages, même psychologiques ;

1 Ibid. P : 38

2 Ibid. P : 54

3 Ibid. P : 44

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« Son angoisse venait de cet inconnu qu’il allait affronter, de la mer à traverser, de cette société dans laquelle il partait avec ses seuls bras pour vivre et pour essayer d’amasser. (…)Au bout de quelques mois, Amer se transforma. Il oublia Kamouma, Kaci et son village. (…).Il mettait, à manger, la même ardeur qu’à travailler…Et lorsqu’il lui arrivait de songer à Kamouma qui, peut-être écrasait du gland pour en faire sa farine, il chassait cette pensée insolite qui était noire comme un mauvais nuage »1. Son départ en France a

créé un sérieux problème de stress et un sentiment d’hésitations, et parfois il songe à sa mère Kamouma, ce qu’elle fait, ce qu’elle mange, mais ce sentiment de sympathie n’a pas trop duré.

II- Les instances énonciatives entre « intradiégétique » et