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2- Mouloud Feraoun et l’école coloniale ; un combat contre la ségrégation

Issu d’une famille de paysan , Mouloud Feraoun s’apprêtait à mener une vie de paysan comme ses proches , d’ailleurs c’est ce qu’il fait déjà en participant aux travaux des champs et en particulier en gardant les chèvres . Quand il a sept ans, son père décide de

1 Mouloud Feraoun, le journal ,Op.cit. P : 53

l’envoyer à l’école. Son père, est sans doute influencé par les structures militaires dont les officiers connaisseurs du terrain tentaient de combattre l’influence anti-française des écoles coraniques (les zaouïas). Il fait aussi un calcul économique puisque les Kabyles sont tellement pauvres que les hommes du clan doivent partir travailler à l’extérieur (en Algérie, en Tunisie ou en métropole) à tour de rôle. Pour le père, un fils instruit c’est la possibilité d’un apport salarial très important et une source de vie de plus pour toute la famille. Mouloud d’ailleurs, au début de sa carrière, verse l’intégralité de son salaire à sa famille et il aidera financièrement les siens toute sa vie.

Après une première formation au primaire, il continue ses études au cours complémentaire. Il fût préparé au concours des bourses par son maitre et il est bien reçu.

Le cours complémentaire se trouve à Tizi Ouzou. C’est à 6 kilomètres par des chemins montagneux et sa famille n’a pas les moyens de payer une pension. On lui propose une solution au dernier moment. Un missionnaire protestant (L’église protestante n’est pas là par hasard. Il s’agit d’évangéliser la Kabylie) dirige un internat à Tizi Ouzou. Les jeunes qui venaient des montagnes y sont gratuitement logés.

Mouloud Feraoun en a profité de la mission Rolland qui ne l’a jamais attiré dans le giron du protestantisme. Il travaille avec un grand acharnement, son objectif était précis et clair : obtenir le brevet élémentaire afin de participer au concours d’entrée à l’Ecole normale d’instituteurs qui se fait sur les mêmes épreuves que celles du brevet élémentaire. Feraoun avait dix-neuf ans quand il est admis à l’Ecole Normale.

Quand il intègre l’EN, la ségrégation existant entre européens et indigènes n’a été supprimée que depuis 3 ans. Ce n’est que depuis 1928 que le concours d’entrée est le même pour tous, les cours suivis et les examens également. Une distinction restant encore sensible entre les fonctions des européens et celles des indigènes. Ces derniers se voyant attribuer essentiellement les écoles du bled et accédant plus rarement à des postes d’encadrement ou d’inspecteurs.

Mais pour Feraoun l’Ecole Nationale est un moment merveilleux. Il est fier et heureux d’avoir accompli son rêve. Les instituteurs d’Alger sont d’un niveau intellectuel très élevé. Les professeurs sont brillants avec bien sûr une bibliothèque très riche. Il est le condisciple d’Emmanuel Roblès. Tous deux sont fils de pauvres et travailleurs acharnés, tous deux futurs écrivains. Feraoun ne semble pas avoir nettement pris part à la vie politique qui semble parfois intense dans l’école.

Après la guerre, en 1949, il est devenu directeur d’une école : « Nous meublons le local

avec des tables et un tableau pris dans les deux classes existantes. Nous avons donc trois locaux mais la troisième classe seule recevra cent gosses : cinquante le matin et cinquante le soir tandis que les deux autres fonctionneront normalement. L’un de nous trois aura ainsi deux classes. (…….) Je n’ai que 15 locaux pour 28 classes et 21 maîtres ! Nous avons adopté un système de roulement qui me tient en haleine de 8 heures à 18 heures avec seulement ¼ d’heure pour déjeuner»1.

L’Administration n’est guère reconnaissante, malgré le dévouement de ses instituteurs ; Il se souvient du jour de juillet 1946 ou il a été convoqué d’urgence par l’administrateur. Il venait de terminer sa première année comme directeur à Taourirt-Moussa. Il faisait chaud et c’était le jeûne du Ramadan mais il n’avait pas le choix. Il partit à pied et fit les six kilomètres harassants jusqu’à Tizi-Ouzou. Il fait antichambre puis se trouve debout face au bureau de l’hiérarque. L’homme fouille dans son dossier et toise le jeune maître : une vérification de l’inventaire de la cantine scolaire laisse apparaître la disparition d’une cocotte …

Feraoun est perplexe. Non ! Ça n’est pas une plaisanterie. Il bredouille une excuse. Peut-être une erreur. Son supérieur lui jette un nouveau regard suspicieux. Un geste de la main. Feraoun est déjà sur la route du retour. Furieux, meurtri sous ce soleil encore plus torride. À nouveau six kilomètres de chemin poudreux. Il n’en n’a pas parcouru la moitié qu’une voiture le dépasse dans un nuage de poussière. C’est celle de l’administrateur qui se rend à Taourirt-Moussa.2 Les humiliations ne sont pas rares.

Un de ses collègues kabyle en fin de carrière noté 19/20 depuis plusieurs années en poste dans une école au logement plus que précaire se voit refuser une école un peu plus confortable au profit d’un couple d’Européens débutants. Pour le consoler, l’Inspecteur lui octroie les palmes académiques mais il refusera de les porter.

Le manuscrit de son premier roman « Le fils du pauvre » a été présenté à son ami Edmond Sergent directeur de l’Institut Pasteur qui siège également au jury du Grand prix algérien de littérature. Sergent l’encourage et présente son livre au jury. Le jury juge que le roman de Feraoun est excellent mais laisse entendre qu’il ne peut accorder cette distinction à un

1 En ligne : http://agora-2.org/francophonie.nsf/Documents/Chretiente

Lenseignement_francais_et_les_missions_catholiques_document_historique_par_Albert_Metin (consulté le 10 janvier 2017).

auteur indigène. Cependant, il lui est octroyé une sorte de prime d’encouragement de cinq mille francs…qu’il ne recevra jamais. Le prix va à Jeanne Canavaggia pour son roman "Nous les élus" publié chez Grasset.cette dernière fût connue comme peintre que comme écrivaine, elle est également l’épouse d’un haut fonctionnaire du cabinet militaire du gouverneur général.

Feraoun n’est pourtant ni découragé ni aigri. Il se consacre à son métier avec passion et talent.

Son fils Ali, qui était alors dans la classe de son père en garde un souvenir précis. « Mon

père s’était rendu compte qu’il y avait dans la cour quelques arbres fruitiers et un bout de terre sur lequel il était possible de cultiver quelques légumes. Le moment venu tous les élèves faisaient la cueillette ou ramassaient les légumes et mon père les vendait au marché. L’argent récolté allait à la caisse de la coopérative gérée par les gamins. Cela permettait d’acheter des livres, des fournitures scolaires ou de l’encre et du matériel sommaire qui servait à réaliser ce journal mensuel entièrement rédigé par les élèves. Nous lui avions trouvé un titre : "La Source"1

Son fils ajoute qu’il se souvient avoir rencontré des personnes âgées qui l’ont connu jeune instituteur Un de ces vieux me disait avec émotion : « Nous au village on l’a tout de suite

adopté.

Pourtant c’était un célibataire qui venait dans un village kabyle ce qui est normalement incompatible compte tenu de nos mœurs et de nos traditions. Je me souviens qu’il portait toujours le burnous traditionnel par-dessus son costume. […]Pour traverser le village […] il recouvrait sa tête du capuchon de son burnous et regardait par terre pour ne pas croiser un autre regard. C’était une grande marque de respect qui nous touchait beaucoup de la part d’un si grand monsieur. »2.

Feraoun déclare que pour lui, enseignement et écriture sont intimement liés. Le premier donne accès à la seconde. Feraoun n’est pas de ceux qui pensent que la langue française est forcément celle de la colonisation culturelle. Elle est celle qui permet d’aller sur le terrain de l’autre avec cette arme commune. Ce que certains ont qualifié d’assimilation se révèlera comme une forme de désobéissance civile en devenir.

1 Ibid.

2 En ligne : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=2374 (consulté le10janvier 2017).

Mouloud Feraoun s’est inscrit dès son premier livre dans la lignée de ceux pour qui l’écriture est une forme d’insurrection. Au seuil des années cinquante, il est déjà conscient de son rôle. Celui qu’il définira en 1957 en parlant de littérature algérienne : « La voie a

été tracée par ceux qui ont rompu avec un orient de pacotille pour décrire une humanité moins belle et plus vraie, une terre moins chatoyante mais plus riche de sève nourricière, des hommes qui luttent et sont les répliques exactes de ceux que nous voyons autour de nous. »1.

Feraoun, connu comme un écrivain pacifiste, écrit dans son Journal le 13 décembre 1955, parlant des français qui le / les gouvernent : « Les manifestations de leur bonté à notre

égard n’étaient que celles de leur haine. Mais leur haine était si intelligente que nous ne la comprenions pas. Nous la prenions pour de la bonté. Ils étaient bons, nous étions mauvais. Ils étaient civilisés, nous étions barbares. Ils étaient chrétiens, nous étions musulmans. Ils étaient supérieurs, nous étions inférieurs ».2

Malek Haddad disait : «Le français est mon exil» en parlant de l’école, par contre Mouloud Feraoun, , a pris la langue française comme un acquis qui rejoint par la suite la pensée de Kateb Yacine qui déclara que : «La langue française est un butin de guerre», puisque l’enseignement de la langue française à cette époque supposait « acculturation et acquisition », Mouloud Feraoun a utilisé la langue française , pour parler à l’autre ,de soi, des siens et de leurs spécificités.

un large fossé était creusé entre le vécu social difficile de Mouloud FERAOUN et l’école française qui chantait et proclamait l’humanisme, l’égalité ,la liberté ,la fraternité et la morale universelle à travers ses grands penseurs et philosophes comme Rousseau, Voltaire, Lamartine et d’autres, alors que dans sa vie quotidienne, il vivait la misère avec toutes ses formes , l’injustice, la souffrance et le mépris.» !!

1 Ibid.

Conclusion :

L’écriture chez Mouloud Feraoun et le style de narration que l’auteur a choisi est spécial à lui. C’est un mélange dans les procédés d’écriture, un mariage entre récit romantique, journal intime et écriture de l’Histoire

« La littérature est le plus souvent très discrète, sinon muette, sur ses origines. Je veux

dire sur ses véritables origines qui ne sont peut-être pas là où on les cherche généralement, c’est-à-dire dans les secrètes particularités du génie créateur (…) Que savons-nous de la façon dont ils ont appris à lire et à écrire, des textes dont leur mémoire d’enfant a été imprégnée, des modèles qu’ils ont été invités à imiter ou par rapport auxquels ils ont peu à peu inventé leur propre manière ? »1

Considéré comme le « fruit » d’un enseignement colonial, Mouloud FERAOUN a toujours représenté l’école et l’enseignant persévérant puisque l’école était le centre de son existence.

Nous faisons connaissance avec mouloud Feraoun, ce fils de paysan devenu instituteur est considéré comme le premier auteur algérien d'expression française. Avant lui seuls des voyageurs ou des colons connaissant mal le milieu kabyle avaient situé l'action de leurs intrigues dans cette région ; l'objectif de mouloud Feraoun fut de mieux faire connaitre son pays, projet qui ne pouvait être mené que par un autochtone. En ce qui concerne le contenu de son œuvre, on retient principalement l'aspect social à travers quelques thèmes majeurs, ainsi que l'évolution de son écriture et de ses préoccupations. L'aspect autobiographique de son premier roman est également un point important. La présence de l'enfant est avant tout un subterfuge pour présenter de manière plus approfondie et objective le milieu culturel dans lequel mouloud Feraoun a passé les premières années de sa vie. Sa formation par l'école française a beaucoup influencé son style et l'intérêt qu'il porte aux effets de la confrontation des deux cultures ; celle de l’occupant et celle de l’autochtone. Cette confrontation est clairement affichée dans son dernier roman –posthume- (la cité des roses). Ce phénomène qui se présente également chez d'autres auteurs d'aires géographiques différentes ayant connu également la colonisation.

Mouloud FERAOUN a défié le colonisateur français par l’écriture, son sort était de le priver du beau jour que tout algérien de l’époque l’attendait « l’indépendance », et ainsi il

1 Roger FAYOLLE, « Ecole et Littérature » dans « La littérature dans l’école, l’école dans la littérature », n°174 de 1979, Revue des Sciences Humaines, Lille.

fût assassiné la veille du cessez –le- feu à quelques jours de la fin du colonialisme français pour l’Algérie après plus de 130 d’occupation. Feraoun attendait avec impatience la levée du soleil de l’indépendance sur sa patrie, mais le colonisateur avait un autre avis. Mouloud FERAOUN mourût assassiné avec cinq de ses collègues au sein de l’enceinte de l’établissement scolaire.

Il s’est tenu seul face au colonisateur français et il n’avait que sa plume pour présenter et exposer son désarroi et son mécontentement du vécu du peuple algérien et de sa souffrance avec la langue de l’occupant comme s’il est entrain de leur dire « je vous combat par votre langue ,votre arme ,je ne suis pas avec vous ,puisque vous ne pouvez pas monter les chemins difficiles que nous kabyles et autochtones adorons d’y vivre nos meilleurs jours, je suis contre l’ordre inégal que vous avez établit malgré cette culture occidentale que j’ai acquise et qui n’a fait que croitre ma détermination » ; tel était Mouloud FERAOUN, abattu par la horde coloniale le 15 Mars 1962 sur les hauteurs d’Alger, comme s’il voulait faire comme toujours ; garder une vision globale sur tout.

La confrontation avec le colonisateur français n’était pas seulement armée, une autre forme de la lutte ,et qui n’était pas moins importante que la première (lutte armée), avait pris de l’ampleur : un combat culturel et littéraire et durant cette période avait apparu pour

FERAOUN Mouloud, le recueil de textes « jours de Kabylie » qui relate les traditions et le mode de vie des algériens berbères , après c’est « le fils du pauvre » un roman universel qui a fait un écho sans précédent et c’était une autobiographie par excellence .ce roman est l’œuvre la plus réussie de FERAOUN et de la littérature algérienne, traduit en 25 langues il incarne des valeurs et des idées humaines et grandioses. Ce roman « le fils du pauvre » était tout simplement l’histoire de tout un peuple. L’homme Kabyle commence sa lutte et son combat avec la vie depuis sa naissance pour survivre honnêtement ou céder à la misère et vivre par la suite dans la précarité et l’oubli toute sa vie.

CHAPITRE