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La famille est le premier lieu commun de l’aliénation. Elle est cet espace où l’enfant s’éveille au monde, apprend à faire ses premiers pas, à fredonner, à parler, à agir, à réagir,…etc.

La psychanalyse y décèle l’origine des névroses. C’est là que par le simple énoncé du nom s’opère la conversion de l’individu en sujet. L’ordre symbolique interpelle l’enfant, lui assigne sa place dans la structure familiale qu’il régente :

1 Article d’Abdallah Cheriet paru dans EL Moujahid Culturel (n113, 22 Février 1974) en Algérie.

2 Anthologie des écrivains maghrébins d’expression française, sous la direction d’Albert, présence africaine, Paris, 2e Ed. Revue, 1965, P : 14

3 Les Nouvelles Littéraires, n 2518, 5 Février 1976, Dossier présenté par Claude Bonnefoy : “Les Evadés de L’Empire.

« L’ordre du langage n’a pas besoin de designer un objet à (ou pour)

l’interdit, il agit pour la simple nomination des éléments de la structure, c’est-à-dire pour la révélation verbale de leur appartenance à un tout structuré, ce qui en interdit l’usage immédiat. Pour établir les règles de parenté, il n’a pas besoin de faire intervenir ces signes que sont les pronoms (de personnes) : le sujet acceptant d’être « je » se différencie immédiatement du « tu » de l’autre, et du « il » de l’objet ; ainsi, il apprend à se connaitre pour ce qu’il est, et par la place qu’il occupe dans la structure familiale et langagière.de cette place il ne lui faudra plus bouger sous peine de perdre son identité subjective et sociale »1.

C’est cette place assignée au corps qui sera mise en scène par l’entreprise autobiographique ; puisque la position s’inscrit au travers du langage, cet espace sera travaillé par l’activité scripturale pour la dénoncer :

« (…)il voulait tout simplement, comme ces grands hommes, raconter sa propre

histoire .je vous disait qu’il était modeste !loin de sa pensée de se comparer à des génies :il comptait seulement leur emprunter l’idée « la sotte idée » de se peindre .il considérait que s’il réussissait à faire quelque chose de cohérent ,de complet, de lisible ,il serait satisfait.il croyait que sa vie valait la peine d’être connue, tout au moins de ses enfants et de ses petits-enfants. À la rigueur, il n’avait pas besoin de se faire imprimer.il laissait un manuscrit »2.

L’intervention d’un énonciateur qui connait tout de Fouroulou (d’ailleurs la deuxième partie du récit sera assumée par cet énonciateur), l’usage du discours indirect libre et le recours à l’imparfait (le récit du rêve), relève d’une stratégie scripturale comme négation du discours de l’autre ! Fouroulou, ne voulait pas être et rester comme les siens ;

« En fait, celui qui raconte son rêve ne procède pas à un récit effectif, mais présente une suite de visions qui, dans sa mémoire, sont plus au moins concomitantes. L’imparfait marque donc ici que l’énonciateur est en train de décimer des images isolées

1 F. Gaillard, au nom de la loi, Lacan ; Althusser et l’idéologie, in, sociocritique, collection, coll., Nathan-Université, Ed, F. Nathan, paris, 1979P :17

et non produire un récit souvent perçu comme incohérent(…).l’imparfait marque, en effet, la coïncidence avec un repère énonciatif situé dans le passé »1.

La description du sujet de l’énonciation affirme ainsi sa singularité.

« L’autre » dans le discours de Mouloud Feraoun, est double : le discours de son village et sa famille, et aussi, le discours du colonisateur qui n’aime entendre que ce qui fait plaire, jamais de la réalité !

La période coloniale draine avec elle des scènes de violences que la littérature maghrébine, habitée souvent par l’esprit militant, n’a pas manqué de relater.

L’œuvre de Mouloud Feraoun, même si elle n’a pas mentionné cela, n’échappe pas à dénoncer une situation sociale des plus difficiles !

II

-4- L’autre dans l’œuvre de Mouloud Feraoun :

L’écriture est le lieu d’un choix et d’une liberté pour l’écrivain, tandis que la langue

et le style sont le produit naturel du temps et de la personne biologique. Selon Roland Barthes l’écriture est le choix d’un comportement humain et l’affirmation d’un certain bien :

« L’écriture est le rapport entre la création et la société, elle est la forme saisie dans son intention humaine et liée ainsi aux grandes crises de l’histoire »2.

La littérature maghrébine d’expression française est le meilleur exemple qu’on puisse donner pour montrer à quel point une langue étrangère peut être un très bon moyen pour communiquer afin de se présenter, se faire connaître et faire connaître sa culture et sa communauté, faire parler ses idées, ainsi que sa révolte.

La littérature maghrébine est une littérature imprégnée de joie et de malheur, étalée sur plus d’un siècle et caractérisée par l’engagement dans la plus part de ses œuvres.

1 D. Maingueneau et G. Philippe, « exercices de linguistique pour le texte littéraire », Ed. Armand colin, Paris, 2005, P : 34

L’écrivain Albert Memmi dans son célèbre Portrait du colonisé a dressé une description de cette littérature qu’il voyait un peu différente des autres littératures du monde puisqu’il en était un témoin de cette période :

«La langue maternelle du colonisé, celle qui est nourrie de ses sensations, ses passions

et ses rêves, celle dans laquelle se libèrent sa tendresse et ses étonnements, celle enfin qui recèle la plus grande charge affective, celle-là précisément est la moins valorisée. Elle n’a aucune dignité dans le concert des peuples. S’il veut obtenir un métier, construire sa place, exister dans la Cité et dans le monde, il doit d’abord se plier à la langue des autres, celle des colonisateurs, ses maîtres. Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue maternelle est l’humiliée, l’écrasée. Et ce mépris, objectivement fondé, il finit par le faire sien»1.

Les Algériens, pour s’exprimer, utilisaient leur propre langue comme moyen de communiquer avec le français, mais petit à petit, ils ont compris que la loi du plus fort règne dans ce combat littéraire, mais en plus, qu’ils peuvent utiliser cette langue de l’occupant contre l’occupant lui-même, et c’est de là que la littérature maghrébine d’expression française, écrite par des algériens est née.

C’est une littérature écrite, contre le colonisateur, dans sa propre langue :

« Et c’est en Algérie que la littérature maghrébine s’impose le plus par la

quantité, par rapport au Maroc et à la Tunisie. L’occupation française y a duré le plus longtemps, la scolarisation y est débuté plutôt, l’impact de la culture étrangère sur les esprits et les mentalités y est plus étendue. »2

Certes, cette langue était évincée au début, les « arabes » qui l’utilisait, furent insultés et traités d’assimilés, mais nécessité oblige, et le moment propice était venu.

Mouloud FERAOUN est l’un de ces engagés, dévoué à son pays. Auteur Algérien, il mélange dans ses œuvres, engagement, réalité et Histoire.

« On a coutume de considérer que le premier texte littéraire maghrébin de langue

française important est de peu antérieur aux débuts de la Guerre d'Algérie, qui a plus ou moins marqué aussi la plupart des lecteurs qui se tournent vers cette littérature. Ce texte est Le Fils du Pauvre (1950) de Mouloud Feraoun, autobiographie au déguisement

11 Albert Memmi, Portrait du colonisé, publié en mai 1957 chez Buchet/Chastel.

2 Jean DEJEUX : La situation de la littérature maghrébine d’expression française, approche historique et critique. Bibliographie méthodologique des œuvres maghrébines de fiction de 1920 à 1978 (OPU) 1982.

volontairement transparent d'un instituteur issu de la paysannerie kabyle pauvre, et "civilisé" en quelque sorte par l'Ecole française dont il deviendra un des plus fervents défenseurs. »1

Mouloud Feraoun a marqué aussi sa periode en tant qu’un écrivain de premier ordre et a été considéré aussi comme un pionnier de cette littérature autochtone d’expression française ; « Mouloud Feraoun est considéré comme l’un des plus grands écrivains de la

première génération de la littérature algérienne en Français, mieux connue sous l’appellation "génération 53". Cette littérature, dont le père fondateur n’est autre que Jean Amrouche, commence à susciter un intérêt particulièrement vif outre-mer. Kateb Yacine, Mouloud Mammeri et Mouloud Feraoun lui-même seront récompensés chacun à leur tour pour leurs œuvres. Mouloud Feraoun explique cet engouement par l’importance que prennent ces écrivains aux yeux des Français. Ce sont avant tout des témoins de leur temps, et de leur société, mais avec une vision endogène. »2

Il a été le témoin de son époque, de son village, de son pays ainsi que de son peuple.

Les écritures commencent à se diversifier après s’être libérées de la bourgeoisie et son idéologie au début du XIX siècle, on découvre alors ce que les critiques à l’instar de Barthes appellent « l’écriture neutre », une écriture libérée de toute servitude…

Dans cette perspective, R. Barthes signale encore : « (…) si l’écriture est vraiment neutre

(…), la problématique humaine est découverte et livrée sans couleur, l’écrivain est sans retour un honnête homme »3.

C’est ainsi que Mouloud Feraoun nous relate une situation simple de la vie Kabyle et réaliste dans un style très soigné et accessible !

L’écriture est donc pour lui est le véhicule de voix intérieures ; il fait surgir dans son écriture le sens en exposant des images de l’espace et de la condition humaines Kabyles pendant la période coloniale.

1 Charles BONN, Naget KHADDA & Abdallah MDARHRI-ALAOUI, introduction, écrite en 1992, de « La littérature maghrébine de langue française », Ouvrage collectif, Paris, EDICEF-AUPELF, 1996.

2 Ali Chibani, « La Littérature algérienne », article paru dans La Revue française, troisième trimestre 1957, Paris

Il incite à la lecture de la structure profonde de la langue, et sans complaisance ; « s’il nait

un individu chétif, il ne peut supporter le régime.il est vite éliminé. S’il nait un individu robuste, il vit, il résiste.il peut être chétif par la suite.il s’adapte. C’est l’essentiel »1.

Le sujet énonciateur, n’est pas absent, au contraire ce serait plutôt le fruit d’un rapport constant de la subjectivité de l’auteur à un fond commun. Mouloud Feraoun apporte un témoignage bouleversant sur la période de la guerre et d’une déshumanisation absolue.

III- Naissance d’une prise de conscience ou l’échec de l’école