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CORPS DE LA FEMME DANS UNE SOCIÉTÉ PATRIARCALE

NAISSANCE DU CORPS-SUJET

La conception musulmane de la sexualité envisage la sexualité humaine du point de vue masculin, en ignorant, voire en négligeant, la libido féminine. Plusieurs chercheurs soulignent l’inégalité des statuts des partenaires dans la relation, y compris dans la sphère sexuelle, en accentuant que l’infériorité de la femme en-traîne l’impératif de sa soumission et de sa passivité. Lorsqu’il analyse les méca-nismes de la domination au cœur de la communauté kabyle, Bourdieu (1998a : 20) propose des couples de caractéristiques antagonistes définissant le masculin et le féminin qui s’inscrivent dans un système d’oppositions homologues ou bi-naires. Du côté de la femme, il énumère entre autres : « humide, plein, fermé, dedans, dessous, nature cultivée, dominé », etc. (Bourdieu, 1998a : 24). Les ad-jectifs « humide » et « plein » renvoient à la fécondité de la femme, « fermé » et

« dedans » se réfèrent à l’endroit qui lui est attribué, à savoir la maison. À leur tour, les mots « nature cultivée », « dessous » et « dominé » se réfèrent à la place de la femme dans l’acte sexuel et sous-entendent sa passivité et sa faiblesse par rapport à l’homme dominant. Tous les adjectifs évoqués contribuent à la créa-tion de l’image de la femme soumise au rôle social de l’épouse et de la mère dont les fonctions se résument à : satisfaire les besoins sexuels de l’homme, engendrer la progéniture et l’élever. Cette vision ne prend pas en considération la sexuali-té féminine qui reste soit ignorée, soit entièrement subordonnée à la fonction procréatrice.

Au dire de Bourdieu (1998a : 37) :

Si le rapport sexuel apparaît comme un rapport social de domination, c’est qu’il construit à travers le principe de division fondamental entre le masculin, actif, et le féminin, passif, et que ce principe crée, organise, exprime et dirige le désir, le désir masculin comme désir de possession, comme domination érotisée, et le désir féminin comme désir de la domination

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masculine, comme subordination érotisée, ou même, à la limite, reconnaissance érotisée de la domination.

En d’autres termes, la femme ne désire qu’être dominée lors de la relation sexuelle avec l’homme. En ce sens, la conception de Bourdieu rejoint celle de Michel Bozon (1999 : 8) qui considère que « l’ordre des corps dans la sexualité est forcément en analogie avec l’ordre social et l’ordre cosmique ».

Dans La femme dans l’inconscient musulman, Fatima Mernissi analyse les figures féminines qui apparaissent à la lecture des textes religieux musulmans et de la littérature érotique27. La première approche que l’on retrouve dans le discours religieux présente la femme comme un être complètement soumis à l’homme pour qui elle doit être un « champ de labour ». La passivité de la femme devient

« l’idéal de la société musulmane, […] le fondement et la clef de voûte du champ domestique » (Aït Sabbah, 2010 : 167). Cette « sur-sexualisation » de la femme (Aït Sabbah, 2010 : 142), l’impératif d’une disponibilité constante pour satisfaire les instincts de l’homme élimine entièrement la question de la sexualité de la femme et de ses besoins. Par conséquent, la femme se voit réduite au rôle d’un simple objet sexuel.

La seconde approche, celle dans le discours érotique médiéval, est radicale-ment différente. Elle fait ressortir une femme omnisexuelle28, pleine de passions incontrôlables, dont le seul objectif est de réussir à se procurer la satisfaction sexuelle. Cette vision résulte d’un mélange des idées tirées des Milles et Une Nuits et des pratiques exotiques des femmes esclaves, venues à l’Empire ottoman de toutes parts du monde. Ce discours est né du besoin de répondre à la question :

« comment faire l’amour quand on est musulman ? » (Aït Sabbah, 2010 : 49).

Cette question a inspiré beaucoup d’ouvrages dans ce domaine, dont les plus importants restent La prairie parfumée où s’ébattent les plaisirs du cheikh Sidi Mohammed Nefzaoui (considéré comme kamasutra arabe) et Comment le vieil-lard retrouvera sa jeunesse par la puissance sexuelle d’Ibn Kamal Pacha (XVIe siècle).

La femme, son corps, ses désirs, caprices et secrets constituent le sujet obsessif de ces œuvres, écrites par et pour les hommes. La femme y est dépourvue de la dimension psychologique et réduite à son physique et, plus précisément, à son vagin. De même, l’homme n’y compte que dans sa dimension sexuelle : son objec-tif est de satisfaire les pulsions féminines qui s’avèrent énormes et difficiles, sinon impossibles à assouvir. Pour cela, le lecteur obtient tout un éventail de conseils

27 La problématique abordée ici a déjà été l’objet de nos considérations (voir : Cebula, 2015 : 23–24).

28 À cette vision de la femme omnisexuelle, dangereuse par ses pulsions incontrôlables, s’ajoute tout un éventail de fantasmes masculins concentrés sur les parties génitales féminines. Malek Chebel (2003 : 108–115) en énumère cinq : « la ghoûla » − la Mère phallique dont le sein nourricier devient un pénis ; « la pastèque fen-due » renvoyant à l’image d’un récipient vide ; « le hérisson » − image utilisée pour désigner une zone pubienne poilue ; « le sexe-océan » – notion utilisée pour désigner un « sexe aussi large qu’une mer » ; et « le vagin denté » qui renvoie à la crainte de castration, représentation de la féminité présente dans plusieurs cultures.

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comment lui procurer du plaisir. Ce qui paraît le plus important, c’est l’attri-but sexuel, c’est-à-dire un énorme phallus, et ce n’est que ce critère qui compte réellement. Étant donné que l’appétit sexuel de la femme est inassouvi, un seul homme ne peut pas le satisfaire, et ainsi la loi fondamentale de l’islam, à savoir la polygynie, est violée : ici, c’est la femme qui a plusieurs partenaires sexuels.

Cette approche constitue un renversement total de l’ordre établi par l’islam qui propage l’hétérosexualité, la fidélité et l’abstinence. Aussi l’image de l’homme est-elle renversée comme dans un miroir déformant : il est passif, incertain de sa virilité, terrorisé par l’angoisse de castration. La vision proposée par le discours érotique est une vision purement masculine d’un monde régi par les pulsions sexuelles, dans lequel l’homme et la femme sont présentés d’une manière com-plètement déformée, privés de tous les aspects psychiques ou sociaux, réduits à l’état d’un vagin et d’un phallus, pendant que leur humanisme est supprimé (Aït  abbah, 2010 : 49–126).

Ces visions contradictoires de la sexualité sont également soulevées dans un ouvrage postérieur intitulé Sexe, idéologie, islam. Mernissi y étudie deux théo-ries de la sexualité, propres à l’aire arabomusulmane, qui divergent dans leur approche à la féminité. La première est proche de ce que l’on voit dans le dis-cours religieux, à savoir du modèle de la femme passive, retirée, soumise, étant la proie de l’homme-chasseur, ne voulant qu’être conquise, maîtrisée, assujettie (Mernissi, 1983 : 12). Cette vision, que la sociologue appelle « explicite », do-mine dans l’imaginaire collectif. Mernissi lui oppose la conception « implicite », prônée notamment par l’Imam Ghazali, qui présente la femme comme active et met l’accent sur sa ruse et son pouvoir qaid, c’est-à-dire l’aptitude à tromper et à vaincre (Mernissi, 1983 : 14). Le prototype de cette femme fatale serait Zouleikha, personnage biblique29 et coranique, la femme d’un fonctionnaire égyptien Poti-phar. Elle est tombée amoureuse d’un employé de son mari, Joseph, et a essayé de le séduire. Quand celui-ci a rejeté ses avances, elle l’a calomnié en l’accusant d’une tentative de viol. Ainsi est-elle devenue l’incarnation d’une femme « tenta-trice, intrigante, fallacieuse et menteuse » (Bouhdiba, 1982 : 37). Monia Lachheb (2012 : 178) partage cette conception de la dualité de l’image de la femme qui est, d’un côté, angélique en conséquence de la sacralisation de son corps et, d’un autre côté, maléfique, car « porteuse du mal et responsable de la dérive des hommes impuissants face à la vue de ses formes corporelles ».

Les deux approches, l’une désignant la femme inerte, dépourvue de tout pou-voir ou toute volonté, et l’autre lui attribuant des poupou-voirs périlleux, restent en contradiction qui trahit la crainte devant la potentialité de la femme, l’appré-hension de son influence sur l’homme, ce qui explique la volonté d’enfreindre

29 Dans la tradition biblique, la femme de Potiphar est sans nom.

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sa force obscure, de l’étouffer dans l’œuf, notamment en occultant son corps par la claustration, le voilement, et en le réifiant de différentes manières. Mernissi (Fatna Aït Sabbah) admet que la femme réelle ne pourrait pas se retrouver dans cette image de la féminité (Aït Sabbah, 2010 : 46). Nous voulons alors examiner les représentations du corps de la femme sous cet angle en mettant l’accent sur la passivité/activité féminine dans le rapport à la sphère sexuelle. Dans cette pers-pective, nous devons remarquer que l’œuvre de Leïla Marouane est très riche et procure du matériel diversifié. Nous y observons notamment une gradation dans l’approche à la sexualité et dans la description de la sexualité féminine pro-gressant d’un roman à l’autre. Nous voudrions cependant souligner qu’un roman, Ravisseur, passe la question de la sexualité féminine sous silence. Ce manque peut s’expliquer par le sujet traité, à savoir le viol lors de la décennie noire. Dans ce cas, la sexualité implique la souffrance et l’avilissement de la femme dont nous avons parlé dans le chapitre portant sur le corps-objet.

Dans La Fille de la Casbah, Marouane met en scène une protagoniste pour qui le rapport sexuel avec un homme riche et haut placé sera le moyen de s’élever dans l’échelle sociale. Hadda aspire à la modernité, cependant elle a profondé-ment intériorisé la vision traditionnelle de la sexualité féminine qu’elle considère comme un devoir de la femme. Certes, elle initie cette relation, mais ne le fait que dans le but de séduire Nassib et se faire épouser. Elle ne va pas à sa maison luxueuse pour goûter aux plaisirs de la chair, mais pour lui faire une « offrande » (FC, 61) de son corps, comme si son corps était un objet à offrir. La protagoniste poursuit ainsi le récit de leur rendez-vous galant :

Enfoncé dans le canapé en cuir, un verre de whisky à la main, Nassib souriait. […] À ma vue, il émit un long sifflement, le sifflement des dragueurs de la ville. […] Sans lever les yeux de la tasse, je remuai le café, doucement, avec grâce. C’est alors que le peignoir s’entrouvrit sur ma poitrine. Je ne me rajustai pas. À dessein. Le regard de Nassib glissa sur moi […] Il m’observait maintenant avec une curiosité de zoologiste (FC, 63–64).

Tout d’abord, il convient de souligner le comportement de Nassib : il est à l’aise, allongé confortablement sur le canapé, il regarde et juge la femme en face de lui. Il exprime son admiration ou contentement par un sifflement qui n’est pas, à vrai dire, la façon la plus polie de montrer que quelqu’un nous plaît. À son tour, Hadda baisse les yeux devant l’homme qui l’observe avec insistance, elle n’ose pas le regarder en face. Cela peut s’expliquer par le fait qu’« être mu-sulman est contrôler son regard » (Bouhdiba, 1982 : 51), puisque la transgression commence dans le regard, d’où la notion de « zîna de l’œil », c’est-à-dire péché du regard ou regard illicite (Bouhdiba, 1982 : 53).

Ce jeu des regards s’avère crucial dans l’établissement du rapport de force.

Dans L’être et le néant, Jean-Paul Sartre (1979 : 322) attire l’attention sur le pouvoir

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contraignant du regard d’autrui : « cette présence originelle ne peut avoir de sens que comme être regardé ou comme être regardant, c’est-à-dire selon qu’autrui est pour moi objet ou moi-même objet pour autrui ». Il va plus loin en généralisant son propos et constate que l’homme blanc se trouve dans une position privilé-giée en tant que celui qui regarde sans être à son tour regardé (Sartre, 2015 : IX).

Ce rapport de domination provoqué par le regard peut être transposé à la re-lation homme–femme. Marta Segarra (2010 : 86) partage cette interprétation en constatant que « [l]’“exclusivité scopique” des hommes est une manifestation [du] désir de domination masculine ». C’est notamment le cas ici, étant donné que tout le comportement de Nassib envers Hadda relève de la chosification : le sourire moqueur, le sifflement, la scrutation que la protagoniste compare à l’indiscrétion d’un « zoologiste » regardant une espèce animale curieuse. Ainsi, cette première rencontre intime témoigne que l’homme domine, pendant que la femme reste passive et « se laisse faire ».

La protagoniste ne relate pas le déroulement de son premier acte sexuel ni des suivants. La seule description est une annonce de ce qui l’attend chez son amant :

[…] comme tous les samedis, parfumée et poudrée, je rejoindrais mon amant. Évitant ses dents saillantes, les yeux clos, troublée par l’alcool, je me laisserais effeuiller, j’irais d’un oreiller à l’autre (pourvu que cela fût bref). Puis je tanguerais entre la chambre et la salle de bain, me laverais à l’eau vinaigrée […] (FC, 123).

Cette description n’a rien de romantique ou d’excitant, le verbe «  éviter  » suggère même qu’il s’agit de quelque chose de déplaisant. Le fait de fermer les yeux, ainsi que l’état d’ébriété dans lequel elle se met avant l’acte sexuelle sous-entendent qu’elle ne veut ni voir ni savoir ce qui se passe avec son corps, elle ne veut pas en avoir conscience. Aussi la construction « se laisser (faire) » signifie-t-elle que Hadda subit plus qu’elle n’agit, ce qui est preuve de sa passivité.

Cette image est complétée par l’intercalation « pourvu que cela fût bref » : elle peut simuler, faire semblant, mais la condition en est la brièveté du rapport. Tout cela laisse entendre que la protagoniste n’éprouve point de plaisir dans le contact intime avec son amant.

En passant, nous voulons nous arrêter sur le fait que Hadda se lave après l’ac-couplement, dont la cause est double. Premièrement, en islam, chaque activité sexuelle provoque une impureté majeure (janâba) et requiert la purification ma-jeure (ghusl) qui, à la différence de la purification mineure (udhû), concerne le corps entier (Bouhdiba, 1982 : 61–62). En d’autres termes, malgré la conscience du péché commis, Hadda poursuit les prescriptions religieuses qui lui dictent le comportement. Deuxièmement, le bain « à l’eau vinaigrée » auquel recourt la

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protagoniste constitue un moyen contraceptif dont la prescription ancestrale est transmise de génération en génération.

Bref, dans ce roman, la protagoniste entretient une relation sexuelle qui ne lui donne aucune satisfaction sur le plan physique. C’est le cas de ce qu’ Isabelle Charpentier (2012a : 68) appelle les « stratégies matrimoniales », à savoir les rapports sexuels préconjugaux dont le but est de convaincre l’homme au mariage.

Cependant, cette «  tactique peut s’avérer contre-productive  » (Charpentier, 2012a : 69), comme pour Hadda qui perd son capital symbolique sans atteindre le but et son sacrifice se révèle vain. Nous voyons donc que le premier roman marouanien présente le rapport sexuel comme une relation inégalitaire dont seul l’homme profite en y prenant plaisir, pendant que la question du plaisir de la femme est complètement négligée. Autrement dit, la sexualité reste une obliga-tion de la femme face à l’homme et le moyen de satisfaire les besoins sexuels masculins.

Quant au Châtiment des hypocrites, il présente divers aspects de la sexualité : le viol, la prostitution, la passion dans la première phase de la vie du couple et l’ex-tinction du désir après quelques années du mariage. Nous ne nous concentrerons maintenant que sur le plaisir féminin, la problématique du viol et de la violence conjugale ayant déjà été abordée.

Après l’enlèvement et l’emprisonnement dans un camp des islamistes, la pro-tagoniste se tourne vers la prostitution : « racoleuse occasionnelle, s’envoyant en l’air avec des inconnus qui, aussitôt le coït achevé, la révulsaient » (CH, 51). La conviction communément partagée que la prostitution résulte d’un grand ap-pétit sexuel de la femme (Aït Sabbah, 2010 : 83) semble s’appliquer dans ce cas.

Fatima ne choisit pas cette voie à cause de sa situation économique (elle occupait un poste de sage-femme), mais de la volonté d’assouvir ses désirs. Ce besoin est tellement fort qu’elle risque sa peau en quête de nouvelles excitations :

Il faut dire aussi qu’elle se découvrait une foultitude de fantasmes, Mlle Kosra. Différents les uns des autres, elle ne les comptait plus, gloutonne, les excès ne la gavaient pas. Es-capade après esEs-capade, son imagination s’enflammait à la recherche de sensations plus abstruses les unes que les autres (CH, 29).

Comme un toxicomane qui doit augmenter la dose de stupéfiant qu’il s’in-jecte, Fatima est de plus en plus avide dans sa quête et se tourne vers la perver-sion. Le sexe avec des hommes inconnus, rencontrés par hasard, lui procure ces sensations obscures tant recherchées et lui permet de réaliser les fantasmes qui bravent toutes les bienséances. Ainsi, après toutes les expériences traumatisantes qu’elle a presque payées de son sang, la protagoniste utilise la prostitution comme un moyen de sentir qu’elle est en vie.

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En ce qui concerne la présentation du plaisir féminin, elle est très prudente et relève plutôt de la suggestion que d’une description directe et détaillée. Lors de la rencontre accidentelle avec Rachid, son ami d’enfance, Fatima éprouve une telle ardeur qu’elle atteint l’orgasme seulement en regardant le cou de son bien-ai-mé : « Son regard se posa alors sur les yeux bleu marine, puis se déplaça sur le cou pâle, lisse, fragile et robuste à la fois, et s’y accrocha. L’instant d’après, de délicieuses contractions lui secouaient les reins, humidifiant agréablement son entrejambe » (CH, 49). Cette description est très sensuelle, suggestive, formée plus de sous-entendus que d’énoncés explicites, il n’y a point d’obscénité ni d’iné-légance. Le même procédé est utilisé un peu plus loin :

[…] son regard accrocha la nuque blanche et lisse. Et de nouveau, la courbure qui la fra-gilisait lui procura de délicieuses contractions. Mais pourquoi les prescripteurs des Lois n’avaient-ils pas contraint ces fils d’Adam à se voiler ? Pourquoi ne protégeait-on pas les filles de la fragile Ève de la luxure ? (CH, 64).

Les organes génitaux ne sont pas explicitement évoqués, cependant le recours aux mots « reins » ou « entrejambe » ne laissent pas de doute qu’il s’agit de cette partie de l’anatomie. La métaphore de la « courbure qui fragilise », qui rend vul-nérable et qui constitue donc son point sensible, de même que les « délicieuses contractions » pour désigner les sensations qu’entraîne l’orgasme, constituent un procédé stylistique efficace pour poétiser et sublimiser le récit.

La deuxième partie de l’extrait cité ci-dessus se réfère à la question du dé-sir suscité par l’homme chez la femme. Comme nous l’avons remarqué dans le chapitre consacré au corps voilé, les propos de Fatima renversent la dialectique des islamistes qui imposent aux femmes le foulard sous prétexte des passions qu’elles éveillent et que les hommes n’arrivent pas à maîtriser. Dans le cas de Fatima, « c’est la femme désirante qui voit la beauté de l’homme et le transforme en objet sexuel » (Aït Sabbah, 2010 : 75). Pourtant, le recours au raisonnement typique des fondamentalistes religieux a pour but de transférer la responsabilité sur celui qui suscite le désir. En outre la question « Pourquoi ne protégeait-on pas les filles de la fragile Ève de la luxure ? » n’est qu’un tour oratoire grâce auquel la pécheresse ayant succombé, à son corps défendant, au charme de l’homme est déculpabilisée.

La situation est complètement différente dans l’une des dernières scènes du roman quand la protagoniste, sombrant dans le délire, viole son mari

La situation est complètement différente dans l’une des dernières scènes du roman quand la protagoniste, sombrant dans le délire, viole son mari