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Nafissatou Diallo : statut dans l‘affaire du Sofitel (victime ou manipulatrice) dans

Évènement Quotidien Victime

potentielle Manipulatrice potentielle manipulatrice Victime ou Total Arrestation de Strauss- Kahn à New York Libération (25) 3 - 1 4 Le Monde (32) 2 - 3 5 Le Figaro (34) 5 3 1 9 Total – FR (91) 10 3 5 18 NYP (10) 2 - - 2 NYT (8) 1 - - 1 WP (5) - - - - WSJ (12) 3 - - 3 Total – É.-U. (35) 6 - - 6 Total (126) 16 3 5 24 Audience du

1er juillet Libération (14) Le Monde (21) 3 1 2 4 3 5 10 8

Le Figaro (22) 3 2 5 10 Total – FR (57) 7 8 13 28 NYP (7) - 3 2 5 NYT (9) 2 1 3 6 WP (9) 1 1 3 5 WSJ (7) - 2 1 3 Total – É.-U. (32) 3 7 9 19 Total (89) 10 15 22 47 Dépôt de la plainte de Banon Libération (6) - - 3 3 Le Monde (8) 1 - 3 4 Le Figaro (13) 3 1 3 7 Total – FR (27) 4 1 9 14 NYP (8) - 2 - 2 NYT (5) - - 3 3 WP (3) - 1 - 1 WSJ (4) - - 2 2 Total – É.-U. (20) - 3 5 8 Total (47) 4 4 14 22 Abandon des chefs d’accusation au pénal (Sofitel) Libération (6) 3 1 - 4 Le Monde (5) 2 1 - 3 Le Figaro (9) - 1 1 2 Total – FR (20) 5 3 1 9 NYP (3) - 2 1 3 NYT (4) 3 1 - 4 WP (1) - - - - WSJ (2) 1 - - 1 Total – É.-U. (10) 4 3 1 8 Total (30) 9 6 2 17

Grille 8 – Nafissatou Diallo : statut dans l’affaire du Sofitel (victime ou manipulatrice) dans les articles descriptifs (suite et fin)

Évènement Quotidien Victime

potentielle Manipulatrice potentielle manipulatrice Victime ou Total Entrevue télévisée de Strauss- Kahn Libération (3) 1 - - 1 Le Monde (3) 1 - - 1 Le Figaro (6) - 1 2 3 Total - FR (12) 2 1 2 5 NYP (1) - 1 - 1 NYT (1) - 1 - 1 WP (1) - 1 - 1 WSJ (1) - - - - Total – É.-U. (4) - 3 - 3 Total (16) 2 4 2 8 Tous les évènements en 2011- 2012 Libération (57) 10 3 7 20 Le Monde (71) 7 5 11 23 Le Figaro (89) 11 8 12 31 Total – FR (217) 28 16 30 74 NYP (31) 2 8 3 13 NYT (29) 6 3 6 15 WP (21) 1 3 3 7 WSJ (27) 4 2 3 9 Total – É.-U. (108) 13 16 15 44 Total (325) 41 32 45 118

4.2 Au-delà du cas de Diallo, les victimes de violence sexuelle

Dans les textes d‘opinion, le traitement accordé à Diallo est un sujet d‘intérêt, en France

comme aux États-Unis. Au chapitre précédent, quelques éléments ont déjà été soulevés61.

Dans cette section, c‘est le changement du statut de Diallo après l‘audience du 1er juillet qui

sera examiné. Comme l‘illustre la Figure 3 (p. 107), on tire alors des conclusions sur le cas de Diallo en particulier et sur les victimes de violence sexuelle en général.

Plusieurs s‘inquiètent des conséquences du changement de statut de Diallo. On fait valoir trois éléments principaux. Premièrement, on insiste sur le fait qu‘on peut ne pas avoir le profil de la « bonne » victime et avoir tout de même été agressée :

Car vous pouvez avoir menti pour entrer dans un pays, comme cela semble avoir été le cas de Nafissatou Diallo, et avoir réellement subi une agression. Car vous pouvez entretenir des relations avec des délinquants, comme cela semble être le cas de Nafissatou Diallo, et être bien la victime d un viol. Car vous pouvez même avoir cherché à profiter financièrement d‘une odieuse agression – c‘est ce que laisserait penser un appel téléphonique passé au lendemain des faits – et avoir réellement subi cette agression. […] Juger sans parti pris, c‘est savoir que toutes les victimes ne sont pas nécessairement des saintes, et que même un délinquant doit pouvoir être reconnu comme victime. Oui, une prostituée peut avoir été violée... (Durpaire, 2011 : 23)

On compare la situation de Diallo à celle d‘une prostituée qui dénonce une agression sexuelle, en raison des problèmes de crédibilité que ces dernières rencontrent souvent. Deuxièmement, on cherche à « ancrer Nafissatou Diallo dans son univers social, ethnique et culturel » (Huret, 2011), c‘est-à-dire que l‘on tente de situer la position sociale de Diallo afin de mettre en contexte ses problèmes de crédibilité. Par exemple, on indique que les personnes qui désirent obtenir l‘asile politique doivent souvent mentir ou « embellir » leur histoire pour être admises aux États-Unis :

61 Dans les quotidiens français et américains, on a critiqué le fait qu‘une grande partie de l‘élite française ait exprimé une solidarité envers Strauss-Kahn sans tenir compte du sort de Diallo. On a aussi critiqué la mise en doute systématique de sa parole (par le recours à la théorie du complot, notamment) et les commentaires effectués sur son apparence physique. Aux États-Unis, on s‘est félicité d‘avoir accordé du crédit à la parole d‘une employée domestique qui a dénoncé les gestes d‘un homme politique puissant.

[…] asylum claimants are often asked to perform an impossible task. They must prove they have been subject to the most crushing forms of oppression and violence – for this, bodies bearing the scars of past torture are a boon – while demonstrating their potential to become hard-working and well-adjusted citizens. This is where the lies and embellishments creep into some asylum seekers' narratives. (Mc Govern, 2011 : A21)

En plus de rappeler le rapport « souvent tendu et conflictuel » entre les immigrants et les autorités américaines, l‘historien Romain Huret soutient que la condamnation rapide de Diallo dans les médias est une illustration de « la criminalisation des pauvres dans les dispositifs juridiques et sociaux ». Selon l‘analyse de l‘historien, « Diallo est devenue une « reine de l‘assistance » (welfare queen), […] usurpant les droits à bénéficier d‘un logement social réservé aux malades du sida et mentant à l‘administration fiscale en déclarant l‘enfant de son compagnon comme le sien pour bénéficier d‘un crédit d‘impôt ». En outre, les liens de Diallo avec le monde criminel lui ont nui. Pourtant, comme le rappelle Huret, « le Bronx [le quartier de Diallo] est l‘un des quartiers les plus pauvres de New York depuis des décennies. Le développement d‘une économie souterraine est devenu l‘un des seuls moyens de vivre d‘une population appauvrie » (Huret, 2011 : 20). Selon Huret, il faut autant critiquer la propension à idéaliser une victime que la tendance à la diaboliser :

En rêvant d‘une pauvre digne et méritante, les médias américains et français, accompagnés bien souvent par l‘opinion publique, ont conforté leurs propres représentations. La courageuse mère célibataire avait croisé un puissant, roué, cynique et jouisseur. La femme de ménage de l‘hôtel Sofitel est désormais une mauvaise pauvre. Un populisme est en train de chasser l‘autre. […] (Huret, 2011 : 20)

Troisièmement, que Diallo soit réellement une victime ou non, on redoute que le traitement médiatique qui lui a été accordé ait un impact sur toutes les victimes de viol. D‘une part, les victimes pourraient avoir encore davantage de réticences à porter plainte, de peur de ne pas être crues. D‘autre part, on craint que « la parole des femmes violées [devienne] plus suspecte encore qu‘avant [l‘affaire du Sofitel] » (Autain et Pulvar, 2011 : 23).

Bien entendu, tous n‘envisagent pas la question du changement du statut de Diallo de cette manière, en France comme aux États-Unis. Comme nous l‘avons indiqué au chapitre précédent, il apparaît clair pour certains que le procureur a pris la bonne décision en décidant d‘abandonner les chefs d‘accusation contre Strauss-Kahn; il ne s‘agit pas ici de « condamner » Diallo, mais d‘affirmer que le procureur n‘avait pas d‘autre choix vu les

problèmes de crédibilité de l‘employée domestique. En ce sens, on considère que Diallo a peut-être été agressée, mais que la justice ne peut pas trancher la question.

Pour d‘autres, Diallo apparaît comme une « coupable ». Après l‘abandon des chefs d‘accusation contre Strauss-Kahn par le procureur, la juriste Marcela Iacub évoque la « carrière de menteuse » de Diallo (Iacub, citée dans Bourmeau, 2011 : 9). À la suite de l‘accord à l‘amiable entre Strauss-Kahn et Diallo, conclu en décembre 2012, Iacub en rajoute : « Celles qui dénoncent la prostitution devraient se demander si elles ne seraient pas prêtes à laisser leurs principes de côté si on les payait, comme à la spectaculaire Nafissatou Diallo, 6 millions de dollars pour une pipe » (Iacub, 2012b : MAG-19). Pour Iacub, l‘affaire du Sofitel se résume à une « pipe » et à une affaire dont Diallo a su profiter

largement62. Dans le New York Post, on va encore plus loin. On propose en effet que Diallo

soit poursuivie en justice ou chassée des États-Unis en raison de ses nombreux mensonges : « Nafissatou Diallo, the self-proclaimed ―victim‖ in the sordid saga of a hotel maid's false rape claim against former International Monetary Fund head Dominique Strauss-Kahn, needs to be on an airplane back to her native Guinea as soon as the paperwork can be completed » (New York Post [Éditorial], 2011 : 24). Diallo apparaît ici comme un véritable paria.

L‘évolution des évènements constitue aussi une opportunité pour critiquer le trop grand poids accordé par les féministes et par le système de justice à la parole des femmes qui dénoncent un crime sexuel. À titre d‘exemple, Iacub affirme que, pour les féministes, « le seul fait qu‘une femme accuse un homme de viol est un gage de vérité, comme si le mensonge était impossible lorsqu‘il s‘agit de dire à un policier ou un juge : ―Untel m‘a violé.‖ » (Iacub, citée dans Bourmeau, 2011 : 9). Dans le même ordre d‘idées, Alain Dershowitz, un avocat pratiquant aux États-Unis, critique le fait que le système de justice américain considère que les femmes disent toujours la vérité : « Beaucoup de procureurs font désormais comme s‘il y avait un gène de la vérité et un gène du mensonge en fonction de votre sexe. Si vous êtes une femme, vous ne pouvez mentir! » (Dershowitz, cité dans Mandeville, 2011 : 6). Dans cette perspective, le cas de

62

Iacub pousse la provocation jusqu‘à affirmer que les militantes qui luttent contre la prostitution en viendraient assurément à changer de position si on leur offrait une somme d‘argent suffisamment importante.

Diallo devrait nous faire penser à tous ceux qui sont en prison injustement : « le non-lieu de Dominique Strauss-Kahn fait nécessairement penser à tous ceux qui se trouvent en prison à tort pour des crimes ou des délits sexuels qu‘ils n‘ont pas commis du seul fait qu‘une personne, dont la parole a été tenue pour crédible, les a accusés » (Iacub, citée dans Bourmeau, 2011 : 9).

Figure 3 – Changement du statut médiatique de Diallo

Comment le changement de statut de Diallo est-il envisagé dans les textes

d‘opinion?

Pour le cas de Diallo

Malgré les révélations sur son passé et les incongruités dans son récit des évènements du

14 mai 2011, Diallo demeure une victime

potentielle. En raison de ses mensonges, on ne peut

plus considérer Diallo comme une victime dans l‘affaire du Sofitel. C est

une manipulatrice. En plus de ne pas être la victime dans l‘affaire du Sofitel, Diallo mérite

d‘être poursuivie ou déportée pour ses

mensonges.

Pour les victimes de violence sexuelle en

général

Il ne faut pas que le cas de Diallo nuise aux victimes de violence

sexuelle. Il faut rejeter les catégories de « bonnes »

et de « mauvaises » victimes. Il faut s‘interroger sur le trop grand poids accordé à la parole des femmes

qui dénoncent une agression.

4.3 Discussion des observations

Dans les travaux portant sur le traitement médiatique de la violence sexuelle, on a identifié les critères définissant le profil type de la « bonne » victime dans les médias : une femme « blanche », issue d‘un milieu socioéconomique favorisé, vierge ou mariée, ne connaissant pas son agresseur63. On a aussi indiqué que le fait pour la victime d‘être issue du même milieu socioéconomique que l‘agresseur et la présence d‘une arme lors de l‘agression font en sorte qu‘on soupçonne moins la victime de mentir quand elle dénonce l‘agression. Dès le départ, Diallo ne correspond pas à ce profil type de la « bonne » victime : elle est immigrante et « noire »; elle est issue d‘un milieu socioéconomique défavorisé; elle porte plainte contre un homme riche et puissant; aucune arme n‘a été utilisée lors de l‘agression; si elle ne connaît pas personnellement l‘homme qu‘elle dénonce, Strauss-Kahn est un homme célèbre mondialement. Ces éléments ne sont pas utilisés contre elle dans un premier temps. Dans les jours suivant l‘arrestation de Strauss-Kahn, on la dépeint comme une mère de famille qui travaille dur pour élever sa fille unique. Les comportements sexuels de Diallo ne font pas alors l‘objet de critiques ou de suppositions; on insiste au contraire sur le fait qu‘il s‘agit d‘une veuve et qu‘elle est très pieuse. Diallo apparaît ainsi comme l‘archétype de la victime sans défense.

À la suite des révélations sur son passé et des incongruités dans son récit des évènements du 14 mai 2011, Diallo devient toutefois une « mauvaise » victime. À partir de ce moment, on mentionne fréquemment les éléments de sa vie qui, sans être nécessairement liés à l‘affaire du Sofitel, la font paraître comme une personne non crédible : elle est présentée comme une immigrante liée au monde criminel qui a menti pour entrer au pays, qui a menti également pour bénéficier d‘avantages sociaux, qui se livre à la prostitution et qui aurait cherché à tirer profit de sa rencontre avec Strauss-Kahn. Les éléments qui n‘avaient pas été utilisés contre elle auparavant le sont à présent. Le fait de dénoncer les gestes d‘un homme politique puissant, au départ considéré comme un geste courageux de la part d‘une employée domestique, se retourne contre elle; elle apparaît comme une personne malhonnête et comme une manipulatrice.

Bien entendu, il est légitime que la presse tente d‘expliquer pourquoi le procureur et son équipe ont agi comme ils l‘ont fait : après tout, c‘est bien parce que ceux-ci ne jugeaient plus que Diallo pouvait être crue « au-delà d‘un doute raisonnable » que la procédure pénale a été abandonnée. Toutefois, en focalisant sur les éléments « problématiques » de sa vie et sur les incongruités de son récit; en ne rappelant pas les liens existant entre pauvreté, immigration et criminalité; en suggérant la thèse de la prostitution/manipulation; en ne rappelant pas suffisamment qu‘on peut avoir subi une agression même si on n‘a pas le profil de la « bonne » victime, plusieurs journalistes et commentateurs ont placé Diallo sur le banc des accusés. En outre, à la suite de l‘abandon des chefs d‘accusation contre Strauss-Kahn, certains ont conclu à l‘innocence de Strauss-Kahn et à la « culpabilité » de Diallo64. Pour toutes ces raisons, on peut parler d‘une culpabilisation de la victime dans l‘affaire du Sofitel. En outre, comme le soutient Huret, ce n‘est pas seulement la diabolisation de Diallo qu‘il faut dénoncer, mais aussi son idéalisation dans un premier temps. En ce sens, il faudrait trouver un moyen de parler des femmes qui dénoncent des cas de violence sexuelle sans les présenter comme de « bonnes » ou de « mauvaises » victimes. En ce qui concerne les craintes au sujet du trop grand poids accordé à la parole des femmes, on peut rappeler que les fausses accusations sont rares même si elles sont difficiles à

quantifier précisément65. Rappelons aussi que, selon des données américaines, entre 64 %

et 96 % des victimes de crimes sexuels ne dénoncent pas leur agresseur. La raison principale pour expliquer la réticence à porter plainte est la peur de ne pas être crue par les autorités (Lisak et al., 2010 : 1331). Ainsi, si le problème des fausses accusations demeure, il faut toutefois le mettre en perspective et ne pas entretenir le stéréotype que de telles accusations sont très fréquentes.

64 Le procureur et son équipe ont affirmé qu‘il était impossible de prouver le non-consentement de Diallo en dehors de son témoignage. Ils n‘ont pas abandonné pour autant la possibilité que Diallo ait été agressée. 65 Voir la note 31 de la page 28.

4.4 Synthèse du chapitre

Présentée après l‘arrestation de Strauss-Kahn comme une « bonne » victime, Diallo devient une « mauvaise » victime après l‘audience du 1er juillet. À partir de ce moment, les incongruités dans son récit des évènements du 14 mai ne sont pas les seuls éléments qui intéressent la presse; l‘attention médiatique se focalise aussi sur plusieurs éléments de son passé qui n‘ont pas de lien avec l‘affaire du Sofitel. Si plusieurs considèrent toujours Diallo comme une victime potentielle après les révélations sur son passé et la mise en lumière des contradictions dans son récit des évènements du 14 mai, elle apparaît aux yeux de plusieurs comme la « coupable » dans l‘affaire du Sofitel. On peut donc parler d‘une culpabilisation de la victime dans l‘affaire du Sofitel. Même s‘il n‘est pas prouvé que Diallo a menti sur les évènements du 14 mai, son cas devient le symbole de la « fausse accusation » pour certains.

Chapitre 5 – Débat sur la « théorie française de la

séduction » dans le contexte de l’affaire

du Sofitel

Quelques jours après l‘arrestation de Strauss-Kahn à New York, l‘historienne américaine Joan W. Scott critique la « théorie française de la séduction » dans un billet publié sur le site Internet du New York Times. Par la suite, à travers les pages de Libération et du Monde, elle s‘oppose sur la question à la sociologue Irène Théry, à l‘historienne Mona Ozouf, au politologue Philippe Raynaud et à la spécialiste en littérature française Claude Habib66. Notre hypothèse sur le sujet est la suivante : le débat sur la « théorie française de la séduction » renvoie à une opposition sur la nature du féminisme français et il permet d‘éclairer le traitement médiatique des affaires DSK en situant la « théorie française de la séduction » par rapport au féminisme français et à la société française. L‘analyse des textes liés à ce débat a confirmé cette hypothèse. Après avoir présenté le débat sur la « théorie française de la séduction » dans le contexte de l‘affaire du Sofitel, nous tenterons de montrer sur quoi repose l‘opposition théorique entre Scott et ses critiques. Nous expliquerons ensuite en quoi ce débat éclaire le traitement médiatique des affaires DSK. Une synthèse du chapitre sera ensuite effectuée.

5.1 Présentation du débat

L‘élément qui est à l‘origine du débat sur la « théorie française de la séduction » dans le contexte de l‘affaire du Sofitel est un billet publié le 20 mai 2011 sur le site Internet du New York Times, dans un forum de discussion portant sur l‘actualité. Le sujet sur lequel devaient se prononcer les participants est le suivant : « Les Françaises sont-elles plus tolérantes? Le scandale Strauss-Kahn suscite un débat sur l‘attitude de la société française à l‘égard des inconduites sexuelles de la part des hommes puissants » (New York Times, 2011). Dans son billet, intitulé « Feminism? A Foreign Import », Scott prend l‘affaire du Sofitel comme point de départ pour critiquer ce qu‘elle a appelé par la suite « la théorie française de la séduction ». Selon l‘historienne, la culture politique française tolère depuis longtemps les comportements tels que celui de Strauss-Kahn. Scott

66 Mentionnons que Scott a fait paraître en 2012 un livre intitulé The Fantasy of Feminist History dans lequel elle consacre un chapitre à la « French Seduction Theory » (Scott, 2012).

établit un lien entre la tolérance à l‘égard de ces comportements en France et les travaux effectués par Ozouf et Habib. Alors que les médias français accusent souvent les Américains de puritanisme, Scott estime qu‘il sera bien difficile pour eux de le faire dans le cas de l‘affaire du Sofitel, puisque cette affaire repose sur une accusation de viol (Scott, 2011a).

La sociologue française Irène Théry perçoit dans les propos de Scott une attaque contre le féminisme français dans son ensemble. Pour elle, les idées de Scott renvoient à un « procès » qui est mené par « certains courants des études de genre » depuis deux décennies. Selon Théry, ce procès oppose le « féminisme universaliste qui fut longtemps dominant en France », au « différentialisme anglo-saxon ». À son avis, le problème est le suivant :

La nouveauté est que l‘on puisse se saisir de l‘affaire DSK pour tenter de disqualifier moralement une certaine approche de la question des sexes en sciences sociales, son refus du schéma dominants-dominées, son souci d‘inscrire les statuts respectifs des hommes et des femmes dans la complexité du tissu social, son ambition aussi d‘inscrire les relations sexuées au sein d‘une vaste histoire des processus démocratiques, sans confondre enjeux de mœurs et enjeux de droit. (Théry, 2011b : 16)

Théry conclut en affirmant que « le féminisme à la française est toujours vivant ». Selon elle, ce féminisme « est fait d'une certaine façon de vivre et pas seulement de penser, qui refuse les impasses du politiquement correct, veut les droits égaux des sexes et les plaisirs asymétriques de la séduction, le respect absolu du consentement et la surprise délicieuse