Les enjeux liés aux comportements sexuels des figures publiques

À partir de la recension des écrits réalisée précédemment, il est possible d‘effectuer une synthèse des différents enjeux liés aux comportements sexuels des figures publiques. De manière globale, on peut associer ces comportements à un enjeu social, moral, personnel, professionnel ou judiciaire. Le fait de lier les comportements sexuels des figures publiques à l‘un ou l‘autre de ces enjeux a un impact sur leur catégorisation sur l‘axe privé/public. D‘un point de vue féministe, les comportements sexuels des figures publiques ne peuvent pas être associés à la vie privée quand il est question de violence sexuelle. En effet, les féministes considèrent la violence sexuelle comme un problème social et le fait de l‘associer à la sphère privée constitue une non-reconnaissance de ce problème. Dans cette perspective, quand on s‘intéresse à des affaires impliquant des allégations de violence sexuelle, on dénonce la tolérance à l‘égard de la violence sexuelle ou sa banalisation (« la violence sexuelle, ce n‘est pas grave »), la négation du caractère social de la violence sexuelle (« la violence sexuelle découle d‘un problème individuel ») ou la négation complète de ce phénomène (« la violence sexuelle n‘existe pas »). Divers stéréotypes liés à la violence sexuelle peuvent aussi être critiqués. Si les féministes adoptent habituellement ce point de vue, des personnes qui ne se réclament pas ouvertement du féminisme, mais qui prennent au sérieux le problème de la violence sexuelle peuvent également envisager les choses de cette manière.

Quand les comportements sexuels relèvent de l‘infidélité ou du libertinage, l‘enjeu qui se pose est avant tout moral. La question soulevée est la suivante : les figures publiques devraient-elles être monogames ou fidèles à leur partenaire? Les avis sont partagés à ce sujet. Certains sont d‘avis que les élus devraient faire preuve d‘exemplarité sur le plan moral. En ce sens, un élu infidèle ne devrait pas mériter la confiance de la population; un élu qui serait libertin glisserait dans la débauche et ne serait pas digne des fonctions qu‘il occupe. Ainsi, il faudrait dénoncer publiquement les comportements s‘écartant de la morale sexuelle traditionnelle. À l‘opposé, beaucoup sont d‘avis que le libertinage ou l‘infidélité n‘ont rien à voir avec la vie publique. En ce sens, il faut rejeter l‘idée selon laquelle les personnes nous gouvernant devraient incarner des modèles de vertu. En d‘autres termes, il faut rejeter le puritanisme. Quand les comportements sexuels des figures publiques sont

envisagés sous l‘angle de l‘enjeu moral, ils peuvent donc être associés au public s‘ils sont rejetés (condamnation morale de l‘infidélité ou du libertinage) ou au privé s‘ils sont acceptés (rejet du puritanisme).

L‘angle du problème personnel est parfois utilisé pour aborder les comportements sexuels des figures publiques. Dans cette perspective, on met l‘accent sur une pathologie, une psychologie particulière ou une faille momentanée. Lorsque les comportements sexuels des élus sont considérés sous l‘angle du problème personnel, ils peuvent être associés au public dans les cas de violence sexuelle (ex. : « cet homme a une maladie qui le pousse à commettre des actes qu‘il faut dénoncer ») ou au privé s‘ils relèvent de la sexualité consentie (ex. : « cet homme a certes un appétit sexuel démesuré, mais il ne fait rien de mal »).

Les comportements sexuels des figures publiques sont parfois considérés comme un enjeu sur le plan professionnel. Dans cette perspective, on s‘inquiète des possibilités de chantage ou de l‘impact possible sur le travail. Dans certains cas, on peut aussi craindre des conséquences pour la sécurité nationale du pays. Selon ce point de vue, il faudrait lever le voile sur les comportements sexuels quand il y a une possibilité d‘interférence entre la vie privée et la vie publique. Ici, ce n‘est pas nécessairement la nature des comportements sexuels (sexualité consentie ou violence sexuelle) qui pose problème, mais l‘impact de ces comportements sur la vie professionnelle ou sur l‘échiquier politique.

Enfin, les affaires de nature sexuelle peuvent aussi constituer des affaires de nature judiciaire. En effet, les différentes formes de violence sexuelle sont encadrées par le droit; selon le type de violence et le pays, elles sont considérées comme des crimes, des délits ou

comme une forme de discrimination sexuelle34. Ainsi, elles peuvent conduire à des

poursuites au pénal et au civil. Dans certains cas, des comportements relevant de la sexualité consentie peuvent aussi conduire à des poursuites (ex. : de l‘argent public a été utilisé afin de dissimuler une relation extraconjugale). Les comportements sexuels ne sont pas alors visés directement par la poursuite. Quand on s‘intéresse aux affaires de nature

34

Pour un exemple de violence sexuelle considérée sur le plan légal comme une forme de discrimination sexuelle, voir la note 22 de la page 23.

sexuelle en tant qu‘affaires judiciaires, on analyse différents éléments liés à la justice : définition légale des gestes commis, traitement des plaintes, décisions judiciaires, etc. En somme, si les comportements sont considérés comme un cas de violence sexuelle, ils peuvent être envisagés sous l‘angle d‘un enjeu social, personnel, professionnel ou judiciaire. Si les évènements sont considérés comme de la sexualité consentie, ils peuvent être abordés sous l‘angle d‘un enjeu moral (dans l‘une ou l‘autre de ses variantes), personnel, professionnel ou judiciaire. La Figure 1 placée à la page suivante illustre ces idées. Mentionnons aussi qu‘on peut soulever plus d‘un enjeu à la fois : par exemple, on peut considérer un cas de violence sexuelle sous l‘angle d‘un enjeu social et judiciaire.

Figure 1 – Enjeux liés aux comportements sexuels des figures publiques

Comment les comportements sexuels des figures

publiques sont-ils considérés? Quel enjeu soulèvent-ils? Les comportements relèvent de la sexualité consentie (libertinage, infidélité, séduction). Les comportements sexuels sont liés à l'exemplarité morale

(enjeu moral).

Ces comportments ne sont pas compatibles avec la vie publique. (condamnation

morale de l'infidélité ou du libertinage).

Ces comportements relèvent d'un choix privé et personnel. Ils n‘ont rien à voir avec

la vie publique (critique du

puritanisme).

Ces comportements révèlent une faille sur le plan personnel, une dépendance ou une pathologie (problème

personnel ).

Ces comportements ne sont pas illégaux (enjeu de nature judiciaire). Les comportements relèvent de la de violence sexuelle. Ces comportements relèvent d'un problème social. Il faut dénoncer la tolérance sociale face à la violence sexuelle, la mauvaise compréhension de ce problème ou la non- reconnaissance de ce problème. Ces comportements révèlent une faille sur le plan personnel, une dépendance ou une pathologie (problème

personnel).

Ces comportements sont illégaux (enjeu

de nature judiciaire). La nature des comportements sexuels (sexualité consentie ou violence sexuelle) ne constitue pas le coeur du problème. Ces comportements pourraient avoir un impact sur le travail ou

sur l'échiquier politique (enjeu

professionnel). Légende :

Fond en gris :

Les comportements sexuels ne font pas partie de la sphère privée.

Bordures en pointillé : Les comportements sexuels font partie de la sphère privée.