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Les trois négociations nationales interprofessionnelles ont abouti à matérialiser certains aspects de la sécurisation des parcours professionnels. Le 24 décembre, la CFDT commente

le terme des négociations sur l’assurance-chômage par ces mots : « Une avancée, une réserve

et deux regrets ». Certes, la CFDT souligne l’acceptation du principe « un jour travaillé

entraîne un jour d’indemnisation » qui devrait augmenter le nombre des ayants-droits à une

indemnisation tout en regrettant que ce nombre reste limité. A peine 100 000 individus selon

275

Syndicalisme hebdo n°3183, septembre 2008, p.11. 276

129

ses estimations

277

. Ce sera le 8 janvier 2009 que la CFDT décidera de signer officiellement

l’accord, après plusieurs articles dans lesquels elle avait part de ses « hésitations » à le faire.

« Formation professionnelle : le texte n’est qu’une étape vers la sécurisation des

parcours »

278

, c’est de cette manière que la CFDT qualifie la signature de l’accord national

interprofessionnel sur le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle,

la professionnalisation et la sécurisation des parcours professionnels ! Si les développements

du DIF et du CIF sont reportés à de nouvelles négociations, les partenaires sociaux se sont

entre autres accordés sur la création d’un « fonds de sécurisation des parcours ». Cette

disposition de l’accord est en parfaite conformité avec les préceptes de la revendication

confédérale. Le texte original de l’accord stipule par exemple qu’il ne s’inscrit pas « dans une

logique de statuts » mais promeut une « logique de projets et de parcours professionnels »

recherchant la « requalification des salariés ou des demandeurs d’emploi » tout en se

focalisant en particulier sur les « demandeurs d’emploi qui sont les plus éloignés de

l’emploi »

279

. Enfin, un accord national interprofessionnel est conclu le 14 novembre 2008 sur

la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. S’il valide la mise en œuvre de

dispositifs souhaités par la CFDT – tel le bilan d’étape professionnel – la CFDT n’en fait

pourtant nulle promotion. On peut supposer que la « méfiance » exprimée par les militants,

sentiment général qu’avait déjà souligné la CFDT, explique ce fait au final assez curieux et

peu cohérent. Ensemble, ces trois accords nationaux interprofessionnels poursuivent la

concrétisation de la revendication confédérale entamée le 11 janvier 2008. Le 47

ème

congrès

confédéral de la CFDT qui se tient à tours du 7 au 11 juin 2010 félicite ces résultats. Dans la

section 2.2 de la résolution générale, forte de 8 pages, qui s’intitule « des parcours

professionnels sécurisés et ascendants », on peut entre autres lire que « la CFDT a obtenu des

sécurités nouvelles pour les salariés dans leur parcours professionnel. Nombre de nos

revendications se sont traduites dans les faits par de nouvelles garanties collectives qu’il faut

désormais faire vivre au quotidien. Ces actions doivent être prolongées pour permettre aux

salariés d’être davantage acteurs de leur parcours professionnel. »

280

. Mais aucune

revendication réellement élaborée ou neuve n’émane de la lecture de ce document.

277

« Négociation sur l'Assurance-chômage : « une avancée, une réserve et deux regrets » », communication mise en ligne le 23 décembre 2008 sur le site internet confédéral de la CFDT.

278

Communication mise en ligne sur le site internet confédéral de la CFDT le 7 janvier 2009. 279

Accord national interprofessionnel sur le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle, la professionnalisation et la sécurisation des parcours professionnels, p.3.

280

Résolution du 47ème congrès de Tours de la CFDT, document mis en ligne sur le site internet confédéral de la CFDT.

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Cependant, l’analyse d’un ultime document montre l’amorce d’une nouvelle phase de la

revendication sur la sécurisation des parcours professionnels. Il s’agit du supplément au

3338

ème

exemplaire du journal « syndicalisme hebdo » paru le 16 décembre 2011 et titré

« pour une deuxième étape de la sécurisation des parcours professionnels ». Les objectifs

actuels que recouvre l’expression visent selon la CFDT à « sécuriser les mobilités

professionnelles des salariés », à « lutter contre la précarité » et enfin à « agir pour des

emplois de qualité ». Sept revendications recherchent précisément la sécurisation des

mobilités professionnelles. Elles sont précisément les suivantes : « l’évolution du congé de

mobilité vers un dispositif qui permette aux salariés de tester un projet professionnel ;

l’adaptation des règles d’indemnisation du chômage ; la production par l’employeur d’une

annexe au certificat de travail récapitulant l’ensemble des droits sociaux acquis par le

salarié ; la possibilité de conserver son compte épargne temps ; la généralisation de la

complémentaire-santé collective ; des droits à l’assurance-chômage « rechargeables » ; un

accompagnement des demandeurs d’emploi plus soutenu pour ceux qui ont le plus de

difficultés à retrouver un emploi ». La mise en place d’une négociation annuelle sur la

sécurisation des parcours professionnels devant se substituer à celle sur la GPEC, ainsi que

l’instauration des actions conjointes menées au niveau de l’entreprise, des secteurs

professionnels et du territoire constituent enfin les prochains terrains d’action d’une

revendication syndicale qui au niveau confédéral peut se reposer sur de nombreuses

traductions concrètes.

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Conclusion de chapitre

Il ressort de l’analyse de l’élaboration, au niveau confédéral, de la sécurisation des parcours

professionnels, que l’apparition du terme n’induit pas de profondes évolutions dans les

pratiques syndicales mises en exergue par la confédération syndicale. L’introduction de

l’expression officielle est double : répondre à la précarisation et à la dualisation de l’emploi

d’une part, fédérer le plus possible de salariés et de syndiqués autour d’un projet revendicatif

d’autre part. Mais les objectifs intrinsèques de la sécurisation des parcours professionnels ne

sont pas neufs. Usage facilitée des dispositifs de formation professionnelle, aides au retour à

l’emploi des individus, soutien aux individus les plus éloignés du marché du travail, etc., les

enjeux de la sécurisation des parcours professionnels sont portées de plus longue date par la

CFDT. Et en ce sens, à travers elle, la CFDT continue de s’inscrire en partenaire privilégié

des relations professionnelles.

En effet, sur un plan général, la CFDT réaffirme le marché du travail et supporte finalement la

logique d’activation des chômeurs. En ce sens, sa propre revendication diverge moins de ce

que j’ai appelé le discours dominant. Certes, dans plusieurs de ses publications, la CFDT

critique les « idées reçues » qui peuvent stigmatiser les chômeurs, les stigmatiser être

« coupable » de leur situation. Comme l’a montré, Serge Ebersold, les évolutions

institutionnelles de la prise en charge du chômage ont été faites principalement ce qu’il

nomme une « perspective réadaptative ». L’expression renvoie aux dispositifs de

« requalification » des chômeurs par leur mise en formation, et de réinsertion dans l’emploi

par le biais de contrats aidés ou d’insertion. Or, ces dispositifs définissent les chômeurs, en

particulier de longue durée, par leurs manques (en termes de qualification, d’expériences) et

supposent in fine qu’ils sont socialement incapables ou inadaptés. La

« perspective réadaptative » ou le processus d’activation participe donc à une stigmatisation

tendancielle des chômeurs. Ebersold conclut : « En associant les causes du non-emploi à un

manque de formation des intéressés, en réorganisant le traitement social du non-emploi

autour d’une perspective éducative, les politiques adoptées par le législateur ont restructuré

le traitement social du non-emploi autour d’une perspective réadaptative. Elles ont identifié

le manque de qualification, l’inexpérience professionnelle, l’absence de projet à des

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incapacités et des inaptitudes synonymes « d’inemployabilité » et assimilé les personnes à la

recherche d’un emploi à des « inadaptés », à des « handicapés », socialement et

professionnellement incapables de s’adapter aux changements en cours. Elles ont ainsi

permis de penser les populations ciblées comme des « incapables professionnels » dont

l’accès à un emploi, voire à une formule qualifiante, est difficile, lorsqu’il n’est pas

improbable, et rendu possible l’émergence de « l’inemployable »

281

. De ce point de vue, force

est de constater que la CFDT, à travers la sécurisation des parcours professionnels, participe

de façon paradoxale à un phénomène qu’elle critique.

281

Serge Ebersold : La naissance de l’inemployable ou l’insertion aux risques d’exclusion, Presses universitaires de Rennes 2, collection « Le sens social », 2001, p.190.

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