• Aucun résultat trouvé

Nécessaire hybridation des profils de bibliothécaires ?

Dans un mémoire de master intitulé « L'identité sociale des bibliothécaires : enquête sur les professionnels des bibliothèques d’État et territoriales en France », Edwina Morize (2013) apporte quelques éclairages sur l’évolution des professionnels des bibliothèques. À partir d’une enquête auprès de répondants représentant une diversité de profils de bibliothèques et de professionnels, elle estime que des caractéristiques générales et historiques subsistent encore : « Forte féminisation, études littéraires en première ligne, méconnaissance des activités, même avec quelques expériences, des origines familiales qui favorisent le choix d'être bibliothécaire. » Néanmoins elle constate des changements : « L'agent développe de plus en plus ses compétences d'aide et d'accompagnement dans la recherche d'information par exemple. Les spécialisations autres que littéraires prennent de l'importance, sur la manière d'organiser un prêt en bibliothèque par exemple. Les outils informatiques sont désormais indispensables, tant pour des étudiants que pour la vie quotidienne. »

§

Des profils beaucoup plus diversifiés

Dans les départements A et C de notre étude, on note la diversité de profils des professionnels actuellement présents dans le réseau des bibliothèques :

« Ce sont des profils beaucoup plus diversifiés qu’avant. C’est une sorte de bibliothécaire hybride qui est recherché, par exemple avec des compétences numériques ou un parcours en histoire des arts. Il y a des reconversions, par exemple d’enseignants qui s’orientent sur le métier bibliothécaire et avec une casquette numérique. » (Chargée de mission au conseil départemental.)

Le site de l’École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (ENSSIB) propose une synthèse de l’évolution du profil de bibliothécaire25. De 2000 à 2012, l’ENSSIB identifie :

– une révolution, celle du numérique ;

– un concept, celui de la bibliothèque hybride avec de nouveaux services : le web 2.0 et la bibliothèque numérique ;

– un mot d’ordre : la proximité ;

25

Évolution des métiers des bibliothèques et de la documentation : www.enssib.fr/metiers-des-bibliotheques-et-de-la- documentation/evolution-des-metiers

– une formation modernisée et individualisée.

Depuis 2013, le site décrit de nouveaux métiers : manager de l’information, chargé·e de médiation numérique, expert en préservation numérique, community manager. Il est aussi question de médiation numérique et de co-construction, ainsi que d’un nouveau profil de cadres en bibliothèques.

§

La formation continue, enjeu clé

Outre la formation initiale, des actions de formation continue sont proposées par des centres de formation (Centre national de la fonction publique territoriale [CNFPT], universités…). En outre, des actions de formation et d’accompagnement sont réalisées par les BDP ou les conseils départementaux. Dans un département étudié, des « formations/accompagnements » autour du numérique rencontrent un succès croissant. Il ne s’agit pas là, selon nos interlocuteurs, de former des experts du numérique

mais de dédramatiser les compétences numériques et de faire que ceux qui sont moins à l’aise y trouvent du plaisir.

« J’utilise le prétexte du numérique pour faire de l’animation de réseau. Je suis une bonne passeuse de pixels, je ne le rends pas froid, parce qu’en général, le numérique c’est une contrainte. Je veux lutter contre

des idées reçues, avec des profils pas technophiles, c’est le mélange des genres qui m’intéresse. La

question du plaisir est au centre. » (Expert)

§

La formation des bénévoles

Se pose aussi la question de la formation des bénévoles, qui constituent une part importante des bibliothécaires. Dans le département A, il nous a été indiqué que les formations et les accompagnements concernaient aussi les intervenants bénévoles mais, d’après les témoignages recueillis sur le terrain, cela n’est pas nécessairement repéré par les personnes concernées.

Dans un autre département, où les zones rurales sont nombreuses, la question de la formation des bénévoles et de son actualisation est au cœur des préoccupations des personnes en charge de l’animation des territoires :

« Il n’y a parfois que des bénévoles dans les très petites communes. Les salariés sont deux fois moins nombreux par rapport au reste des territoires. Il y a des bénévoles qui sont là depuis très longtemps et formés. Mais ils sont vieillissants et si on ne trouve pas le centre d’intérêt, c’est très difficile de les raccrocher au projet. Il y a beaucoup de bénévoles qui sont conservateurs. Petit à petit, on arrive à les faire bouger. » (Chargée de mission, territoire à dominante rurale, Nord de la France.)

§

La vie de réseau pour un bon accompagnement des bibliothécaires

La vie de réseau est cruciale pour maintenir une dynamique de formation et de montée en compétence des professionnels. Elle permet de faire du lien entre les professionnels d’un même territoire, de créer une communauté qui débouche sur des partages et des mutualisations de savoir- faire, facilités par les outils numériques de collaboration. Mais pérenniser cette dynamique nécessite rigueur et régularité dans les interventions, et une combinaison fertile du présentiel et du distanciel.

« Nous mettons en place des formats légers de transfert de compétences. On fait venir un intervenant sur un sujet. Et surtout, il faut que ce soit régulier parce que le réseau, on ne lâche pas la communauté, sinon il y a tout à refaire. Quand on a lancé la dynamique, il ne faut pas que ça s’arrête. Ce ne sont pas toujours les mêmes, ça tourne, ils en parlent entre eux. C’est comme pour une publication, il faut donner des nouvelles,

laisser du temps de digestion, d’appropriation et ensuite on repart et on relance un tour. » (Chargée de mission culture et numérique, département A.)

§

Le numérique : une question de spécialistes ou une compétence transversale ?

Faut-il recruter des spécialistes du numérique qui deviennent des référents au sein des bibliothèques ou faut-il considérer les compétences numériques comme transversales au sein des équipes ? D’après notre étude, il semble que la première approche soit plus spécifique aux grandes bibliothèques et la seconde aux petites et moyennes. Mais ce choix est aussi lié à des formes de management et à des

aspirations des professionnels :

« Le numérique c’est avant tout une approche collective qui doit être partagée par toute l’équipe d’une

médiathèque. L’important c’est de favoriser l’accès à la lecture et à l’information, et le numérique doit être

là- dedans… Les bibliothécaires doivent avoir une connaissance de l’offre et du lien social. » (Directrice d’une bibliothèque, département A.)

Le responsable numérique d’une grande bibliothèque estime, quant à lui, que le profil de

« bibliothécaire hybride » constitue une utopie :

« On est tiraillé, soit on fait un pôle numérique spécialisé mais à côté on a des choses très classiques ou bien on essaie de faire quelque chose d’hybride où tout le monde puisse… mais ça c’est complètement utopique. » Autre divergence de culture professionnelle : avec la généralisation du numérique et sa dimension transverse, la frontière devient plus floue entre travail et passion, mais ce glissement est loin de réjouir l’ensemble des membres d’une équipe :

« Je comprends qu’on réclame le droit à le déconnexion mais, pour moi, c’est parce que ça m’intéresse et que ça me paraîtrait bizarre de faire de la veille sur mon temps de travail, je regarderais Facebook, Google, j’aurais l’impression de faire autre chose que travailler. » (Responsable numérique, grande bibliothèque, département B.)

PARTIE 2. ENTRE PHYSIQUE ET NUMÉRIQUE, QUELLES

NOUVELLES DYNAMIQUES ?

Le couple physique-numérique, sous tous les aspects qui seront développés ci-dessous, est au cœur de l’activité des bibliothèques et le sera de plus en plus, à mesure que la conception de leurs espaces et de leurs collections évoluera. Il est présent depuis longtemps dans les préoccupations des bibliothécaires et, nous le verrons, nombre de dispositifs passerelles ou hybrides existent ou sont en projet. Toutefois cet axe demande à être davantage problématisé et pourrait alors prendre une place plus importante dans les formations des professionnels et les projets de services, d’établissement ou de réseau.

Le numérique réinterroge le rapport aux lieux physiques et plus largement au territoire, en partie

parce que les espaces dits « dématérialisés » (sites, plateformes…) sont souvent vécus comme des lieux, eux aussi, où se déroulent nombre de nos activités aujourd'hui. Le numérique est bien entendu systématiquement intégré aux réflexions de préfiguration des espaces des nouvelles bibliothèques. Mais souvent la question des matériels, avec les contraintes techniques afférentes, se pose avant celle des usages et des attentes des différents publics. Il est vrai que, de plus en plus, des concertations des habitants avec les architectes se déroulent en amont de la conception des bâtiments26.

Une réflexion sur cet axe physique-numérique est nécessaire également pour accompagner l’intégration des technologies récentes qui concernent les équipements culturels au premier chef. On peut citer, par exemple, les technologies d’immersion et de réalité virtuelle qui permettent précisément d’interagir physiquement avec des objets ou des environnements virtuels, qu’ils soient réalistes ou imaginaires27. Rappelons que les enfants d’aujourd'hui y sont déjà habitués avec la pratique des jeux vidéo sur console VR (réalité virtuelle), que certaines bibliothèques proposent déjà des casques de réalité virtuelle et que d’autres projettent de le faire bientôt. Il est probable que l’expérience de l’usager en bibliothèque en sera à nouveau changée. Quelles démarches construire intégrant ces outils (et d’autres, par exemple ceux de l’intelligence artificielle) qui fassent sens dans l’animation des collections, le travail des publics, les relations avec le territoire ? Les professionnels sans nul doute inventeront des démarches mixant ces différentes technologies avec d’autres qu’ils manient déjà et avec lesquelles leurs compétences de professionnels du savoir feront merveille. Ce chapitre analyse ce qui réunit ou, au contraire, éloigne les dimensions physiques et numériques dans les pratiques culturelles des jeunes usagers et dans les interventions professionnelles en bibliothèque et en ligne. En effet, la généralisation du numérique ne signifie pas du tout sa

substitution au physique mais instaure une dynamique nouvelle entre les deux « sphères », déclinée selon les parcours, les projets et les partenariats.

26

Une telle concertation est en cours pour une future médiathèque à Paris dans le 19e arrondissement.

27

L’EN y travaille actuellement pour le domaine éducatif. Un webinaire est organisé en octobre 2017 par le groupe de travail « Immersion numérique et virtualité » du groupe des incubateurs des projets numériques de la direction du numérique pour l’éducation (https://cvirtuelle.phm.education.gouv.fr/WebinaireRVSeriousGame).

1. Interactions « physique-numérique » et pratiques des

adolescents en bibliothèque : de quoi parle-t-on ?

Rappelons tout d’abord que l’objectif de cette étude n’est pas tant d’étudier comment le numérique peut potentialiser une offre ou renouveler un public mais plutôt comment de nouvelles interactions,

compétences et organisations se dessinent du côté des bibliothèques comme du côté des usagers. Il

est aussi de rendre visibles les expertises des professionnels pour concevoir et mettre en œuvre des transitions et des synergies entre les deux univers qui fassent sens par rapport au projet global de leur bibliothèque ou médiathèque.