• Aucun résultat trouvé

Des partenariats renouvelés sur le public adolescent

Nous avons vu que les coopérations avec les acteurs du territoire proche en charge des mêmes publics adolescents rencontraient des freins liés aux cultures professionnelles, et nos observations de terrain semblent indiquer une nécessité de clarification des missions respectives, de recherche de complémentarité dans les contenus éducatifs. Le rôle des documentalistes des établissements scolaires demeure central, des collaborations fructueuses sur le numérique ont été observées, qui relient les trois espaces école-domicile-bibliothèque, (par exemple, des ateliers booktubers avec des collégiens), mais ce rôle est toujours conditionné à la place reconnue au documentaliste dans chaque établissement. De leur côté, certains bibliothécaires sont amers face à leur déficit de reconnaissance dans la chaîne du livre en général. Quant aux professionnels de jeunesse, ils se sentent un peu instrumentalisés lorsqu’on leur demande d’assurer la paix sociale dans les bibliothèques. Certaines bibliothèques cherchent cependant à faire évoluer les partenariats vers des interventions moins ponctuelles, où sont partagés matériels et compétences, et elles multiplient les actions conjointes hors les murs (par exemple, soirée jeux vidéo, réalisation à la table Mashup, parcours de street art géolocalisé, mémoire du territoire en réalité virtuelle…), ce qui passe aussi par une reconnaissance des compétences numériques des ces professionnels de jeunesse, de l’éducatif ou du social.

Des modalités d’interventions révélatrices de partenariats équilibrés ont été observées, révélant des coopérations pertinentes dans un territoire, favorisant la complémentarité des approches tout en respectant l’identité et le savoir-faire des professionnels et de leurs institutions. Par exemple, sur le thème de l’éducation à l’information et aux usages d’internet et du numérique, plusieurs acteurs d’un même territoire collaborent : enseignants, professeurs documentalistes, bibliothécaires, animateurs, éducateurs, parents d’élèves et jeunes. Des actions impliquant tout ou partie de ces personnes ont été identifiées. Citons quelques exemples : dans une bibliothèque, une animation d’information et d’échanges sur le sujet des réseaux sociaux auprès de parents menée par un adolescent ; un partenariat entre une bibliothèque, une association d’informatique, un collège (le professeur documentaliste) autour de l’expression et des représentations des jeunes sur le numérique ; une action partagée sur la participation des jeunes à l’aménagement de leur territoire, qui utilise le jeu vidéo Minecraft pour visualiser la ville… Ont aussi été observées des actions partenariales menées sur la durée : accompagnement éducatif, ateliers co-construits et co-animés au sein des bibliothèques. Ces projets communs à plusieurs institutions permettent aussi aux adolescents de mieux identifier les acteurs qui interviennent en leur direction. Elles permettent aussi de valoriser tous ces acteurs en décloisonnant leurs approches.

Pistes 2

- Faire un travail régulier de veille : Suivre de façon régulière les usages et les pratiques adolescentes en matière d’information, de culture, de loisirs, ainsi que les évolutions des programmes et attendus scolaires. Il ne s’agit pas de mener de lourdes enquêtes, plutôt de multiplier les angles d’observation et les outils (en physique et en ligne) et les points de vue, à commencer par ceux des jeunes usagers, qui doivent être parties prenantes de la conception de ces démarches de suivi.

- Réfléchir à une offre à destination des adolescents plus construite ou complète, intégrant davantage les collections aux activités et ateliers, mixant plus finement les supports matériels et digitaux, évoluant de façon plus réactive aux suggestions de jeunes usagers ou lecteurs à distance. L’idée est de sortir de l’approche pédagogique « descendante », c'est-à-dire qui propose une offre de contenus d’apprentissages pré-élaborés et qui ensuite recherche le public sur lequel elle s’est ciblée à priori. On peut s’inspirer de certains musées ou établissements de spectacle vivant qui aujourd'hui se concentrent d’abord sur l’ouverture de leurs espaces-temps, sans définir en amont ce que les publics voudront y faire. Il s’agit de permettre d’abord l’expression, l’expérimentation. C’est une pédagogie qui naît de l’interaction et qui se co-construit avec le public. Certains jeunes pourraient avoir un statut de conseillers informels (sous forme ludique par exemple dans un style « miss book » ou « la bibliothèque dans mes rêves »…) et pourraient faire plus systématiquement de la recommandation auprès de leurs pairs. Cette étude nous a montré que nombreux sont les adolescents de tous âges qui font de la transmission auprès de leurs pairs de façon informelle, souvent sans même se percevoir comme tuteurs. Sans vouloir généraliser, dans les bibliothèques où leur est donnée la responsabilité de la modération, par exemple d’un groupe jouant à un jeu vidéo ou de la résolution de petits bugs techniques, etc., il semble que les problèmes de comportements d’adolescents en groupe soient moins fréquents. Il y a une pertinence à rassurer et conforter les adolescents dans leur capacité à

apporter quelque chose, à partager ce qu’ils savent ou savent faire. On s’aperçoit d’ailleurs que, lorsque la possibilité leur en est offerte, les jeunes introduisent tout naturellement des codes et des styles de diffusion de l’information des médias qui leur sont familiers (YouTube, réseaux…).

- Une approche plus centrée sur la relation et la communication horizontale suppose peut-être dans certaines bibliothèques de ré-autoriser l’accès à certains réseaux sociaux en bibliothèque – avec des garde-fous, des chartes, une responsabilisation de jeunes-relais et un vrai accompagnement –, afin de multiplier les occasions de montrer des usages plus diversifiés, par exemple, comment découvrir des ressources des médiathèques en proximité et à distance. Les réseaux sociaux sont la première source d’information des jeunes, on ne peut faire l’impasse et laisser les adolescents en avoir des usages limités et véhiculant des stéréotypes. Une telle démarche peut d’ailleurs prendre appui sur le fait que les adolescents apprécient les bibliothèques pour se retrouver entre eux et que c’est un lieu de socialisation. D’une manière générale, la communication et la concertation avec les jeunes, usagers ou non, au moyen des réseaux sociaux demandent à être développées, avec un travail de fond sur le statut de ces interactions, leurs modalités, leur langage et leur modération.

- Encourager les méthodologies et les pédagogies de liens systématiques entre les différents

supports physiques et numériques des collections et avec les activités autres que la lecture en

bibliothèque. Par exemple, en matière de jeux vidéo, comme le dit un professionnel, « c’est à nous de leur donner envie d’autres jeux et de faire le lien avec les ressources de la médiathèque ». Autre exemple, lorsqu’une association à vocation sociale vient faire de la formation au numérique dans une bibliothèque, les collections sont systématiquement présentées à chaque groupe qui vient pour l’atelier. Il existe de nombreuses variantes de ce type d’intervention : jeu de piste, « escape game55, » en bibliothèque, présentation multimédia, affiches augmentées, utilisation de tablettes ou de smartphones pour la navigation physique dans l’espace de la bibliothèque… Ici, différents niveaux sont à définir pour ce travail sur les liens : quel est le but recherché (découverte, ouverture culturelle, fidélisation, implication des usagers…), quelle approche adopter avec chaque type de public ?

- Anticiper dans la mesure du possible sur les besoins en médiation, qui ne feront que croître au fur et à mesure que le numérique se tisse dans les interactions en matière de pratiques culturelles et dans les projets d’équipements et de territoires. Les professionnels seront rapidement débordés si ces missions ne sont pas clarifiées et partagées par une diversité d’acteurs. La médiation fera partie d’un ensemble plus complet d’interventions, de suivi, d’écoute et de concertations horizontales.

55