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LES MYTHES DE L’ANCIEN TESTAMENT

A) LA CRÉATION

L’Ancien Testament débute par le livre de la Genèse dont la narration mythique

évoque la création de l’univers par intervention divine. Cependant, il est bien connu

que le mythe de la Création n’est pas une invention judéo-chrétienne, car chaque

culture traditionnelle détient son propre mythe cosmogonique dans lequel en général

un Être primordial décide de créer le monde à partir du chaos. Ainsi, nous retrouvons

des mythes de la Création dans les civilisations pré-bibliques, comme dans la

mythologie babylonienne (l’épopée Énuma Élish), ainsi que dans les cultures

avoisinantes : égyptienne ou, plus loin, hindoue (les Upanishad) ou encore dans la

mythologie grecque (la Théogonie d’Hésiode) ou romaine, pour n’en citer que quelques

exemples. Néanmoins, le mythe biblique de la Création présente plusieurs

le récit de la Genèse, le monde naît non pas de manière dramatique, par le combat

des dieux avec des adversaires ou des monstres qu’il faut vaincre, mais pacifiquement,

par la seule action du Verbe de Dieu. En outre, dans la vision monothéiste du

judaïsme, le Créateur biblique est l’unique auteur du Cosmos, il n’a pas à partager son

pouvoir avec d’autres dieux. Ces deux caractéristiques du mythe cosmogonique

biblique permettent à J. Lacarrière d’affirmer que les textes hébraïques, avec les écrits

coraniques, sont les premiers à présenter la Création du monde comme un « acte

simple et radical », sans les hésitations narratives des récits mythiques précédents, à

l’exception des mythes hindous :

Simple, parce qu’il est le fait d’un seul Dieu qui assume la totalité de la Création, Yahvé ou Allah. Radical parce qu’il consiste à tirer le monde du néant ou de l’abîme en un instant, sans étapes intermédiaires, sans dieux primordiaux, sans luttes, sans meurtres. […] Plus de tâtonnements, d’ébauches, de rectifications difficiles et sanglantes : l’homme et les éléments sont créés sans erreur et sans failles103.

G. Durand réfléchit, dans « Permanence du mythe et changements de

l’histoire », sur la façon dont les mythes ancestraux se perpétuent à travers le temps,

en mettant en évidence les transformations mythémiques qu’ils peuvent subir, en

fonction du contexte historique et des ouvrages littéraires qui s’en inspirent. Le

mythicien est d’avis que, pour qu’un mythe reste reconnaissable, il faut qu’un

« minimum vital » de mythèmes soit conservé, autrement le mythe perd son identité.

Dans l’œuvre hébertienne, les mythes bibliques sont reconnaissables grâce aux divers

indices « mythémiques » que l’auteure fournit au lecteur : lorsqu’il n’y a pas de

référence explicite aux récits ou encore aux noms des protagonistes testamentaires,

l’identification de la source biblique peut se faire à partir de détails narratifs significatifs

qui renvoient au mµthos des Écritures. Dans le cas du récit biblique de la Création, les

différentes séquences narratives, comme le paradis terrestre, la tentation d’Ève et

d’Adam, la punition divine et la chute, peuvent constituer, indépendamment les unes

des autres, une source d’inspiration pour l’œuvre. Anne Hébert n’envisage pas de

réécrire intégralement les récits bibliques, mais de reprendre, d’un roman à l’autre,

103

Jacques Lacarrière, Au cœur des mythologies (En suivant les dieux), Paris, Gallimard, « Folio », 1998 [1984], p. 65.

certains éléments mythiques, en soumettant leur agencement à la logique de ses

propres récits.

En évoquant les modulations subies par les mythes au cours de l’histoire

littéraire, G. Durand distingue trois principaux modes de « traitement » réservés au

mythe, selon les époques et selon les auteurs : hérétique, syncrétique et éthique104. La

première modification – hérétique – consiste à exagérer, à surenchérir un des traits

mythémiques, en passant sous silence les autres. Il souligne d’ailleurs que « tout

mythème est gros d’une hérésie105 », pouvant être modifié jusqu’à atteindre le sens

contraire. Nous allons voir que ce type de transformation mythique apparaît souvent

chez Anne Hébert, car l’auteure privilégie dans son œuvre certains aspects des

histoires bibliques en leur attribuant une signification nouvelle. Ainsi, du récit biblique

de la création, on retrouve surtout le moment dramatique de la chute du paradis

terrestre, chute qu’Ève a provoquée en goûtant au fruit défendu. C’est essentiellement

autour de ce thème que s’organise la symbolique de l’imaginaire hébertien, le temps

d’avant la chute étant celui de l’innocence et du bonheur paradisiaque, temps qui a été

irrémédiablement perdu à cause du péché originel.

Le deuxième type de modification du mythe, syncrétique, est évident, selon G.

Durand, « lorsqu’un environnement socio-historique rajoute à un tissu mythique des

broderies mythémiques hétérogènes106 ». L’exemple de syncrétisme mythique le plus

courant chez Anne Hébert concerne la figure de l’Ève biblique, à laquelle l’auteure

greffe des mythèmes appartenant à la Lilith de la tradition rabbinique (par exemple,

son pouvoir de séduction maléfique) ou encore à la Déméter de la mythologie grecque

(l’importance du rôle maternel). L’auteure procède souvent, dans la construction de

l’identité mythique de ses personnages, par une « fusion » entre plusieurs références à

des protagonistes bibliques ; ainsi, dans Les Fous de Bassan, en évoquant le révérend

104

Cf. G. Durand, « Permanence du mythe et changements de l’histoire », Le mythe et le mythique, Colloque de Cerisy, Paris, Albin Michel, 1987, pp. 17-28.

105

Ibid., p. 20.

106

Nicolas Jones, Anne Hébert recourt à la fois à la figure du prophète Moïse guidant le

peuple hébreu vers la terre promise (« celui qui voit Dieu devant soi et qui avance dans

une nuée » (FB, 24) ), à celle d’Adam, créé à partir de la glaise (« tiré du limon de

Griffin Creek, par Dieu » (FB, 40) ) ou encore à celle de Jésus, incarnation de la parole

divine : « Et le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi eux. » (FB, 54).

Enfin, G. Durand propose un troisième critère de transposition des mythes, le

critère éthique qui semble, d’après lui, le plus marqué par les changements de

l’histoire. Ce critère intervient lorsqu’un mythe ou tout simplement un de ses mythèmes

est confronté avec une « mentalité d’époque ou de zone culturelle107 », le mythe

pouvant ainsi être partiellement ou totalement ignoré ou encore dénoncé et minimisé.

L’identification de ce mode d’altération des mythes exige une étude mythanalytique,

qui consiste en un examen du contexte socioculturel québécois de l’époque

contemporaine de l’auteure. C’est le cas des études mythocritiques d’Antoine Sirois sur

les mythes ou les figures mythiques gréco-latines ou bibliques récurrentes dans les

œuvres des auteurs québécois modernes108. Sans vouloir inscrire systématiquement

notre recherche dans le cadre d’une étude mythanalytique, nous allons faire, à chaque

fois que l’occasion se présentera, des rapprochements entre l’œuvre hébertienne et

celle d’autres écrivains québécois qui se sont inspirés de la matière mythique des

Écritures.

a) Le paradis terrestre

Dans le récit biblique, le Paradis terrestre est l’endroit idéal que Dieu a créé en y

plaçant le premier homme, Adam, et sa compagne, Ève, pour qu’ils y vivent

éternellement. Le mot « Éden », utilisé dans le deuxième chapitre de la Genèse pour

désigner le lieu où Dieu a planté le jardin paradisiaque, serait emprunté « aux langues

107

Idem..

108

Voir, entre autres, Antoine Sirois, Lecture mythocritique du roman québécois, Montréal, Triptyque, 1999 et A. Sirois, Mythes et symboles dans la littérature québécoise, Montréal, Triptyque, 1992.

héritières d’Akkad et de Sumer, où edinu ou edin signifie « steppe, désert109 ».

Pourtant, dans l’acception hébraïque du terme, la signification de l’éden est « plaisir ou

délices110 », ce qui correspond mieux à l’idée qu’on se fait de cet espace originel

parfait. Le terme de « paradis », lui-aussi communément employé pour évoquer le

jardin d’Éden, vient du mot grec paradeisos qui a le sens de « parc », « riche en

verdure, généralement garni d’arbres et peuplé d’animaux », et qui a été choisi par les

traducteurs hellènes de la Bible111.

Mais le couple originel a perdu le privilège de l’immortalité et a été chassé du

Paradis pour avoir désobéi aux injonctions divines en « croquant » le fruit défendu de

l’arbre de science. En acquérant la connaissance du bien et du mal que Dieu lui avait

défendue, l’homme découvre qu’il est mortel, vulnérable à la souffrance et aux

maladies. Le récit biblique insiste sur la culpabilité de l’être humain qui a été déchu de

son droit de vivre éternellement dans le jardin paradisiaque à cause de sa sottise :

L’homme aurait pu échapper à la chute, il aurait pu échapper à la mort et à la malédiction de Yahvé s’il avait obéi à son Créateur. Mais, par sa faute, il a violé la loi divine et il a perdu le paradis octroyé par Yahvé. Il a mis fin par bêtise et par désobéissance à son propre bonheur112.

Le mythe du jardin d’Éden occupe une place primordiale dans l’œuvre d’Anne

Hébert, où il peut acquérir des significations diverses, selon la configuration

symbolique des récits. Le paradis peut définir symboliquement un espace et un temps

idyllique, qui correspond le plus souvent à celui de l’enfance, l’époque mythique

irrémédiablement perdue à cause de la chute dans un espace-temps profane où l’être

humain est soumis à une condition mortelle. Aussi le retour à cet âge innocent et

heureux est-il toujours teinté de nostalgie.

Dans Les Fous de Bassan, la mer se confondant avec le ciel, par les journées

de forte chaleur, évoque pour Nora le mélange des eaux et de la terre ayant précédé la

Création : « Le premier jour du monde n’a pas encore eu lieu. C’est d’avant le partage

109

André-Marie Gérard, Dictionnaire de la Bible, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 296 (« Éden »).

110

Idem.

111

Idem.

112

J. Lacarrière, Au cœur des mythologies (En suivant les dieux), op. cit., p. 277. C’est l’auteur qui souligne.

de l’eau d’avec la terre. » (FB, 113) Dans Le Premier Jardin, roman dont le titre

contient déjà une référence à la Genèse, Anne Hébert évoque la fondation de la

province du Québec, lui attribuant, à travers le récit de Flora Fontanges, une dimension

mythique. Avant l’arrivée des colonisateurs français, la terre canadienne n’était qu’une

étendue infinie de forêts vierges, ce qui rappelle le chaos originel. Dans ce contexte, le

geste de Louis Hébert et Marie Rollet, couple fondateur du Québec, de planter un

premier jardin dans le Nouveau Monde, prend l’ampleur d’une cosmogonie. Leur jardin

devient une sorte de paradis terrestre et, par ses limites bien tracées, s’oppose

symboliquement à la forêt du Nouveau Monde, cet espace chaotique que le couple

primordial s’efforce de maîtriser en reproduisant sur la terre sauvage un potager

ordonné d’après le modèle français : « Des carottes, des salades, des poireaux, des

choux bien alignés, en rangs serrés, tirés au cordeau, parmi la sauvagerie de la terre

tout alentour. » (PJ, 77) Le potager bien rangé rappelle l’ordre et la régularité qui

règnent dans les jardins à la française, par opposition au parc à l’anglaise, d’apparence

beaucoup plus « sauvage ». Les « rangs serrés » constituent également une allusion

au contexte historique et culturel québécois : sous le régime français, la colonie de la

Nouvelle-France était régie par le système seigneurial qui concédait aux colons

cultivateurs des terres, en « bandes parallèles perpendiculaires à une rivière, une

route113 ».

Hélas, cette vision idyllique de l’origine du Québec n’est qu’une « histoire

inventée » (PJ, 79) aux yeux de Céleste, l’amie bohême de Raphaël. La jeune femme

s’empresse de démentir le récit de Flora, en affirmant que les premiers à avoir vécu

sur les terres vierges de l’Amérique étaient les Amérindiens, et ce faisant, elle remet en

question la représentation biblique que Flora et Raphaël se font de la naissance du

Québec. Cette nouvelle version de la « genèse » est très significative, car elle met en

opposition l’homme blanc, le héros civilisateur par excellence, et le sauvage, l’indigène

qui ne se soucie guère de mettre de l’ordre dans son jardin : « Quant au premier jardin,

113

il n’avait ni queue ni tête, il y poussait en vrac du blé d’Inde et des patates » (PJ, 79).

L’auteure souligne à travers cet antagonisme une différence fondamentale entre les

colonisateurs venus d’Europe et les indigènes d’Amérique : les premiers amènent avec

eux non seulement un savoir-faire mais aussi leur foi chrétienne, et c’est celle-ci qui

leur dicte d’ordonner l’espace sauvage, à l’instar du paradis terrestre. D’ailleurs, dans

le récit yahviste de la Genèse (Gn, 2), une fois que Dieu a conçu le monde, il s’aperçoit

qu’il y manque quelqu’un pour cultiver la terre, alors il crée le premier homme et lui

confie le jardin paradisiaque. Donc, la vocation première que la divinité attribue à

l’homme, selon les Écritures, est celle de cultivateur. Dans le roman hébertien, en

plantant un potager en plein milieu de la forêt vierge, Pierre Hébert et Marie Rollet

accomplissent un geste primordial à travers lequel ils s’identifient à leurs ancêtres

mythiques, Adam et Ève. Aussi la fondation du premier jardin en terre canadienne

équivaut-elle à une re-création de l’histoire de l’humanité depuis ses origines : « Toute

l’histoire du monde s’est mise à recommencer à cause d’un homme et d’une femme

plantés en terre nouvelle. » (PJ) Ainsi, dans le contexte narratif du Premier Jardin, le

mythe biblique du paradis terrestre acquiert une signification nouvelle, puisqu’il désigne

le premier jardin cultivé en plein milieu de la forêt du Nouveau Monde, et le couple

mythique Adam-Ève est incarné par les fondateurs du Québec.

Néanmoins, contrairement à l’histoire biblique de la Création où le jardin d’Éden

est un lieu originel heureux (avant la Chute), dans l’imaginaire hébertien cet espace

mythique n’a pas toujours un caractère paradisiaque. Lorsqu’il est relié à la mémoire

d’une faute initiale, le retour des personnages vers cet espace-temps fabuleux prend

des allures de pèlerinage aux sources ayant pour but la délivrance du passé accablant.

Dans ce cas, comme le remarque M. Éliade, le voyage mythique ad originem équivaut

consumer et de les abolir en quelque sorte, espérant ainsi pouvoir maîtriser le passé et

l’empêcher d’envahir le présent114.

Dans l’histoire personnelle de Flora Fontanges, l’espace-temps mythique des

commencements se matérialise à travers une suite de « jardins originels »,

représentés par les lieux successifs où elle a vécu et où elle a pris à chaque fois une

identité nouvelle, Pierrette Paul, Marie Éventurel, Flora Fontanges, comme s’il

s’agissait de renaître et de recommencer sa vie. Flora se souvient de ces espaces qui

ont jalonné son existence, parmi lesquels l’hospice Saint Louis, où les religieuses l’ont

accueillie lorsqu’elle était une petite orpheline. Mais l’orphelinat, tout comme la maison

de ses parents adoptifs, les Éventurel, et celle de sa « fausse » grand-mère, sont des

endroits reliés à des souvenirs douloureux : l’orphelinat a brûlé par une nuit d’hiver, en

traumatisant irrémédiablement Pierrette Paul, la petite fille qui deviendra l’actrice Flora

Fontanges ; dans son foyer d’adoption, rue de Plessis, elle n’a jamais été heureuse,

n’ayant pu aimer ni être aimée ; enfin, dans la maison de l’Esplanade, où habitait la

« fausse » grand-mère de Flora, cette dernière avait dû subir les humiliations de la

vieille dame sévère qui avait la ferme conviction que M. et Mme Éventurel ne

réussiraient jamais à faire de la petite orpheline une « lady » (PJ, 138).

Si Flora évite soigneusement de parler de ces lieux qu’elle a habités comme

d’un « paradis terrestre », c’est sans doute à cause des épreuves qu’elle a dû y

endurer. Le seul « lieu » d’origine réellement paradisiaque pour l’orpheline qu’elle est,

parce que rêvé et inaccessible, est figuré par sa propre venue au monde et par la

présence d’une mère qu’elle n’a jamais connue : « Un seul secret avait de l’importance

pour elle, celui de sa naissance qui ne lui sera jamais révélé, ni aux époux Éventurel,

malgré leurs recherches. » (PJ, 149) Qui plus est, le « mal » des origines dont souffre

Flora est héréditaire : l’actrice célèbre qu’elle est devenue, trop sollicitée par sa

carrière, prive à son tour sa fille Maud de l’affection maternelle dont elle-même n’a pas

pu bénéficier. Même si, arrivée à l’âge de la retraite, elle est enfin propriétaire d’une

114

maison et d’un jardin en Touraine, Flora n’arrive pas à se réconcilier avec sa fille

fugueuse. La comédienne, vouée à une existence dérisoire en dehors de la scène

théâtrale, se met à jardiner afin de pouvoir retrouver peut-être, en accomplissant le

geste de ses ancêtres bibliques, l’harmonie originelle et la relation fusionnelle avec sa

fille. Malheureusement, sa démarche s’avère infructueuse, car Maud prend de

nouveau la fuite :

Privée de sa raison de vivre, elle s’est mise à cultiver des roses et des dahlias en Touraine, aménage un vieux pigeonnier tandis que sa fille disparaît à nouveau, pareille à un oiseau qui prend son vol sur l’horizon. (PJ, 35)

Pour la fille de Flora, le premier jardin ne correspond plus à l’époque

paradisiaque de l’enfance, comme pour Nora et Olivia, dans Les Fous de Bassan. La

jeune fille, dépossédée de l’amour maternel dès son plus jeune âge, rêve de retourner

à la « terre » originelle symbolisée par l’état prénatal afin de retrouver le seul bonheur

possible pour elle, celui de la fusion avec le corps de sa mère. Le désir de Maud de

réintégrer l’espace protecteur du ventre maternel n’est rien d’autre que cette nostalgie

des origines, du paradis perdu dont parle M. Éliade, le regressus ad uterum115 :

« Voudrait se fondre entre les genoux maternels. Disparaître. Retrouver l’union

parfaite, l’innocence d’avant sa première respiration, sur la terre des hommes » (PJ,

173).

Par le fait d’avoir connu maints lieux « originels » et autant de re-naissances

symboliques dans l’espace d’une seule vie, le personnage de Flora Fontanges

présente une ressemblance avec une autre héroïne hébertienne, Élisabeth d’Aulnières,

dans Kamouraska. Élisabeth, comme Flora, est confrontée à plusieurs endroits qui ont

marqué, chacun, le début d’une vie et d’une identité nouvelle : à Sorel, il y a la maison

natale, rue Georges et la maison familiale, rue Augusta, dans laquelle Élisabeth

d’Aulnières passe la plupart de son enfance et de son adolescence ; à Kamouraska,

Élisabeth réside dans le manoir qui appartient à son premier mari, Antoine Tassy ;

115

enfin, à Québec, l’héroïne habite rue du Parloir, avec son deuxième mari, Jérôme

Rolland.

Le paradis originel est symbolisé pour Élisabeth par la maison où elle a vu le

jour, rue Georges à Sorel, mais même le souvenir de ce lieu édénique lui est devenu

inaccessible, car le seuil de l’innocence a été franchi à jamais lorsqu’elle s’est rendue

coupable de complicité dans le meurtre de son premier mari. Malgré le caractère

idyllique de cette première demeure, le fait qu’Élisabeth se « démène comme un

cabri » (K, 51) dans le ventre de sa mère est déjà de mauvais augure pour les tantes

Lanouette qui pressentent la nature maléfique de la petite fille : « Elle a le diable au

corps » (K, 51). Dans l’espoir de recouvrer cet état de pureté et de bonheur d’avant le

meurtre, Élisabeth clame sans cesse son innocence devant la cour d’assises ainsi que

dans l’intimité de sa propre conscience. Toutefois, si la jeune femme a gain de cause

face à la justice et à la loi, obtenant d’être libérée sous caution, dans son for intérieur la

culpabilité persiste comme une tache indélébile, lui rappelant éternellement le crime

qui a été commis.

Dans la nouvelle « Le printemps de Catherine », le jardin idéal représenté par

l’espace-temps heureux de l’enfance reste à jamais inaccessible à Catherine, qui

accumule les malheurs : « fille du vice » (T, 94), on la surnomme « La Puce » puisque,

même en ayant atteint l’âge adulte, elle reste « de taille minuscule » (T, 90) ; en outre,