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3. Chimie biosynthétique

3.4. La myoglobine : protéine hôte de choix

Ainsi, l’essentiel des hydrogénases artificielles développées jusqu’à présent s’appuie sur l’utilisation de petits peptides comme ligands de modèles biomimétiques du site actif des hydrogénases FeFe ou NiFe. A côté de ces peptides synthétiques, les hémoprotéines comme le cytochrome c (avec l’exemple issu du groupe d’Hayashi) sont des protéines de choix pour la construction de systèmes hybrides.

Nous allons maintenant concentrer notre étude sur la myoglobine. Il s’agit d’une des protéines les plus étudiées et donc les mieux caractérisées ce qui explique qu’elle soit particulièrement

utilisée comme protéine hôte de différents complexes pour la mise au point d’enzymes artificielles pour la catalyse d’oxydation de substrats organiques. C’est pour ces mêmes raisons que nous allons l’exploiter dans la suite de ce travail. Elle a été la première métalloprotéine dont la structure a été résolue en 1958144 par le groupe de John Cowdery Kendrew, ce qui lui valut le prix Nobel de chimie en 1962 avec Max Ferdinand Perutz, et depuis on dénombre des centaines de structures de myoglobine native, de variants ou d’hybrides.

La myoglobine est une protéine globulaire de petite taille possédant une cavité hydrophobe dont la structure cristallographique est représentée figure 50. Elle fait partie du groupe des hémoprotéines. Les protéines de ce groupe ont des rôles biologiques très variés. On trouve la myoglobine chez les vertébrés où elle assure un rôle de transport de l’oxygène entre le sang et les cellules musculaires. Son cofacteur naturel est une porphyrine de fer coordonné à la protéine via un résidu histidine (His93 ou histidine proximale). Un deuxième résidu histidine (His64 ou histidine distale) présent dans la poche hydrophobe enveloppant le complexe joue un rôle majeur dans l’activité biologique de la myoglobine. En effet, elle facilite d’une part la coordination de l’oxygène moléculaire sur le fer de la porphyrine (figure 51) en formant une liaison hydrogène avec l’oxygène. D’autre part cette histidine limite, par gène stérique, la coordination d’autres gaz compétiteurs et nocifs (comme par exemple le monoxyde de carbone) et empêche également, en imposant une conformation coudée du dioxygène coordiné, la formation d’espèce fer-oxo ou fer-peroxo.

Figure 50. Structure de l’ holo-myoglobine de cachalot avec la représentation des deux histidines disponibles dans la

H64 H93

Figure 51. Structure du site actif de l’holo-myoglobine avec l’hème coordiné à l’histidine 93, le dioxygène coordiné au fer et établissant une liaison hydrogène avec l’histidine 64.

D’une manière générale, des mutations stratégiques sur des acides aminés proches du site actif modifient l’activité de la myoglobine. Comme nous l’avons expliqué, l’histidine distale joue un rôle majeur dans l’activité biologique. Le groupe de Watanabe a ainsi montré que des mutations au niveau de l’histidine distale pouvaient conférer à la myoglobine la fonction d’autres hémoprotéines comme par exemple une activité peroxydase ou peroxygénase.145

Mais des mutations d’autres acides aminés proches du site actif peuvent également modifier l’activité biologique de la myoglobine. Le groupe de Lu146 a par exemple rapporté comme contrôle de ses études, que le double mutant (L29H/F43H) de l’holo-myoglobine147 possède une activité d’hème oxygénase en présence de cuivre(I).

Hayashi et ses collaborateurs ont commencé à la même période d’importants travaux sur la myoglobine et l’insertion d’hèmes modifiés dans la protéine native comme dans des mutants. Ils ont par exemple étudié les variations de différentes propriétés de certains mutants de la myoglobine, notamment au niveau de l’histidine 64, comme leur affinité pour l’oxygène et d’autres gaz tel que le monoxyde de carbone,148,149

ou encore leur activité catalytique pour l’oxydation du 2-methoxyphenol.150

Rapidement après, un grand nombre de complexes ont été incorporés dans la myoglobine. Tous ont une structure plan-carré similaire à celle de l’hème qui leur permet de s’insérer dans la poche hydrophobe de la myoglobine et de se coordiner à une des deux histidines de cette cavité.

Nous avons déjà présenté précédemment l’utilisation de la myoglobine avec des complexes de chrome ou de manganèse et des ligands salen ou salophen (figure 39).134 Ces hybrides

catalysent la sulfoxydation énantiosélective du thioanisole par l’eau oxygénée. La modification de certains acides aminés a une influence majeure sur le rendement de la réaction et sur l’excès énantiomérique. Par exemple, le groupe de Watanabe a étudié l’influence de différentes modifications stratégiques sur l’activité catalytique d’hybrides entre la myoglobine et deux complexes de chrome.151 Comme on peut le voir dans le tableau 3, le double mutant H64D/A71G Mb associé au complexe Cr.25 a ainsi montré de bonnes propriétés catalytiques avec une activité catalytique de 78000 cycles catalytiques par seconde associé à un excès énantiomérique de 13%.

Figure 52. Haut : Préparation d’hybrides à partir de myoglobine. Bas : Structure des complexes 24 : [MIII(salophen)]+ et 25 : [MIII(tBu2-salophen)]+.

Tableau 3. Activités catalytiques et excès énantiomériques (ee) obtenus pour différents hybrides entre la myoglobine native et différents mutants et les complexes 24 et 25 de chrome pour la sulfoxydation du thioanisole (dans du tampon acétate de sodium 50 mM pH 5 à 35°C en présence de thioanisole et d’eau oxygénée).

Selon la topologie du complexe, celui-ci peut aussi se coordiner à l’histidine distale (His64) au lieu de la proximale (His93).152 C’est le cas par exemple pour certains complexes de cuivre. Dans ce cas l’histidine 64 complète la coordination équatoriale du complexe plan-carré. Cela est schématisé figure 53.

hème MIII(salophène)

M=Cr, Mn, Fe

CuIII(sal-R)

R=CH2Ph, CH2CH(CH3)2, CH3

hème MIII(salophène)

M=Cr, Mn, Fe

CuIII(sal-R)

R=CH2Ph, CH2CH(CH3)2, CH3

Figure 53. Méthode de préparation d’hybrides à partir de différents complexes avec 2 différents sites de coordination suivant la nature du complexe.

Dans toutes les études précédentes, l’hybride est formé par incubation entre l’apo-protéine et le complexe puis il est purifié, généralement avec une colonne d’exclusion stérique. L’obtention de l’apo-myoglobine se fait à partir d’un protocole décrit en 1981153

consistant en une étape de dénaturation de l’holo-myoglobine par ajout de butanone en milieu acide puis une étape de dialyse pour éliminer l’hème libéré. La protéine est ensuite renaturée en présence du cofacteur d’intérêt.

Il existe une autre méthode mise au point par le groupe de Marletta132 évitant l’étape de dénaturation/renaturation de la protéine et consistant à reconstituer la myoglobine avec un hème légèrement modifié directement lors de la surexpression de la protéine par la bactérie. Cela nécessite un type particulier de souche d’E.Coli qui, en condition de fermentation anaérobie, n’est pas capable de synthétiser un précurseur de l’hème (le porphobilinogène) et dont les parois sont perméables à l’hème. Après fermentation anaérobie pour obtenir un nombre suffisant de cellules, la surexpression de la myoglobine est induite en condition aérobie en présence de la porphyrine d’intérêt. On obtient ainsi, après purification, une myoglobine reconstituée avec différentes porphyrines de manganèse et de fer (plus ou moins modifiées).

Cependant, même si cette méthode présente l’avantage d’éviter les étapes de dénaturation de la protéine indispensables pour obtenir la forme apo de la myoglobine, elle reste très spécifique à certains complexes non toxiques pour la bactérie et de structures assez similaires à l’hème. De plus la réussite de cette méthode semble également dépendre de la protéine puisqu’elle n’a pas pu être étendue, par exemple, au cytochrome c.

Comme nous vous l’avons expliqué précédemment, les hémoprotéines forment une grande famille de protéines et la modification de quelques acides aminés spécifiques proches du site actif permet de moduler leur activité. Certaines protéines de ce groupe ont montré de plus un comportement similaire à la myoglobine vis-à-vis des différents complexes inorganiques insérés. Ainsi, l’équipe de Watanabe a réussi à préparer des hybrides à partir d’hème oxygénase avec des complexes de structures similaires (figure 54) à ceux utilisés pour les hybrides avec la myoglobine puisqu’ils ont utilisé des ligands dérivés des salophens.154

Figure 54. Structure des complexes de FeIII 26: X=CH2CH2COOH, 27: X=COOH, 28: X=H.

Les hybrides obtenus ont montré une activité catalytique pour la réduction du dioxygène couplée à l’activité de la cytochrome P450 réductase en présence de NADPH. Ils ont ainsi réussi à reproduire une partie de l’activité biologique de l’holo-hème oxygénase. En effet l’hème oxygénase est une hémoprotéine dont le rôle biologique est de catalyser, en présence de la cytochrome P450 réductase et d‘oxygène, la dégradation de l’hème en biliverdine par réaction redox suivant le mécanisme schématisé figure 55.

Figure 55. Cycle enzymatique du métabolisme de l’hème en biliverdine catalysée par l’hème oxygénase.

Comme pour les exemples précédents, certains acides aminés (l’arginine 177 dans ce dernier cas) jouent un rôle majeur dans l’activité catalytique de la protéine native et des hybrides. De plus cette étude a montré que l’environnement protéique influençait le potentiel électrochimique de l’espèce électroactive. En effet, les potentiels électrochimiques des complexes (26), (27) et (28), décrits figure 54, changent considérablement lorsqu’ils sont dans la protéine. Cette variation dépend fortement de la nature du complexe. Les complexes (26) et (28) ont par exemple des potentiels très proches (-59mV et -58mV vs NHE dans le DMF respectivement) alors que, lorsqu’ils sont insérés dans la protéine, leurs potentiels mesurés dans du tampon Tris sont très différents (-76mV pour (26)-HO1 contre 15mV pour (28)-HO1) Nous avons donc montré au cours de cette étude que la préparation d’enzyme artificielle nécessite un travail à la fois sur la nature du complexe et sur la nature de la protéine. L’observation d’une interaction entre le complexe inorganique non biologique et l’enveloppe protéique est la première étape d’une longue succession d’essais (expérimentaux ou effectués par des méthodes in silico) pouvant mener à terme à l’obtention de catalyseurs performants. L’environnement protéique peut moduler à la fois l’activité catalytique du catalyseur, son potentiel électrochimique mais également influencer l’excès énantiomérique de la réaction.

Lors de cette thèse, nous avons choisi d’étudier l’influence d’une enveloppe protéique sur des complexes inorganiques catalysant la production d’hydrogène. Notre choix s’est porté sur la myoglobine comme protéine hôte pour nos études, choix que nous avons ensuite élargi à d’autres hémoprotéines. Pour les catalyseurs nous avons choisi de travailler avec des catalyseurs de cobalt ayant une structure plan carrée (cobaloximes et complexes de cobalt diimine dioxime).

Cette étude bibliographique nous a conduits, dans le cadre de cette thèse, à concentrer nos études sur l’utilisation de complexes bio-inspirés de cobalt comme catalyseurs de production d’hydrogène. Compte tenu de la présence de ligands axiaux labiles nous nous sommes orientés vers une approche dative, c’est-à-dire vers la coordination directe d’un acide aminé au métal. Une protéine de choix dans ce cadre est la myoglobine du fait, d’une part, de la présence du cofacteur héminique coordiné à l'histidine 93 et d’autre part, de sa grande utilisation comme protéine hôte. Comme nous le verrons par la suite d’autres hémoprotéines peuvent également être utilisées comme protéines hôtes.