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Les mutations et leurs impacts sur les acteurs du système de santé français

« On n’a jamais connu autant de changements en aussi peu de temps pour nous » Une infirmière libérale

Plan

Introduction

2.1. Le concept de mutation 2.2. Les origines des mutations

2.2.1. Externes au système de santé 2.2.2. Internes au système de santé

2.3. Les conséquences observables et prévisibles de ces mutations 2.3.1. Un système de santé de plus en plus complexe

2.3.2. L’innovation du dispositif expérimental dans le système de santé Synthèse

74 « Je ne puis ici qu’effleurer l’immense question de ces changements dépassant toute prévision, qui ont profondément modifié le monde et l’ont, en quelques années, rendu méconnaissable aux yeux des observateurs qui avaient assez vécu pour l’avoir vu bien différent. Je vais insister sur le peu de temps qu’il a fallu pour amener de si énormes conséquences, et surtout arrêter un peu vos esprits sur les causes les plus puissantes de cette brusque mutation. Je pense à tous les faits nouveaux, entièrement nouveaux, prodigieusement nouveaux, qui se sont révélés à partir du commencement du siècle dernier. » Valéry, Variété III, 1936, Le bilan de l’intelligence p.271 (Valéry, 1936). « Euh ça c’est sûr que c’est des mutations de traitements donc il y a la mutation

financière, la mutation des hôpitaux qui sont contraints à.… Ben de fermer et puis l’évolution des pathologies qui demandent de plus en plus de soins donc plus de gens pris en charge et au demeurant moins de places d’accueil. C’est sûr que là il va falloir qu’on réfléchisse comment faire autrement. C’est une évidence ! 1 Il faut que les parcours soient coordonnés mais que les pluri professionnels s’organisent parce que là c’est une vraie mutation là pour le coup ! » (Une infirmière libérale)

Les mutations dissocient progressivement le système historique de valeurs ou de croyances des organisations de soins avec une altération des représentations professionnelles laissant place à une communication différente entre le client patient et son fournisseur de soins. Le changement atteint profondément la relation médecin-patient.

Introduction

Balandier (1971, 2004) comprend le phénomène de mutation au sein de la société dans l’espace et le temps entre ce qu’il nomme la sociologie de la continuité et la sociologie du changement. Les typologies du changement décrites par Van de Ven et Poole (1995) proposent de catégoriser le changement soit sur un mode de compréhension où celui-ci est subi par les acteurs et leurs organisations (Déterminisme) ou bien sur un mode où il est généré, choisi par ces mêmes acteurs ou organisations (Volontarisme). De ces deux grandes options découlent quatre typologies du changement qui viennent définir tant au niveau systémique qu’au niveau des acteurs et de leurs interactions les concepts connexes de transformation, de transition, d’évolution et enfin de mutation, et qui viennent s’appliquer aux grandes thématiques sociales comme synonymes au changement.

75 Dans ce chapitre nous proposons une première partie qui a pour objectif d’apporter une définition du concept de mutation vu comme un phénomène et une forme de changement social. Dans une deuxième partie, nous abordons les mutations identifiées dans la littérature. Certaines sont externes au système de santé français et ont un ou des impacts déjà observables ou prévisibles à courte ou moyenne échéance sur le système de santé français. Des mutations internes en lien avec les mutations externes affectent diversement le système dans son fonctionnement et ses acteurs laissant envisager de profonds bouleversements touchants possiblement la philosophie et le sens du soin, thèmes profondément ancrés au cœur d’un monde professionnel, de ses valeurs et de ses motivations.

2.1. Le concept de mutation

Plusieurs domaines de définitions s’appliquent au substantif « mutation ». Le CNRTL le définit premièrement comme un « changement radical et profond » entrainant une modification profonde des structures (http://www.cnrtl.fr/definition/mutation). On retrouve dans la littérature abordant le phénomène de mutation dans la santé et des domaines liés (tels que système de santé, protection sociale, etc.) les termes de transformation (Batifoulier, Domin & Gadreau, 2007), de changement (Rocher, 2008) et de transition mais aussi d’innovation (Christensen et al., 2000).

Le phénomène de mutation est étroitement lié au phénomène de transition, car ils intègrent tous deux, le phénomène de changement. La transition se déroule sur une phase ou cycle avec un état initial. Durant ces phases par définition intermédiaires se déroulent des évolutions (Ruptures totales ou partielles, transformations par degrés ou paliers mais conservant une part de l’état initial, ou bien mutations des structures et plus globalement du système au sens où les finalités ou résultats sont incertains et parfois appréhendés (Batifoulier et al., 2007 ; Rainhorn, 2001). La dimension de temporalité accompagne le changement et vient accroitre les difficultés d’adaptation des organisations et des individus qui les composent. Le concept de cycle de vie court vient s’imposer au travers des multiples expérimentations innovantes mais précaires représentées dans le système par les dispositifs expérimentaux à financement non pérenne [tels que les réseaux de santé (Bonafini & Nobre, 2011) par exemple].

Les enjeux du changement du système de santé français sont multiples et il n’est pas certain qu’ils soient encore tous reconnus même si l’ensemble de la littérature en économie, en gestion de la santé et des rapports officiels reconnaissent les mêmes constats d’inadaptation du système

76 et des ressources face aux défis sociétaux, économiques et technologiques prévisibles au 21ème siècle. Les changements observés dans le système de santé nord-américain sont envisagés dans le tableau suivant (Tableau 12). Ils s’observent à des degrés d’avancement divers dans le système de santé français.

Tableau 15. Moving from a 20th to a 21st Century Health Care System (NIHCM, 2003) p.7

20ème siècle 21ème siècle

Parcours de soin fragmenté Parcours de soin coordonné

Centré sur le fournisseur de soin Centré sur le patient

Piloté par le prix Piloté par la valeur ajoutée

Connaissance fragmentée Connaissance organisée

Les décisions en matière de soins varient considérablement

Les décisions de soins sont prises sur la base de preuves

Diffusion lente de l'innovation Diffusion rapide de l’innovation

Dossier patient « sur papier » Dossier patient informatisé

Parcours de soins caractérisés par des traitements par à coup ou par épisodes

Parcours de soins caractérisé par un suivi continu

Choix limité (réduit la possibilité de faire « les bons choix »)

Choix plus large (augmente la possibilité de faire les bons choix au sens les plus pertinents) Faible mesure de la qualité Mesure omniprésente de la qualité

Gestion du système par les processus Gestion axée sur les résultats

Régulation (réglementation) par les pouvoirs publics vécue comme contradictoire et contraignante

Régulation (réglementation) plus concertée menée dans un état d’esprit plus coopératif et collaboratif

Escalade permanente des coûts Diminution globale des coûts

2.2. Les origines des mutations

Dans cette sous-section nous nous attachons à montrer les origines externes et internes des mutations. L’institution de la santé montre à la fois sa capacité et ses moyens à se maintenir par son système de normes et de règles et tout à la fois, par ses acteurs, mais aussi en partie par

77 administration elle est en mesure de créer ou innover en saisissant ces changements comme des opportunités.

2.2.1. Externes au système de santé Une recherche de convergence

Les mutations externes sont mises en évidence dans la littérature par la recherche d’une convergence progressive de l’ensemble des systèmes de santé (Kastler, 2016). Ce que serait le standard ou norme pourrait correspondre idéalement à une forme d’universalisation d’un panier de soin minimal auquel aurait droit tout être humain dans cet idéal de santé pour tous promu par les institutions internationales (WHO, World Bank). La couverture sanitaire universelle (OMS, 2013) en est un exemple. Ce courant est orienté par les instances internationales avec des objectifs finaux d’amélioration de l’état de santé (Senarclens, 2001), de réduction de la pauvreté et des inégalités dans le monde (Abbasi, 1999).

L’état de santé des populations reste largement dépendant du niveau de développement économique des pays. Ce qui amène à la constatation d’un profond clivage avec une régionalisation des pays développés (globalement le monde occidental) et des régions du monde avec des systèmes de santé encore peu (ou en voie de) développés, car insuffisamment financés et organisés.

Au niveau européen, les systèmes de santé ne relèvent pas dans leur organisation de la compétence directe de l’Union européenne (UE) (Traité de Lisbonne, 2007, article 168). Cependant, même s’il n’y a pas d’implication directe de l’Europe dans les politiques nationales de santé et les différents systèmes de santé, l’UE en tant qu’institution s’est donnée pour axe de développement l’amélioration de la santé de ses citoyens (Acte Unique, 1987 ; Traité de Maastricht, 1992).

Trois principes ont été ainsi adoptés par le Conseil Européen à Barcelone (2002) (André, 2015) : l’accessibilité pour tous, la qualité des soins et la viabilité financière à long terme. La méthode ouverte de coordination doit être appliquée aux systèmes de santé.

Hassenteufel (2013) remarque que depuis les années 90 une transformation des systèmes de santé « historiques » avec par exemple le plan Thatcher et Major au Royaume-Uni en 1991 avec l’introduction des mécanismes de marché au sein du système de santé (NHS) ; en Allemagne, la réforme de 1992 avec la mise en concurrence entre les caisses d’assurance maladie et en 2003

78 la réforme engageant dans une volonté de maitrise des dépenses la responsabilisation des patients par leur participation financière ; en France, les ordonnances dites Juppé en 1996 ont conduit à la mise en place des rôles du Gouvernement et du Parlement afin de contrôler dorénavant l’équilibre financier de la Sécurité sociale et de réduire la dette (Création de l’ONDAM et mise en place de la LFSS). Cette transformation selon Hassenteufel (2013) est caractérisée par un processus global d’européanisation qu’il comprend comme un transfert progressif de l’ensemble des politiques publiques nationales (dont celles de la santé) vers l’UE en tant qu’institution supranationale. Ce processus d’européanisation a été décrit par Guigner (2011), Saurugger et Surel (2006), Saurugger (2010) et Hauray (2011). Pour Guigner (2011) l’européanisation procède de deux mécanismes dont l’un est, selon cet auteur, vertical au sens qu’il correspond à une forme de normalisation progressive (La recherche de la définition d’un minimum de données et d’indicateurs en lien avec ces données de santé utilisé au sein des différents systèmes de santé présents dans l’UE, dont des dépenses de santé mesurées en point de production intérieure brute (PIB), la convergence des taux de croissance) ; l’autre mécanisme étant décrit comme horizontal et favorise l’apprentissage de nouvelles pratiques par les échanges de pratiques et la libre circulation des professionnels de santé.

L’évolution de la démographie et la transition sanitaire

La théorie de la transition démographique connait trois phases selon Monnier (2006). Monnier identifie premièrement la transition démographique dite classique. Elle prend fin au milieu des années 1960 avec la baisse de la fécondité en Europe au sein de la famille traditionnelle et transformation progressive de la structure familiale traditionnelle). Une seconde phase s’étend jusqu’à la fin des années 1980 – 1990 et elle est caractérisée par la crise du modèle traditionnel (assouplissement des contraintes juridiques avec l’autorisation et la simplification de la procédure du divorce, accès libre à l’avortement et à la contraception). La fin des années 80 qu’Avdeev et coll. (2011) typifient comme étant « une phase de consolidation et d’institutionnalisation des nouvelles formes conjugales et familiales (Stabilisation et soutien législatif des formes nouvelles d’unions, concordance entre relations conjugales et parentales hors mariage traditionnel) ». Selon ces auteurs, cette période peut être qualifiée de seconde transition démographique (Zaidi & Morgan, 2017) et elle est accompagnée par une baisse importante de la mortalité. Baisse de la mortalité qui a elle-même un impact sur la structure du cycle familial et les relations intergénérationnelles. Enfin depuis le début du siècle nous sommes dans « une phase (troisième phase) de consolidation du modernisme démographique de l’Europe » (Monnier, 2006).

79 L’évolution démographique (Figure 13) de la France intervient sur l’évolution du système de santé, ses besoins en ressources et sa recherche d’adaptation régionalisée au sens de Giddens c’est-à-dire dans l’espace et le temps. La durée de vie dans la population française, mais aussi mondiale (United Nations, 2017) progresse. Les liens entre les causes de mortalité et les effets induits par les politiques de santé elles-mêmes fondées sur un modèle de protection sociale mixte sont avérés (Luca Barrusse, 2016). Ces liens demeurent toutefois fortement assujettis à plusieurs autres facteurs tels les choix ou orientations politiques (Stuckler et al., 2010 ; Stuckler & Basu, 2014; Westbrook, 2017), les facteurs environnementaux qui ont une incidence sur la durée et l’espérance de vie en bonne santé. Néanmoins, le pourcentage de la population ayant plus de 60 ans augmente dans toutes régions du monde (+ 2 %/an) et représente près de 25 % de la population européenne (Monde = environ 12 %), (Luca Barrusse, 2016).

Figure 13. Pyramide des âges Champ : France y compris Mayotte - Source : Insee, estimations de population (résultats provisoires arrêtés à fin 2014).

L’évolution des modes et du désir d’information

Les progrès de la médecine prédictive accrus par les capacités de calcul et d’autoapprentissage (Deep learning) des réseaux neuronaux associés à l’extension des modes de recueil des données de santé via les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et leur exploitation à partir de données massives « big data », opèrent des changements de plus en plus perceptibles dans le système de santé et ses organisations. Ils mettent en évidence un paradoxe où l’individu est générateur et gestionnaire de ses données tout en en étant, en fait, dépossédé, car soumis à une médecine guidée économiquement par des algorithmes issus de l’analyse du traitement de masse de ces mêmes données. Les technologies de simulation de la réalité, la

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