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Après une revue de littérature portant sur les concepts de la santé en tant qu’institution, de la dynamique des différentes mutations qui la transforme et enfin de ce grand thème transversal à l’organisation : la coordination, nous proposons de centrer notre recherche sur les coordinateurs. Depuis sa plus simple expression : l’ajustement (Mintzberg, 1982), nécessaire à la réalisation d’un travail entre deux personnes jusqu’aux formes ou processus plus sophistiqués, la coordination traduit d’une part de façon opérationnelle une forme d’action organisée et séquentielle et d’autre part, par l’ensemble des interactions qu’elle mobilise, elle fait l’expression d’éléments relationnels, psychologiques, comportementaux nécessitant l’établissement plus ou moins implicite et/ou explicite de conventions sous l’expression de régimes d’engagement (Thévenot, 2006).

La question de recherche initiale posait le problème de l’origine et de la définition d’un nouveau métier : coordinateur au sein de l’institution de la santé en 2020 et plus précisément au sein d’un système professionnel établi historiquement.

Classiquement nous avons cherché au sein de la revue de la littérature à définir d’une part les concepts abordés et de façon plus globale à les comprendre en les contextualisant aux différents enjeux posés en 2020 au système de santé comme institution en nous appuyant sur le cadre théorique de la structuration proposé par Giddens (1984). Ainsi nous avons repris le concept de système, et des principales caractéristiques de sa complexité. Nous avons dressé un tableau de son organisation, de ses organisations (ou structures de soins) puis des acteurs professionnels, des pratiques sociales (formes d’habilitations par l’expérience, réglementaires) agissant par réflexivité sur la structuration et par le moyen de la récursivité au travers de ces acteurs et de leurs interactions.

Trois constats peuvent être émis à l’issue de ce chapitre :

1er constat : Une complexité du système de santé français attestée dans la littérature et dans les faits. Cette complexité interroge sur ses effets potentiels dans l’évolution des métiers de la santé.

Le premier constat fait état d’un système de santé encore résistant à la marchandisation, efficace mais non performant, insuffisamment préparé aux défis majeurs de santé publique et

130 lourdement plombé par un système professionnel empreint de prérogatives historiques, signifié par une hiérarchisation des métiers, un cloisonnement des champs du sanitaire, du médico-social et du médico-social, une démographie médicale en baisse, des compétences des métiers du soin et du social figées et empêchant ou permettant très difficilement des évolutions nécessaires afin de revaloriser ces métiers et les rendre attractifs. Mais aussi permettre l’émergence de nouveaux métiers.

2e constat : En réponse aux mutations, le système de santé et ses organisations adoptent et s’adaptent par une stratégie de changement basée sur des expérimentations. Cette stratégie appelle à une compréhension de ses impacts possibles sur les métiers historiques de la santé (en termes de reconfiguration ou d’émergence).

Le second constat établi à partir des mutations externes et internes montre un système dans sa globalité en voie de modernisation. Cette modernisation vise à adapter le système de santé et en particulier l’offre de soin en fonction des besoins des territoires dans un but de justice sociale. Ces adaptations répondent aussi au déterminisme des pouvoirs publics de rationaliser le système et son offre. Ce déterminisme, concrétisé par un rythme soutenu de plans et de lois de santé ces dernières années, intègre une logique d’expérimentation (Création de nouveaux dispositifs type réseaux, plateformes, pôles et maisons de santé par exemple) caractérisée par un cycle de vie (Variation-Sélection-Rétention) pouvant être relativement court (Van de Ven & Poole, 1995). Les mutations, avec les innovations qu’elles apportent dans le système de santé, ses organisations et son organisation, génèrent d’une part, des métiers nouveaux correspondants aux besoins suscités par les nouvelles technologies (p.ex. technologies portant sur la robotisation, la simulation en santé) et d’autre part des métiers dont la nouveauté est relative au sens qu’ils répondent à des besoins auxquels ce système et ses organisations n’est plus ou pas en mesure de les satisfaire par insuffisance de ressources et/ou de compétences. C’est dans ce contexte qu’on observe la « prolifération » des fonctions (coordination, gestionnaire de lits, etc.).

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3e constat : L’émergence d’un métier de coordinateur est pressentie par une prolifération des postes au sein de beaucoup d’organisations de la santé (tous champs concernés). Cette émergence est encore floue dans les organisations qui l’envisagent comme une fonction. Elle traduit plusieurs réalités concernant l’exercice de ce(s) métiers dans des contextes très différents et questionne pour une meilleure connaissance des acteurs coordinateurs, de leurs pratiques, de leurs rôles au quotidien et, enfin de leurs conceptions quant aux futurs possibles dans ce(s) métier(s) de la coordination.

Le troisième constat réalisé dans le 3e chapitre porte sur la coordination, principe commun et fondamental à l’action individuelle ou collective et promu comme mécanisme réducteur de cette complexité et résolutif de beaucoup des problèmes envisagés. L’émergence d’un ou de métiers (au pluriel) de la coordination pose les questions sur les liens possibles ou établis entre le concept de coordination (comme objet) et son incarnation : le coordinateur (comme sujet). D’autre part les compétences (à coordonner) ne peuvent-elles être que techniques et nécessitent-elles l’étroite association de compétences relationnnécessitent-elles selon Gittell, Beswick, Goldmann et Wallack (Gittell, 2002 ; Gittell et al., 2008; Gittell, 2012, 2015).

Ces premiers constats permettent de préciser notre recherche. En effet, deux axes ou questions ressortent de ces constats : comment un système historique et complexe en pleine évolution peut-il « permettre » l’émergence d’un nouveau métier ? Qui sont les coordinateurs, pourquoi et comment s’engagent-ils dans ce métier émergent ? Quelles sont leurs conceptions sur leur avenir professionnel ?

Dans la problématique suivante, nous reprenons ces constats pour préciser notre question de recherche initiale.

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PROBLÉMATIQUE

Introduction

La question des nouveaux métiers de la santé est actuelle et en particulier ceux de la coordination (Rabeux, 2018) (FHF, 2020). Cette question fait ressortir le problème des nouveaux besoins auxquels le système de santé doit répondre et s’adapter (Hénart et al., 2011). La reconnaissance de ces nouveaux métiers avec leur parcours de formation dédiés parait laborieuse (p.ex. processus de reconnaissance du métier d’IPA). À ce temps long de négociations avec les différentes instances constitutives de l’institution de la santé pour la reconnaissance de ces nouveaux métiers pourtant déjà connus et reconnus au niveau international viennent s’ajouter de nombreux métiers émergents « peu ou pas anticipés » par le système et qui montrent combien les mutations technologiques ont un caractère innovant intensif et extensif mais aussi profondément perturbateur dans cette institution. Si ces mutations, ces innovations et, in fine, les nouveaux métiers générés semblent être progressivement structurés et intégrés (encadrés réglementairement) par l’institution au sens large c’est-à-dire l’administration publique (Lowndes, 1996) et les parties prenantes publiques et privées (branches, ordres, syndicats professionnels, associations d’usagers ou fédérations professionnelles) ces derniers ne sont pas encore adoptés comme étant des métiers au sens des autorités de santé :

Le métier est un ensemble cohérent d’activités professionnelles, regroupant des emplois pour lesquels il existe une identité ou une forte proximité de compétences, ce qui en permet l’étude et le traitement de façon globale et unique. Le métier est situé dans une famille professionnelle et une seule. Une personne, à un moment donné de sa vie professionnelle, est positionnée sur un métier et un seul. Le métier est distinct : du poste, qui est lié à la structure ou à l’organigramme ; du statut, qui ne dit rien des compétences ; de la qualification, même si celle-ci est requise et du diplôme. (DGOS) (Hénart et al., 2011)

Nous proposons trois constats. Le premier constat de la complexité du système de santé et le troisième constat de la réingénierie des métiers de la santé font état du champ organisationnel que forme la santé au sens de DiMaggio et Powell (1983). De la complexité croissante d’un système aux acteurs qui le composent, l’animent par leurs comportements et le reproduisent par leurs métiers, nous pouvons reconnaitre selon l’expression de Huault (2017) « le pont entre les niveaux d’analyse organisationnels et reliant actions individuelles et influences macrosociales ». Le second constat des mutations, à notre sens, montre qu’elles ont la capacité de perturber le fonctionnement institutionnel en déstabilisant les comportements individuels et

133 collectifs mus par la rationalité et les comportements induits par la futurité décrits par Commons (1934 ; 1990).

La situation, les constats (à l’issue de la revue de la littérature ou état des lieux)

Le premier constat : La complexité du système de santé

En France, les causes de l’accroissement de la complexité du système de santé sont plurifactorielles. Les alternances de gouvernances politiques ont amené par leurs visions idéologiques des variations pourtant toutes conduites par le souci de la performance d’un système à répondre au droit constitutionnel de protection à la santé (Drago, 2015). La réalité économique, la réduction des coûts et les déficits structurels du système ont été des enjeux majeurs des différentes politiques publiques de santé. Néanmoins un courant principal de restructuration du système de santé et plus globalement de protection se distingue et conduit malgré les visions politiques les différents plans pluriannuels puis, à partir de 2009 les stratégies successives. Toutes les alternances envisagent des réformes structurelles de décloisonnement des secteurs sanitaire, social et médico-social accompagnées de réformes du financement (dont la T2A). Les réformes structurelles réenvisagent l’organisation du système fortement et historiquement conditionné par un hospitalocentrisme longtemps axé sur une médecine curative et non préventive aux dépens des autres lieux de soins et des acteurs. Le service public hospitalier a vu depuis la fin des années 90 une profonde transformation dans son mode de fonctionnement bureaucratique en « adoptant » un nouveau mode de gestion publique. D’autres facteurs de gestion des ressources humaines et des compétences ont aussi accru la complexité du système comme la politique du numerus clausus dans la formation des médecins et l’adaptation des parcours de formations aux nouveaux besoins ou pratiques de travail (médecine collaborative, travail en interdisciplinarité, etc.).

Cette complexité, même si elle a ses particularités propres au système de santé français, est aussi étudiée et décrite comme caractéristique de plusieurs systèmes de santé nationaux dans la littérature.

Le second constat : Des mutations exogènes qui « secouent » le système, génèrent des mutations internes et le conduisent à une course aux adaptations mais aussi aux innovations internes et « ouvertes ».

L’institution : Les secousses exogènes sont identifiables dans la littérature (économiques, sociales, démographiques, technologiques et sanitaires). Toutes ont à des degrés divers des

134 conséquences directes ou indirectes sur l’état de santé des populations. Elles ont généré un ensemble de mutations cette fois internes dans l’institution de la santé.

Ces secousses endogènes amenant à de profonds changements dans l’institution et plus concrètement dans l’organisation du système de santé français sont liées à des inadaptations structurelles, organisationnelles et financières mais aussi à la complexité organisationnelle grandissante du système. Les nouvelles technologies par les opportunités qu’elles laissent envisager suscitent une émulation du système. Elles favorisent l’ouverture et les partenariats en recherche appliquée vers d’autres secteurs (biotechnologies, communication, gestion et traitement des données, ou disciplines scientifiques.

Le troisième constat : Une nouvelle cartographie des métiers (réingénierie des métiers « historiques » du soin et du social avec des nouveaux métiers adoptés par l’institution mais aussi des métiers émergents issus d’innovations en lien avec des expérimentations institutionnelles ou initiés par les acteurs de terrain. Dans ce contexte, comment placer les coordinateurs dans cette cartographie ?

Un des éléments forts ressortant des adaptations du système aux nouveaux besoins liés aux mutations externes, pour rendre le système moins fragmenté ou complexe et répondre de façon optimale aux défis de santé publique a été la création de nouveaux métiers dans la santé. Parfois institués par l’institution elle-même (par reproduction p. ex. ‘case management’ pour gestionnaire de cas). Les coordinateurs ont un parcours différent et nettement moins normalisé. En France historiquement la fonction de coordination est rattachée à une profession médicale, paramédicale ou du travail social. Sans spécificité et pourtant de plus en plus visible dans les organisations elle reste « floue » et se définit par l’énoncé du problème à résoudre.

« Pour traiter un problème particulièrement épineux, le plus simple n’est-il pas d’en confier généreusement la résolution à un professionnel ? La relation entre une fonction vague et globale et un métier peut-être encore plus direct lorsque le métier est complètement défini par l’énoncé d’un problème à résoudre et la délégation en bloc de celui-ci. C’est alors que l’expression « métier flou » prend son sens le plus fort. » (Jeannot, 2005), p. 23.

Selon Robelet, Serré et Bourgueil (Robelet et al., 2005) la coordination est un concept « mou » appelé à devenir plus « visible » dans les organisations de soins (Mino & Robelet, 2010). Jeannot (2005) fait l’analyse dans son livre « Les métiers flous de l’action publique » des différentes problématiques ou ambiguïtés qui caractérisent la coordination de l’action publique. Il relève un certain nombre de tensions induites par la difficulté à définir les contours ou le

135 cadre de référence de ce qu’il considère comme des métiers. « L’action publique se construit alors dans la tension entre d’un côté l’engagement des individus et la stabilisation d’orientations collectives de méthode sur le terrain et de l’autre la projection répétée de « dispositifs ». (Jeannot, 2005) p. 95.

La question de recherche

Selon Glée et Scouarnec (2009) face aux mutations exogènes et endogènes l’organisation et l’acteur dans son emploi orientent leurs relations selon un comportement volitionnel entre le modèle de la vulnérabilité (subir l’inadaptation aux mutations) et celui de l’opportunité (choisir et/ou réorienter les compétences). Les niveaux de réalités et les contingences des organisations comme des individus déterminent empiriquement les actions de décisions dans des modalités mixées par les conditions de vulnérabilité et d’opportunité (modèle de fusion).

Le concept du travail institutionnel au sein du courant théorique néo-institutionnel décrit le rôle et les pratiques des acteurs pour faire évoluer (créer), maintenir voire déstabiliser leur organisation et plus globalement l’institution. L’institution de la santé comme ensemble ou système relativement stable dans ses normes (dont celle définissant les métiers de la santé cf.ci dessus), pratiques, règles et habilitations, n’oriente plus les comportements individuels mais aussi collectifs de ses acteurs (Lowndes et al., 2018 ; March & Olsen, 1998).

Comme proposé par Commons (1934 ; 1990) la causalité institutionnelle explique en partie la problématique des stratégies prospectivistes individuelles actuelles du choix ou de l’acceptation ou positionnement dans le « non choix » (autrement dit du « subir »).

Appliqué à notre recherche il s’agit de comprendre comment les acteurs travaillent dans l’institution pour préparer leur avenir quand ils pratiquent le métier émergent de coordinateur que nous situons dans la zone d’inconfort lié au flou par manque de définition du ou des cadres d’exercice des objectifs et du caractère autonome ? Comment l’acteur intègre le processus de théorisation de son métier émergent ? Dans quel but ou pour quelle finalité ? La prospective et sa méthodologie permettent-elles de comprendre cette (ces) réalité(s) ? Permettraient-elles d’apporter des éléments de connaissance utiles aux défis que représente l’intégration et l’adoption de ces métiers émergents dans l’institution et plus encore de capitaliser sur leur(s) expérience(s) et leur(s) capacité(s) d’innovation pour les diffuser afin de faire progresser en compétences des hommes et des organisations au service d’autrui.

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Notre raisonnement ou angle d’approche pour comprendre le sujet et son contexte

Nous avons décrit notre cadre global de compréhension de la situation rencontrée des nouveaux métiers de la coordination par une approche théorique « en entonnoir ». Après avoir mobilisé progressivement les éléments constitutifs de la théorie de la structuration (Giddens, 1984), nous nous sommes orientés vers le concept du travail institutionnel (Lawrence & Suddaby, 2006; Lawrence, Suddaby & Leca, 2009) attenant du courant sociologique néo-institutionnel (Figure 26).

Figure 26. Progression du raisonnement dans les théories.

Au sein du concept du travail institutionnel, et afin de centrer notre recherche, nous nous sommes appuyés sur les pratiques de théorisation décrites par Mena et Suddaby (2016) pour analyser et répondre à notre question de recherche :

Comment les acteurs coordinateurs travaillent et imaginent les futurs possibles de la coordination pour faire adopter leurs métiers émergents par l’institution française de la santé ?

Le schéma suivant (Figure 27 page suivante) montre la proposition de modélisation faisant suite à notre problématique et déterminante de la mise en œuvre de la phase exploratoire.

Théorie de la Structuration

Théorie Néo-institutionnelle

Concept du Travail institutionnel

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environnement de travail (*)

(*) dont conditions de travail

Comportements individuels liés au concept

de futurité Temps court Temps long Faire le choix de s’investir dans un métier

émergent S’approprier les pratiques et le rôle Sentiment d’être « détenteur » d’un métier S’engager dans un processus de théorisation Adoption du métier émergent par l’institution

Diffusion du métier par l’institution A C TI O N C O LL EC TI V E A C TI O N IN D IV ID U EL LE

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SECONDE PARTIE — PRÉSENTATION DE LA