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2.4 Hétérostructures multiferroiques / ferromagnétiques

2.4.1 Multiferroïques et couplage magnéto-électrique en quelques points

Exclusion mutuelle ? Il est intéressant de noter que du point de vue fondamental, la ferro-électricité et le magnétisme tendent à s’exclure mutuellement [91, 92]. Cette incompatibilité est illustrée dans les oxydes de structure perovskite ABO3 (Fig. 2.12), archétypes des multi-ferroïques. Le mécanisme le plus commun pour la ferroélectricité est à l’échelle microscopique directement lié à un déplacement des cations chargés positivement par rapport au barycentre des anions chargés négativement et implique la présence d’éléments de transition de configuration électronique d0 sur le site B de la structure. La présence des électrons d défavorise une hybrida-tion avec l’oxygène et donc un déplacement nécessaire pour la ferroélectricité. D’un autre coté, le magnétisme des oxydes de métaux de transition nécessite des ions possédant des couches d partiellement remplies. De plus, un ferroélectrique doit être isolant pour que les charges mobiles ne détruisent pas la polarisation électrique, alors que la plupart des ferromagnétiques sont des conducteurs, qui peuvent sembler antagonistes avec la ferroélectricité.

(010) (010) a = 89.47

°

54 pm (Bi3+) 13 pm (Fe 3+) [111] PS[111] a) b)

Fig. 2.12 : Perovskite ABO3 a) Structure cubique : le centre de la structure octaédrique d’oxy-gènes (atomes verts - octaèdre grisé) est occupé par un petit cation (atome B - bleu - Fe par exemple) alors que des cations plus gros (atomes A - rose - Bi par exemple) occupent les coins de la maille unitaire. b) Structure pseudo-cubique, après distorsion rhombohédrique de la structure cubique telle qu’observée dans BiFeO3 en dessous de la transition paraélectrique.

Ferroélectriques propres versus impropres

– Dans les ferroélectriques propres puis par extension dans les multiferroïques propres, ordres magnétique et électrique sont associés à deux cations différents. Les mises en ordre inter-viennent en général à des températures distinctes. La polarisation électrique s’établit souvent avant l’ordre magnétique et peut être assez importante. Le couplage entre les deux ordres reste souvent faible. Dans le composé BiFeO3, la ferroélectricité est obtenue grâce aux électrons 6s2 non appariés du Bi, qui conditionnent le déplacement de ce dernier, alors que le magnétisme est associé aux ions Fe3+. Dans BFO, la polarisation électrique apparaît à TC=1090 K alors que les propriétés d’antiferromagnétisme sont mises en évidence au dessous de TN=640 K. – Dans les matériaux impropres, la ferroélectricité n’est pas directement associée à une instabilité

structurale, mais est induite indirectement par un ordre de charge et/ou un ordre magnétique particulier. A priori, ces matériaux avec des dipôles électriques induits par un ordre magné-tique présentent potentiellement un couplage magnéto-électrique fort, des températures d’ordre ferroélectrique et magnétique proches, mais une faible polarisation.

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Symétries et couplage magnéto-électrique Charges électriques et courants se comportent différemment à l’égard de l’inversion du sens du temps. Dans un composé ordonné magnéti-quement, l’aimantation change de signe avec l’inversion temporelle alors qu’elle reste invariante par inversion spatiale. Dans un ferroélectrique, la symétrie d’inversion change la polarisation en son opposée alors que la symétrie d’inversion temporelle la laisse invariante. Ainsi, pour qu’un composé soit multiferroïque, il faut qu’il ne possède ni centre d’inversion spatiale ni symétrie par rapport au renversement du temps.

L’effet magnéto-électrique est un phénomène dans lequel une aimantation peut être induite par un champ électrique et/ou une polarisation électrique peut être induite par un champ magnétique. Il a été initialement proposé de manière phénoménologique par Landau [93] et Dzyaloshinskii [94]. Le potentiel thermodynamique du système est une fonction complexe de la température T , du champ magnétique Hi, du champ électrique Ei et du tenseur de contrainte mécanique Tij. Les dérivées partielles de ce potentiel par rapport à T , Ei, Hiet Tij donnent respectivement l’entropie, la polarisation électrique Pi, l’aimantation Mi et le tenseur de déformation mécanique εij. De manière générale, on écrit alors

Pi = Pis+ χEijEj+ αijHj+ χEijkEjEk+ αijkHjEk+ 1/2βijkHjHk+ dijkTjk... Mi = Mis+ χMijHj+ αjiEj+ χMijkHjHk+ βjikEjHk+ 1/2αjikEjEk+ gijkTjk...

εij = εsij + χTijklTkl+ dijkEk+ gijkHk+ 1/2πijklEkHl+ .... (2.8) avec               

χEij, χMij et χTijkl, les tenseurs de susceptibilité électrique, magnétique et élastique du premier ordre ;

dijk et gijk, les tenseurs de piézoélectricité et piézomagnétisme du premier ordre ;

αij, le terme magnétoélectrique du premier ordre ;

αijk et βjik, les termes magnétoélectriques du second ordre ;

πijkl, les termes de piézomagnétoélectricité du premier ordre.

Un effet magneto-électrique linéaire qui correspondrait à un terme du type αijMiEj dans le potentiel thermodynamique du système n’est non nul que si les inversions spatiale et temporelle sont interdites. C’est donc à ce niveau que fusionnent la physique des multiferroïques et le couplage magnéto-électrique1. L’existence ou non d’un couplage direct ne peut formellement être comprise et prévue que par des considérations de symétries, structurale et magnétique. Il est possible, très qualitativement, d’anticiper un couplage magnéto-électrique dans un maté-riau multiferroïque, en discutant sa nature propre ou impropre. Le couplage est qualifié d’indirect lorsque qu’il est médié par le sous-système élastique (électrostriction/piézoélectricité ou magné-tostriction/piézomagnétisme). Ce couplage indirect apparaît essentiellement dans les composés impropres, dans lesquels l’ordre magnétique et la polarisation électrique proviennent de 2 sous-réseaux différents, intimement mélangés. Dans ces composés, ce sont les propriétés élastiques qui gouvernent l’interaction du système ferroélectrique avec l’ordre magnétique (comme l’indique le coefficient piézomagnétoélectrique de l’équation 2.8). C’est typiquement le cas du BFO : la polarisation de 100 µC/cm2 est due aux déplacements Bi3+, mais aussi des ions Fe3+ le long d’une diagonale de type <111> du cube (Fig. 2.12). A priori dans les composés multiferroiques propres, le couplage magnéto-électrique doit être non nul mais il est extrêmement dangereux de faire des prédictions quant à sa valeur.

1. On peut noter que dans les composés multiferroïques sans centre d’inversion, on attend aussi un effet

magnéto-optique de second ordre (χijk) et que de nombreuses études de ce type de composés ont été menées en

Interaction de Dzyaloshinskii-Moriya, ferromagnétisme faible et structures non colinéaires Dans les ferroélectriques impropres, les premiers qui ont décrit théoriquement la coexistence entre les ordres ferroélectrique et magnétique sont Dzyaloshinskii [95] et Moriya [96]. Ils justifient de l’existence d’un ferromagnétisme faible dans des composés antiferromagnétiques, typiquement α-Fe2O3. L’interaction Dzyaloshinskii-Moriya (DM), qui provient du calcul perturbatif de l’échange entre l’état fondamental d’un spin Si et l’état excité de son voisin Sj, dépend du couplage spin orbite et conduit à un échange antisymétrique. L’énergie d’interaction EDM (Eq. 2.9) s’écrit en fonction d’un vecteur constant D, fonction du couplage spin-orbite, et proportionnel à la polarisation électrique P :

EDM = D· (Si× Sj) (2.9)

L’énergie du couple de spins voisins est minimale (Eq. 2.9) lorsque ces derniers sont perpen-diculaires l’un à l’autre (de manière analogue au “spin-flip”) alors que l’échange usuel J (type Heisenberg) tend les aligner. La compétition entre ces deux types d’échange va imposer aux spins une configuration non colinéaire, caractérisée par un angle de “canting” entre deux spins, lié aux valeurs relatives de D et J . Dans les oxydes antiferromagnétiques, les structures de spin obtenues sont généralement de grande longueur d’onde et cet angle est petit.

On retrouve le fait que l’existence de l’interaction DM est très fortement restreinte par la symé-trie du cristal. Si le lien entre deux spins contient un centre d’inversion ou une invariance par translation, alors D= 0. Récemment, des théories basées sur l’interaction DM et/ou compatibles avec cette dernière [97, 98] ont été développées. Du point de vue des symétries, un courant de spin jS appartient à la même catégorie que la polarisation électrique et de fait, un couplage entre ces deux grandeurs devient naturel. L’idée est la suivante : puisque deux spins non colinéaires induisent un courant de spin, celui-ci donne naissance à une polarisation électrique. Avec uij le vecteur unitaire reliant les spins Siet Sj, la structure magnétique non colinéaire et la polarisation électrique ont des orientations imposées données par l’équation 2.10.

P ∝ uij × jS ∝ uij × (Si× Sj) (2.10) Très didactique, la figure 2.13 présente schématiquement deux structures modulées et les pa-rois de domaines auxquelles chacune d’elles peut être associée. La structure modulée de type hélicoïdale présente un centre de symétrie et donc pas de polarisation électrique alors que la structure de type cycloïdale remplit toutes les conditions autorisant la coexistence entre polari-sation électrique et magnétisme. Une approche très visuelle du couplage magnéto-électrique est aussi donnée dans cette représentation. La paroi de domaines de type Bloch apparaît comme une portion de la structure hélicoïdale alors que la paroi de type Néel apparaît comme une por-tion de cycloïde magnétique, polarisée électriquement et sur laquelle une acpor-tion au moyen d’un champ électrique est possible. Ce schéma peut donc être considéré comme une matérialisation du couplage magnéto-électrique et de son action sur une paroi de domaines magnétiques.

La diversité des mécanismes intrinsèques permettant d’obtenir des composés à la fois ferroélec-trique et magnétique en fait une thématique très riche. Cette thématique est encore enrichie par la possibilité de fortement modifier le magnétisme et la ferroélectricité par des effets de contrainte lors de leur dépôt en films minces et l’opportunité de “construire” des multiferroïques artificiels en combinant au sein d’hétérostructures des matériaux ferroélectriques et ferromagnétiques. Nous détaillons ci-dessous les propriétés de deux types de BFO dans des hétérostructures BFO/FM.

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Fig. 2.13 : Adaptées d’après [92] : En haut) Représentations schématiques comparées de struc-tures magnétiques modulées et de parois de domaines magnétiques. ⃗Q représente le

vecteur de propagation de la structure magnétique incommensurable, l’axe de rotation des spins est donné par ⃗e. En bas) Action potentielle du champ électrique crée par