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2.4 Hétérostructures multiferroiques / ferromagnétiques

3.1.2 Lois d’échelles, reptation, barrière d’énergie et lois de vitesse

La théorie de la reptation que nous abordons décrit le piégeage collectif. Celui-ci est gouverné par les propriétés à l’équilibre du système élastique dans un désordre gelé. La reptation décrit en particulier les phénomènes qui apparaissent au voisinage du seuil de dépiégeage et/ou via l’action de la force d’entraînement de faible intensité.

3.1.2.1 Définition de l’interface et des grandeurs associées

Le problème du déplacement et de la rugosité d’une paroi se ramène à celui, plus général et largement étudié (pour revue voir [112–114]) du comportement d’une interface élastique unidi-mensionnelle sous l’action d’une force extérieure. Appliquer une force sur une interface élastique revient à tester le système sur de grandes échelles. Pour obtenir des informations relatives à l’influence du désordre sur l’objet élastique et les échelles spatiales pertinentes, il faut en premier lieu considérer des déviations par rapport à un état parfaitement lisse. La figure 3.2 représente de manière schématique une telle interface : les fluctuations de position ν(x, t) de cette interface par rapport à un état rectiligne et la distance caractéristique ξ entre deux centres de piégeage, en densité surfacique ni lesquels exercent une force individuelle fpin sur l’interface sont intro-duites. Pour une portion d’interface, on considérera par la suite les fluctuations moyennées sur une longueur L d’interface considérée, à savoir νL.

3.1 Propagation reptilienne de paroi : piégeage collectif faible 77

Fig. 3.1 : (D’après [112]) Variation théorique de la vitesse de propagation, v, d’une paroi de domaines (d’une interface élastique) 1D dans un milieu 2D faiblement désordonné, sous l’effet d’un champ magnétique, H (d’une force d’entraînement, f ), à température nulle et à température finie non nulle, T . Les régimes de reptation (creep), de dépiégeage (depinning) et de flot (flow) sont indiqués.

x

L

f

pin

L

n

x

n(x,t)

Fig. 3.2 : Schéma d’une interface unidimensionnelle dans un milieu présentant un désordre gelé. Les grandeurs indiquées sur la figure sont définies dans le texte.

3.1.2.2 Equation de mouvement

La première approche analytique proposée pour décrire la croissance locale d’une telle interface dans un milieu désordonné a été proposée par Kardar, Parisi et Zhang [115]. Connue sous le nom d’équation KPZ, cette équation (Eq. 3.1) décrit les variations des fluctuations en fonction du bruit indépendant du temps η(x, ν) qui correspond au désordre gelé, du bruit thermique η(x, t) (toujours présent même dans un système non désordonné), d’un terme lié à l’élasticité de la paroi ε et éventuellement de termes non linéaires avec les fluctuations transverses. Dans la forme donnée Eq. 3.1, seul le terme d’ordre le plus bas proportionnel à un paramètre λ est présent.

∂ν(x, t)

∂t = η(x, t) + η(x, ν) + ε2ν + λ(∇ν)2 (3.1) Dans sa forme complète, l’équation du mouvement est complexe, non seulement parce qu’elle contient un terme stochastique mais aussi en raison de la présence de termes non linéaires. Souvent, même le terme d’ordre le plus bas peut être omis. En effet, il a été montré que ce terme a une origine cinétique λ ∝ v et que par conséquent, il peut être négligé pour les faibles

vitesses [116]. Au voisinage ou en dessous de la transition de dépiégeage et dans la mesure où la température n’est pas trop élevée, il devient légitime de réécrire l’équation de KPZ sous la forme

de l’équation 3.2 de Edwards-Wilkinson [117], qui décrit le mouvement reptilien d’une interface dans un désordre gelé.

∂ν(x, t)

∂t = δE

δν(x, t) = η(x, ν) + ε2ν (3.2)

E décrit ici l’énergie de l’interface. Elle inclut l’énergie élastique, l’énergie de piégeage et l’énergie

liée à l’action de la force extérieure (il s’agit de l’énergie Zeeman pour une paroi de domaine magnétique). Dans la limite des faibles déformations, le terme élastique s’écrit comme εν2L

L. Pour le piégeage, les forces individuelles fpin s’additionnent aléatoirement de sorte que seules leurs fluctuations spatiales sont prises en compte. Ces fluctuations sont proportionnelles à

niξL [118]

pour un segment de longueur L. Pour un défaut unique, l’énergie de piégeage s’écrit −fpinξ. En

conséquence, l’énergie de piégeage s’exprime comme −fpin

niξLξ. On définit usuellement la

force du piégeage ∆pin = f2

pinξni et l’énergie de piégeage pour une interface de longueur L s’écrit

ξ2L∆pin.

3.1.2.3 Comment le piégeage recèle toutes les difficultés

Toute la physique de l’interface est contenue dans le piégeage. Celui-ci est généré par des im-puretés ou défauts gelés, des fluctuations locales du couplage d’échange...Son caractère aléatoire ou périodique, son “efficacité” forte ou faible, l’échelle à laquelle il est effectif... vont imposer des traitements théoriques ad-hoc [112–114]. La longueur de corrélation ξ est associée à la distribu-tion du désordre (Fig. 3.2). Les corréladistribu-tions sont à courte portée dans la mesure où les impuretés et/ou les fluctuations pertinentes le sont également.1 On pressent à ce niveau que la notion de rugosité (associée à un changement des fluctuations de la position de la paroi, en relation avec le désordre sous-jacent) va être essentielle.

3.1.2.4 Lois d’échelle

Il est assez aisé d’admettre que les grandeurs physiques telles que l’énergie ou les fluctuations de position de l’interface vont pouvoir s’exprimer en fonction des corrélations du potentiel de piégeage. La résolution –non triviale– de l’équation 3.2 a été établie via des méthodes basées sur le groupe de renormalisation. Sur le principe, le vecteur déplacement de tout point de l’interface

ν(x, t) est décomposé en série de Fourier ; les degrés de liberté associés à des longueurs d’onde

trop petites pour la problématique considérée sont éliminés puis une renormalisation est effec-tuée. Longueurs (x = xb), temps (t = tbz) et vecteurs (ν(x) = ν(x)bζ) sont renormalisés et conduisent à l’introduction de l’exposant dynamique z et de l’exposant de rugosité ζ. Dans notre cas, cette résolution permet d’établir une loi d’échelle essentielle (Eq. 3.3) entre la longueur de corrélation du désordre ξ, les fluctuations νL associées au déplacement de l’interface de longueur L, l’exposant de rugosité ζ et une longueur caractéristique LC.

νL= [< (ν(x)− ν(x + L))2 >]1/2≈ ξ ( L LC )ζ (3.3)

La longueur caractéristique LC est la longueur de Larkin dans le contexte des réseaux de vortex des supraconducteurs, la longueur de Fukuyama-Lee dans celui des ondes de densité de charges, celle de Imry-Ma pour les antiferromagnétiques aléatoires, etc. Elle est définie comme la distance pour laquelle énergie de piégeage et énergie élastique se compensent. La valeur de l’exposant de

1. Une hypothèse usuelle est de considérer une distribution gaussienne de désordre, dont le potentiel est

caractérisé par un moment d’ordre 2, ou corrélateur, < η(x1, ν1)η(x2, ν2) > isotrope qui décrit très bien de

3.1 Propagation reptilienne de paroi : piégeage collectif faible 79

rugosité ζ a longtemps été discutée dans la littérature ; elle dépend de la nature du désordre, de la dimension d du milieu et celle D des objets étudiés. Pour une interface unidimensionnelle telle qu’une paroi de domaines (D = 1) qui se déplace dans un milieu bidimensionnel (d = 2) faiblement désordonné, les travaux théoriques donnent un exposant de rugosité qui vaut 2/3 [119–121].

3.1.2.5 Barrières d’énergie et vitesse de paroi

Pour un désordre faible, LC est grande par rapport à la distance moyenne entre les centres d’impuretés et de fait, les phénomènes de piégeage n’apparaissent que via l’action collective de plusieurs impuretés. Le champ de déplacement peut choisir entre différents minima d’énergie (correspondant à différentes configurations de l’interface qui s’adapte au paysage de défauts sous-jacents) et dès lors, la métastabilité apparaît.

L’expression de la vitesse d’une interface se propageant dans un milieu faiblement désordonnée a été formulée pour la première fois par Ioffe et Vinokur [121]. Elle résulte de l’évaluation de l’énergie de barrière EB(L) à franchir entre deux états métastables. Cette barrière d’énergie inclut à la fois la contribution liée au désordre et celle liée à l’énergie élastique. Il a été montré qu’elle présente un comportement en loi d’échelle, très général et donné Eq. 3.4 (pour revue voir [113] et références incluses).

EB(L)≈ EC ( L LC )χ avec χ = 2ζ + D− 2 (3.4)

Dans cette expression, EC est définie comme l’énergie associée à une longueur d’interface LC, obtenue en identifiant les termes élastiques et de piégeage pour νL= ξ. On retrouve aisément la loi de puissance (à D = 1) à partir de l’énergie élastique qui varie comme le carré des fluctuations (

L LC

)

et comme L1. L’énergie de piégeage obéit à la même loi d’échelle en (

L LC

)χ

que le terme élastique. La relation 3.4 qui ne dépend pas du type de désordre reste valide dans la mesure où la portée des forces de piégeage est très petite devant la longueur de paroi considérée.

Il a été montré que les lois d’échelle données par les équations 3.3 et 3.4 sont toujours valables lorsque une force extérieure faible est prise en compte [119–122]. Ainsi, pour induire le mouvement d’une paroi de domaines magnétiques à l’aide d’un champ magnétique H, la barrière à franchir

EB(L, H) est donnée Equation 3.5.

EB(L, H)≈ EB(L)− MSHtLνL = EC ( L LC )χ[ 1 H Hdep ( L LC )2−ζ] (3.5) avec Hdep = EC ξLCtMs (3.6) Ldep ( Hdép H )1/(2−ζ) (3.7)

La barrière sans champ donnée en 3.4 a simplement été complétée du terme Zeeman. Ce dernier est exprimé en fonction de la longueur de paroi considérée, de l’épaisseur de la couche t, de l’aimantation Mset des fluctuations. On y a introduit le champ de dépiégeage Hdep pour lequel l’énergie Zeeman compense l’énergie de barrière à champ nul, pour une longueur d’interface LC. La minimisation de cette barrière EB(L, H) par rapport à L permet de déterminer la longueur

Ldep, caractéristique du dépiégeage de la paroi et effectivement impliquée dans le saut entre 2 positions métastables. Par construction, la barrière EB(L, H) tend vers zéro quand la longueur de l’interface tend vers Ldep. On constate aussi que Hdep détermine bien le seuil de dépiégeage : pour cette valeur du champ, la barrière d’énergie devient nulle et la paroi va pouvoir bouger.

En revanche, si H << Hdep, la barrière d’énergie diverge et l’interface doit franchir des barrières dont la hauteur maximale est donnée par

EB(H) = EB(Ldep, H)≈ EC ( Hdép H )µ avec µ = χ 2− ζ = 1 4 pour D = 1 (3.8)

En utilisant une loi d’Arrhénius pour le temps de saut τ ≃ exp(EB(H)/kBT ) entre les deux

états métastables, on obtient l’expression fondamentale de la vitesse de paroi dans le régime de reptation, donnée par l’équation 3.9, et définie comme v = νL(H)/τ .

v = v0exp [ ( EC kBT ) ( Hdép H )1/4] (3.9)