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Un moyen supplétif de l’initiative privée au sein du logement social

Dans le document Propriété publique et logement social (Page 104-109)

1. – La protection du droit de propriété

Section 2. Un moyen supplétif de l’initiative privée au sein du logement social

Section 2. Un moyen supplétif de l’initiative privée au sein du

logement social

102. Le Rapport du député Laurent Bonnevay440 sur le projet de loi441 et les deux propositions de loi442

modifiant et complétant la législation sur les habitations à bon marché d’une part, les études théoriques et pratiques ultérieures443

d’autre part, permettent de situer le contexte (§ 1) dans lequel s’inscrit la loi Bonnevay du 23 décembre 1912444

qui a permis l’émergence d’une véritable offre publique de logements (§ 2). Ce n’est en effet qu’en 1912, en considération des résultats obtenus par la législation antérieure et, par suite, le constat de la persistance de l’état déplorable du logement, qu’est reconnue la nécessité par le législateur d’instituer des organismes publics d’habitations à bon marché en vue de permettre aux départements et, surtout, aux communes de contribuer plus efficacement que par le passé à l’amélioration des conditions de logement. Encadrée dans ses principes, la création de ces établissements publics locaux a permis le développement d’une offre publique de logements sociaux complémentaire à celle d’initiative privée. Avec les entreprises sociales de l’habitat445

439 Cf. supra § 93.

440 L. BONNEVAY, Rapport sur le projet et les deux propositions de loi réunis modifiant et complétant la loi du

12 avril 1906 sur les habitations à bon marché, Chambre des députés, 29 mars 1912 : JORF, 16 et 19 juill. 1912,

annexe n° 1847, p. 769.

441 Projet de loi présenté par MM. J. CAILLAUX, président du conseil, ministre de l’intérieur, R. RENOULT, ministre du travail et de la prévoyance sociale, L.-L. KLOTZ, ministre des finances, devant la Chambre des députés, le 21 novembre 1911 : JORF, 26 avr. 1912, annexe n° 1368, p. 254.

442 Propositions de loi présentées devant la Chambre des députés, la première, par MM. Marcel SEMBAT et Henry CHERON, le 1er février 1912 (JORF, 9 mai 1912, annexe, n° 1622, p. 64) et la seconde, par MM. Louis MARIN et le comte FERRI DE LUDRE, le 18 mars 1912 (JORF, 18 mai 1912, annexe n° 1773, p. 279). 443 Cf. notamment J. DEPINAY et M. DUFOURMANTELLE, Les offices publics d’habitations à bon marché, étude

théorique et pratique, Paris, éd. Librairie Félix Alcan, 1918 ; H. SELLIER, La crise du logement et l’intervention

publique en matière d’habitation populaire dans l’agglomération parisienne, Paris, éd. OPHBMS, 1921.

444 Loi du 23 décembre 1912 modifiant et complétant la loi du 12 avril 1906 sur les habitations à bon marché, dite « loi Bonnevay » : JORF, 25 déc. 1912, p. 10813. Pour un commentaire, cf. D.P. 1913, IV, p. 10-26. 445 Les SA d’HLM se reconnaissent depuis 2002 sous le sigle ESH, c’est-à-dire « Entreprises sociales pour l’habitat ». Cette appellation n’est toutefois pas reprise dans le CCH.

en particulier, les offices publics demeurent aujourd’hui encore, plus d’un siècle après leur création446

, des opérateurs sur lesquels s’appuie l’État pour mettre en œuvre le droit au logement et concourir à la recherche de la mixité sociale447

.

§ 1. Le contexte

103. La constitution d’une offre publique de logements met en jeu deux ressorts essentiels :

le contexte matériel d’une part, par la mise en évidence d’un besoin en logements que le soutien public de l’activité privée, y compris exercée à des fins sociales, ne suffit pas à combler (A) ; le contexte juridique d’autre part, avec les principes d’inspiration intervention-niste qui viennent accompagner l’entrepreneuriat public direct dans ce domaine (B).

A. – Le contexte matériel

104. L’identification de l’état du logement comme problème susceptible de provoquer la

prestation directe de l’activité par une personne publique ressort de l’étude des résultats obtenus par la législation antérieure sur les habitations à bon marché. À cet état d’application de la loi (1), il est tenté d’y trouver des moyens d’amélioration suivant la conception retenue de l’habitation à destination sociale (2).

1. – L’état d’application de la législation sur les habitations à bon marché

105. Après s’être appliqués à dresser, en quelque sorte, le bilan de la législation antérieure,

les promoteurs d’une intervention publique par la prestation sur le marché du logement constatent l’insuffisance des résultats obtenus (a) et, par suite, la persistance de l’état déplorable des conditions de logement des personnes de ressources modestes ou défavorisées, particulièrement dans les villes industrielles (b).

446 Cf. M. CARRAZ, Y JEGOUZO et F. PRIET [dir.], Du logement social à l’habitat. Les Offices cents ans après la

loi Bonnevay, Les Cahiers du GRIDAUH, série « Droit de l’habitat », n° 24, 2014. Cf. également, Dossier

(6 contributions), « Les offices publics de l’habitat ont cent ans », AJDA 2013, n° 2.

447 Les organismes d’HLM visés à l’article L. 411-2 CCH, dont les OPH, nouvelle dénomination des organismes publics d’HLM, participent, par leurs opérations, « à la mise en œuvre du droit au logement et contribuent à la

a. – L’insuffisance des résultats obtenus

106. Inventaire législatif. – Dans son Rapport à la Chambre des députés448

, Laurent Bonnevay commence par présenter la législation antérieure sur les habitations à bon marché. La loi Siegfried du 30 novembre 1894449

a posé le principe et inauguré cette législation : institution de comités locaux d’habitations à bon marché et d’un conseil supérieur national ; définition de l’habitation à bon marché ; définition des valeurs locatives, maxima variables suivant l’importance des communes ; organisation du concours des établissements publics d’assistance et de bienfaisance ainsi que de la Caisse des dépôts et consignations ; exemptions fiscales en faveur des constructions et des sociétés d’habitations à bon marché. La loi Strauss du 12 avril 1906450

a développé ces principes, notamment par l’institution obligatoire des comités de patronage, nouvelle appellation des comités locaux, la création du certificat de salubrité et, surtout, l’autorisation donnée pour la première fois aux communes et aux départements de s’intéresser à la construction d’habitations à bon marché. Ce premier ensemble de dispositions législatives a été complété par la loi Ribot du 10 avril 1908451

, avec pour caractéristique essentielle l’institution de sociétés de crédit immobilier ayant pour objet de faciliter l’achat ou la construction de maisons à bon marché.

107. État d’application. – De ces premières étapes législatives, le député Laurent

Bonnevay452

relève tout d’abord, pour ce qui est des institutions créées par cette législation sociale, que les comités de patronage, dont la constitution antérieurement d’initiative privée est devenue obligatoire, existent dans tous les départements – 112 en France, 3 en Algérie –, que le nombre de sociétés d’habitations à bon marché progresse – elles sont au nombre de 353 (au lieu de 98 en 1906), dont 136 anonymes et 217 coopératives – et, enfin, qu’il existe 18 sociétés de crédit immobilier. Quant aux concours apportés à l’œuvre des habitations à bon marché par les établissements publics d’assistance et de bienfaisance et les collectivités locales, il s’aperçoit qu’ils sont bien minimes. Les premiers n’ont fait usage de la faculté qu’il

448 L. BONNEVAY, Rapport sur le projet et les deux propositions de loi réunis modifiant et complétant la loi du

12 avril 1906 sur les habitations à bon marché, Chambre des députés, 29 mars 1912 : JORF, 16 et 19 juill. 1912,

annexe n° 1847, p. 769, cité par D.P. 1913, IV, p. 11.

449 Loi du 30 novembre 1894 relative aux habitations à bon marché, dite « loi Siegfried » : JORF, 1er déc. 1894, p. 5822.

450 Loi du 12 avril 1906 modifiant et complétant la loi du 30 novembre 1894 sur les habitations à bon marché, dite « loi Strauss » : JORF, 15 avr. 1906, p. 2473.

451 Loi du 10 avril 1908 relative à la petite propriété et aux maisons à bon marché, dite « loi Ribot » : JORF, 12 avr. 1908, p. 2555.

452 L. BONNEVAY, Rapport sur le projet et les deux propositions de loi réunis modifiant et complétant la loi du

leur est ouverte par la législation sur les habitations à bon marché que de manière limitée, mais déjà plus notable que l’investissement insignifiant des départements et des communes : seulement 45 000 fr. de prêts au total et très peu de cessions de terrains à prix réduit, 26 pour la ville de Paris notamment. Enfin, l’État, dont la participation consiste en des dégrèvements et exemptions d’impôts, ne consent qu’un « maigre sacrifice » – en 1910, leur montant atteint 302 318 fr. – loin du reste d’être « consenti joyeusement »453

.

108. Aussi, malgré le développement de l’initiative privée en faveur de l’habitation à bon

marché, les résultats obtenus par la législation antérieure sont restés insuffisants, spécialement en raison du faible investissement public, pour pouvoir apporter une amélioration significative des conditions de logement. Nombre d’ouvriers sont encore logés dans des conditions déplorables et confrontés à la hausse des loyers.

b. – La persistance du mal-logement

109. Institutionnalisation. – Très peu de réalisations suivent le vote de la loi Siegfried du

30 novembre 1894. Face à une situation de l’habitat urbain qui empire, le premier élan fondateur est donné par des propriétaires de grande fortune, acquis à l’idéologie sociale portée par la politique des habitations à bon marché et conscients de la nécessité d’agir454

. Ils créent pour ce faire des fondations qu’ils abondent de leurs propres fonds en y investissant parfois des sommes considérables à l’exemple de Madame Lebaudy, suivie par les frères Rothschild. Ces deux fondations du même nom suscitent un véritable engouement à l’intérieur du Gotha parisien455

, mais pas seulement. Les établissements publics d’assistance, qui se sont d’abord

453 L. BONNEVAY, Rapport sur le projet et les deux propositions de loi réunis modifiant et complétant la loi du

12 avril 1906 sur les habitations à bon marché, rap. cit., cité par D.P. 1913, IV, p. 11 : « Il semble que l’administration des finances, notamment celle des contributions directes, se soit efforcée, dans maintes circonstances, de multiplier les conflits, les chicanes, les restrictions et les procès, comme si elle avait cherché à reprendre par le détail ce que le législateur avait concédé en gros. De toutes parts, les plaintes se sont élevées contre les interprétations byzantines qui surgissaient brusquement, contre les défaites invraisemblables, la mauvaise volonté et les atermoiements de certains agents. Dans presque toutes les sociétés, le cri unanime est : quand donc le législateur fera-t-il un texte si clair et si impératif que le fisc soit obligé de se soumettre ? ».

454 Sur les premières réalisations et la création d’un modèle, cf. J.-P. FLAMAND, La Question du logement,

aujourd’hui en France suivi de La Question du logement par Friedrich Engels, Angoulême, éd. Abeille et

Castor, 2012, p. 51-54.

455 Ibidem, p. 53. Ainsi de la fondation A. et J. WEIL, banquiers, de la fondation SINGER-POLIGNAC, du nom de l’héritière du fabricant de la machine à coudre mariée au Prince Edmond de POLIGNAC, ou de la fondation Yvonne de GOUY D’ARSY.

peu intéressés aux habitations à bon marché, entrent dans cette voie à l’instar de l’Assistance Publique de Paris qui lance, en 1906, un premier programme de logement dans le XIVe

arrondissement de Paris. Nombre de sociétés d’habitations à bon marché se créent également à cette époque. Des philanthropes et des groupes industriels abondent en capitaux les sociétés anonymes pour leur création456

et des sociétés coopératives sont aidées par les crédits ouverts par de grandes entreprises comme, par exemple, celles à l’initiative des Chemins de fer d’Orléans ou encore « La Maison des dames des Postes » destinée à loger les employées célibataires des postes.

110. Quantification. – Par la diffusion de l’immeuble de rapport adapté aux différentes

catégories sociales et l’industrialisation de la construction de logements sains et abordables, en location ou en accession à la propriété, ces premières réalisations, mettant en application la législation sur les habitations à bon marché, participent à la profonde révolution de l’habitat urbain. Elles sont restées néanmoins insuffisantes, la situation de mal-logement dénoncée tout au long du XIXe

siècle perdure au début du XXe

siècle, surtout à Paris, dans les grandes villes et dans les régions industrielles. Pour démontrer la persistance de l’état déplorable du logement, Laurent Bonnevay s’appuie sur l’outil statistique alors émergeant457

. L’enquête faite en 1906 à l’occasion du recensement de la population permet de relever plus précisément que par le passé l’insalubrité des habitations ouvrières. Dans la plupart des villes, un grand nombre de logements n’ont pas de fenêtre et ne reçoivent un peu d’air et de lumière que par une lucarne458

. La proportion des logements pourvus d’un cabinet d’aisances spécial est aussi peu satisfaisante459

. Insalubres, surpeuplés460

, les logements ouvriers sont aussi atteints par la hausse des loyers461

.

456 Idem. C’est le cas de « La Nationale », créée par le comte D’HAUSSOUVILLE, du « Foyer » créé par un groupe d’éditeurs dont HACHETTE et GAUTHIER-VILLARS pour des salariés de la presse et de l’édition, du « Progrès » à l’initiative d’un groupe d’industriels, ou encore de la « Société philanthropique », bénéficiaire d’un legs du banquier M. HEINE.

457 P. DURIF, « L’émergence de l’outil statistique (XIXe-XXe siècle) », in M. SEGAUD, C. BONVALET et J. BRUN

[dir.], Logement et habitat : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », série « L’état des savoirs, 1998, p. 43-50. De nombreux renseignements sont en effet fournis sur le logement, devenu une catégorie statistique et un indicateur social (M. RONCAYOLO, L. COUDROY DE LILLE et Y. FIJALKOV, « Ville et logement : catégories statistiques et indicateurs sociaux (XIXe-XXe siècle) », in Logement et habitat : l’état des savoirs,

op. cit., p. 27-33).

458 L. BONNEVAY, Rapport sur le projet et les deux propositions de loi réunis modifiant et complétant la loi du

12 avril 1906 sur les habitations à bon marché, rap. cit., cité par D.P. 1913, IV, p. 11 : « il y a 100 de ces logements à Nantes, 200 à Brest, 423 à Toulouse, 743 à Bordeaux ».

459 Ibidem, cité par D.P. 1913, IV, p. 11 : « 41 pour 100 à Amiens, 17 pour 100 à Rouen, 11 pour 100 à Nantes,

111. Ces différentes données démontrent, selon les commentateurs au Recueil périodique et

critique mensuel Dalloz de la loi Bonnevay du 23 décembre 1912, « l’utilité de dispositions législatives nouvelles et la nécessité, pour les pouvoirs publics, les collectivités et les établissements dépendant de l’État, de participer plus activement à l’amélioration de l’habitation ouvrière »462

dont la conception sociale semble depuis lors être acquise.

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