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Le moulin de Bakarabrekka est de loin le moulin le plus connu d’Islande, si ce n’est le seul. Là encore, toutes les archives étant rédigées en islandais, les informations dont nous disposons restent sommaires. La naissance et l’histoire de ce moulin, aussi succinctes soient-elles, sont pourtant caractéristiques d’une époque et parachèvent l’histoire de la meunerie islandaise.

Parlons tout d’abord de son aîné, le moulin de Hollavellir, représenté sur ces deux images. Bâti en 1830 par le fermier de la ferme du même nom, celle en dernier plan de l’illustration 28, il disparaît aux alentours des années 1890, concurrencé par son cadet. A cette époque, le baril de grain coûte environ quatre marks, un prix exorbitant (Óskarsson Þ., 2002) qui pourrait avoir freiné l’évolution de la mouture en profession à part entière. En effet, qui peut acheter du grain ne peut ensuite le faire moudre. De plus, le seigle semble n’être pas plus cher à l’achat moulu que non moulu. Ce n’est pas le cas pourtant de l’orge. (ibid.) Ceci expliquerait pourquoi les habitants de Reykjavik conservent et utilisent encore au XIXe siècle leurs moulins à bras, comme l’a montré l’étude du site de Suðurgata. Deux personnes soutiennent cependant l’entreprise, il s’agit des deux premiers boulangers du pays, Herr Henrich Scheel et Frau Katrin Scheel, de Hambourg. Arrivés en 1790 dans la petite agglomération de moins de 300 habitants, ils

parviennent à obtenir l’autorisation de pétrir et vendre du pain en 1797. Le moulin leur est indirectement rattaché : n’ayant pas l’autorisation de posséder de la terre eux-mêmes, ils s’allient au bóndi dans la construction de ce petit moulin (ibid.). En 1834, le premier boulanger professionnel, Daniel Tönnes Bernhöft, entre dans la ville. Hambourgeois lui aussi, il crée la première boulangerie du pays en 1845, sur

illustration 29 : Le moulin de Hollavellir par Jon Helgason

Meules et Moulins en Islande, histoire d’une amnésie

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Laugavegur, rue principale du centre ville, boulangerie encore aujourd’hui réputée (ibid.)142.

En 1846, le premier moulin hollandais voit le jour et complète ainsi le tableau. A deux cent mètres environ de la boulangerie, les deux bâtisses sont directement liées. Construit au coin de Bankastræti et Þingholtsstræti, c’est le collaborateur de Bernhöft, lui aussi Hambourgeois, qui supervise et finance les travaux réalisés par un charpentier Hollandais Peter Knudtzon, meunier de son métier. Venu aider à la construction de la Domskirkja, la cathédrale de Reykjavik commencée en 1796, il reste jusqu’en 1860, quand le moulin prend alors son envol. De nombreuses gravures et photographies ont immortalisé l’édifice, resté pendant longtemps le plus élevé de la ville. Nous n’en donnons qu’un échantillon.

Ce qu’il est important de retenir ici, c’est la simultanéité de construction des édifices principaux de la ville. Elle résulte bien sûr de la rapidité avec laquelle la ville s’est construite, mais aussi de la rapidité avec laquelle la mentalité islandaise s’est modifiée. En quelques décennies, le pays s’est urbanisé. Bien plus, il est devenu duel. Le fossé culturel et social se creusera en effet chaque année un peu plus entre Reykjavik naissante143 et le reste du pays. La construction quasi simultanée d’un moulin-tour et d’une boulangerie

matérialise la fin de l’idéal d’autarcie des unités de production incarnées par les fermes. Puisque ferme il n’y a, l’auto suffisance perd tout son sens, hors contexte. Quand le moulin est endommagé par une tempête en 1892, personne ne vient aider à sa reconstruction : il sera démoli en 1902144, inutile. La capitale de l’Islande n’assume

plus sa mouture mais s’en remet aux bons soins de l’étranger.

142 Les produits réalisés par la boulangerie révèlent également le même schéma et suivent la montée du niveau de vie général des

habitants : des produits de nécessité tels les rùgbrauð, sigtibrauð, ou encore un certain franskbrauð, pain de froment, on passe à des produits quelques peu plus sucrés à mesure que se finit le siècle : vinarbrauð, sorte de pâtisserie à la frangipane et crème au beurre agrémentée de noix effilées, s’accompagnent de petits beignets au citron nommés skonsur ou encore de rouleau à la cannelle semblables à ces croissants de Bratislava, nommés kleinur (Óskarsson Þ., 2002).

143 Nous ne ferons pas ici l’histoire de Reykjavik. Il faut cependant noter, pour comprendre cet essor soudain, quelques grandes

lignes : les efforts de Skùli Magnùsson de 1756 sont récompensés par le transfert de la licence commerciale des ports de commerce à Reykjavik uniquement, en 1780, et ce à cause des fabriques qui s’y trouvent. La ville est officiellement fondée en 1786 par décret royal. La cathédrale et son archevêque suivront une quinzaine d’années plus tard, suivit peu après de l’Alþing, en 1798. En quelques années seulement Reykjavik est devenue l’unique capitale du pays, détrônant par là économiquement l’île d’Örifirisey, spirituellement Skalholt, politiquement Þingvellir. Le Gouverneur lui-même quittera Bessastaðir, préférant la vie mondaine et urbaine. L’Islande est entrée dans la « modernité ». La Figure 12 montre l’évolution démographique de la ville. Voir Reykjavik 200 ára, 1986 et Karlsson G., 2000.

144 Les pierres reposeraient au musée de Arbær selon Beenhakker. Personne ne sait cependant où elles se trouvent aujourd’hui.

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